Euro fort, croissance faible ?

Par FactaMedia  |   |  744  mots
Reuters
En pleine campagne pour les élections européennes, la force de l’euro est dénoncée par de nombreux partis et responsables politiques, certains y voyant une cause de la crise passée et de la faiblesse de l’activité d’aujourd’hui. Des documents électoraux font même un rapprochement direct entre une courbe de l’euro qui monte pendant que celle de l’activité baisserait. Un tel lien serait-il avéré, à commencer par cette simple corrélation entre force de l’euro et faiblesse de la croissance ?

Pour apprécier une possible relation de cette nature, on peut rapprocher la courbe de l'euro, par exemple contre le dollar, la principale devise dans laquelle est mesurée son appréciation, et celle d'un indicateur de l'activité suffisamment fréquent (les données sur le PIB n'étant que trimestrielles). Le climat des affaires publié chaque mois par l'Insee représente bien l'évolution de l'activité. On peut d'ailleurs aussi restreindre l'indicateur à sa seule composante « industrie », secteur supposé le plus fragilisé par un « euro fort ».

Or, non seulement on ne retrouve pas du tout le schéma hausse de l'euro / baisse de l'activité dans cette représentation. Mais c'est même plutôt le contraire, au moins depuis l'été 2010.

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Afin de comparer au mieux deux données d'échelles et d'amplitudes différentes, il est préférable d'utiliser ce qu'on appelle les « variables centrées réduites » (c'est-à-dire les séries de données minorées de leur moyenne, le tout étant rapporté à leur écart-type). Cette comparaison valide le schéma observé précédemment.

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Bien sûr, il serait également infondé de prétendre, sur la seule base des graphiques précédents, qu'un euro fort soutiendrait la croissance. Ces dernières années, le lien le plus vraisemblable entre les deux variables tient probablement aux anticipations des marchés. Des doutes ont prévalu sur l'intégrité de la zone euro, en particulier lorsque la situation économique s'y détériorait, la tendance étant alors plutôt de se défaire des euros détenus. Et réciproquement, l'affermissement de la croissance conduisant à diminuer la perception de risques d'un éclatement de la zone euro (et réciproquement…), cela a pu soutenir le cours de l'euro.

Mais ces graphiques infirment en revanche clairement l'existence prétendue de courbes divergentes entre cours de l'euro et activité économique.

Taux de change effectifs nominaux et réels

Pour les taux de change, il est fréquent de ne pas s'en tenir à des comparaisons par paires de devises. En effet, l'impact de l'appréciation d'un taux de change doit se mesurer par rapport à l'ensemble des taux de change des partenaires commerciaux d'un pays, en pondérant chacun de ces taux de change du commerce réalisé avec la zone concernée : ce sont les taux de change effectifs.

Toutefois, dans le cas de la France ou d'autres pays de la zone euro, le poids du dollar est tel par rapport aux autres devises (d'autant que certaines lui sont liées directement ou indirectement) qu'il n'y a pas beaucoup de différence entre s'en tenir au taux euro / dollar ou aux taux de change effectifs nominaux.

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En revanche, un autre indicateur est essentiel. Les taux d'inflation peuvent être très différents selon les pays. Or, ces différentiels d'inflation ont bien sûr un impact sur la valeur relative de deux devises. Il est donc très important, sur les questions de change, de mesurer l'impact de ces différentiels d'inflation, et donc de calculer des taux de change effectifs non plus nominaux mais réels (généralement, en se basant sur les indices de prix à la consommation).

A ce titre, on observe que le taux de change effectif réel de la France montre en fait une relative dépréciation de l'euro et non une appréciation depuis le début de la crise… Et donc une amélioration et non une détérioration de la compétitivité-prix du pays.

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Dans leur ouvrage « Dix idées qui coulent la France », Augustin Landier et David Thesmar ont d'ailleurs mis en évidence cette baisse du taux de change effectif réel pour la France en regard de l'évolution à la hausse observée pour la Chine. L'opposé de l'idée parfois véhiculée d'un yuan de plus en plus sous-évalué, en particulier vis-à-vis de l'euro.

Bien entendu, apprécier tous les effets du cours d'une devise dont il serait avéré qu'il est ponctuellement voire même durablement surévalué supposerait des études très approfondies. Mais il est en tout cas certain que la relation « euro fort, croissance faible » ne peut être étayée par un schéma présentant deux courbes divergentes qui, tout simplement, n'existe pas.

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