Les chefs d'entreprise menacés d'épuisement

Par Sophie Péters  |   |  826  mots
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A ceux qui croient encore qu'entreprendre est une sinécure qui protège des aléas du marché de l'emploi, les chefs d'entreprise réunis au sein de l'APM (Association pour le management) apportent un démenti formel. Mal aimés des pouvoirs publics et du grand public, ils jugent de plus en plus difficile de faire vivre une entreprise. A eux d'apprendre désormais à gérer leur stress.

Il n'y a pas que des salariés sous stress en France. Il y a aussi des chefs d'entreprises. Le réseau Apm (Association Progrès du management) a recueilli les témoignages de ses 988 adhérents chefs d'entreprise sur l'envie d'entreprendre aujourd'hui et sur son quotidien fragilisé par la crise.

Si pour la moitié d'entre eux, le désir d'indépendance est à l'origine de la création ou de la reprise d'entreprise, aujourd'hui, leur principale source de satisfaction et de motivation est liée au développement de leur entreprise et au fait de créer des emplois. Plus le chef d'entreprise est jeune, plus il est attaché à ces indicateurs. Alors que l'espoir de gagner beaucoup d'argent est l'idée reçue qui domine en France dès lors qu'il s'agit d'entreprendre, l'étude prouve le contraire : cette motivation arrive en toute fin de la liste. A peine 12% citent les gains financiers comme motivation principale à l'origine de la création.

58,2 heures en moyenne de travail hebdomadaire

Et pour cause : la vraie vie du chef d'entreprise est loin d'être un fleuve tranquille ! Pire : 87% estiment qu'il est plus difficile de faire vivre économiquement son entreprise qu'il y a dix ans, 79% de reprendre une entreprise, 75% de créer une entreprise, 68% de la transmettre et 66% de manager ses équipes. Ils travaillent en moyenne 58,2 heures par semaine et 75% estiment leur charge de travail plus lourde que par le passé, 77% jugent leur emploi du temps surchargé (93% pour les chefs d'entreprise de plus de 200 salariés) et 70% se sentent seuls dans la prise de décision.

Déprimés les chefs d'entreprise ? Pas sûr mais proche du "burn out", oui, sans aucun doute. Quand on sait que ce syndrome d'épuisement professionnel touche en majorité les salariés les plus investis et les plus travailleurs, on ne s'étonne pas, au vu de ces résultats, de pressentir ce même phénomène chez les chefs d'entreprise. De quoi bousculer la croyance populaire qui juge les dirigeants comme des « nantis », disposant des moyens qui font défaut aux autres, et n'ont pas de quoi être stressé ! Les dirigeants sont trop souvent considérés comme responsables du stress, sinon coupables. Cette position d'acteur face au stress des autres se trouve peu compatible avec celle d'en subir soi-même les effets : le dirigeant est en général considéré comme plus « stressant » que « stressé ».

Le stress des dirigeants reste un tabou

Résultat : le stress des dirigeants est un tabou chez les premiers concernés. Entend-on souvent des dirigeants parler de leur propre stress ? Non... et pourtant : un tiers reconnait ne pas avoir le temps de s'occuper de la stratégie de leur entreprise car trop pris dans les filets de la gestion courante. "Les conséquences néfastes du stress touchent donc le dirigeant lui-même, mais concernent aussi son entreprise. La pression que celui-ci supporte le pousse à toujours plus d'actions, toujours plus de décisions : celles-ci sont parfois des réactions au stress plutôt que le résultat d'une réflexion adaptée au contexte : quel dirigeant n'a jamais pris une décision sous le coup de la pression pour la regretter ensuite ? Parfois, cette réaction prend la forme d'une hésitation voire d'un immobilisme qui peut être perçu par l'entourage comme un retrait, voire un désintérêt", relève Bruno Lefebvre, fondateur et dirigeant du cabinet de conseil AlterAlliance.

Les dirigeants doivent mener une réflexion sur leur propre stress

Pour une fois, l'étude de l'APM relève dans les témoignages des intéressés les termes de "stress", "charge", "combat", "impossible". Un premier pas chez ces dirigeants vers la reconnaissance de ce qu'ils vivent. Car, comme nous l'a enseigné le philosophe Michel Foucault, celui qui ne se soucie pas de lui aura du mal à se soucier des autres : sans ce souci de l'autre, le rythme et les décisions du dirigeant auront tendance à être les siens ou ceux de ses actionnaires, sans que les enjeux et difficultés des collaborateurs soient suffisamment pris en compte.

Il est donc essentiel que les dirigeants mènent une réflexion sur leur propre stress et ses conséquences, positives comme néfastes. Et pourquoi pas provoquent des échanges sur le stress dans leur comité de direction, en sollicitant leur "codir" pour inventorier les facteurs de stress vécus par cette instance dirigeante (par exemple : pression de l'actionnaire, du client, du "codir" lui-même).

"Le tabou ainsi levé permettrait de percevoir des signaux faibles de stress avant que celui-ci n'occasionne des conséquences fâcheuses sur la santé ou la performance opérationnelle", en conclut Bruno lefebvre. L'image d'Épinal du dirigeant réglant ses affaires sur un parcours de golf a vécu. Désormais, c'est plutôt le salon de son logement qui devient un espace professionnel pour le décideur qui ne « décroche » que rarement de son travail.