Berlin risque de devoir faire face à l'avenir de l'Europe

Par Florence Autret  |   |  667  mots
"Pour que l'Europe aille mieux, il faudrait que tout le monde soit un peu plus allemand", cette thèse, longtemps défendue par Berlin, illustre bien la manière désinhibée dont l'Allemagne exerce sa puissante influence. Mais ce pouvoir pourrait se retourner contre elle. À Bruxelles, les langues se délient.

On ne compte plus les manifestations de la domination allemande dans le jeu européen. La dernière en date a été le supposé veto d'Angela Merkel à l'attribution du portefeuille des Affaires économiques et monétaires au Français Pierre Moscovici.

Veto levé après la « clarification » de la ligne politique de Paris, symbolisée par le gouvernement Valls II et contre la promesse que l'ancien locataire de Bercy n'exporterait pas la culture française du déficit à Bruxelles.

Au passage, personne n'a opposé à Berlin que, en 2009, la chancelière avait envoyé à Bruxelles un commissaire, Günther Öttinger, chargé du portefeuille de l'énergie... tout en menant à domicile une politique énergétique « a-européenne » (sortie unilatérale du nucléaire et politique de subventions aux éoliennes, en contravention avec les règles d'aide d'État). Dont acte.

Inutile de remonter loin dans le temps pour trouver la précédente : la nomination, fin août, de Donald Tusk au poste de président du Conseil européen. La chancelière était la principale avocate du Premier ministre polonais, excellent germanophone mais maîtrisant mal la langue de travail de l'Union, l'anglais.

Six semaines plus tôt, c'était au Parlement que se déployait la démonstration de force, avec 4 commissions sur 24 sont échues à des Allemands, et pas des moindres : le Commerce (où se jouera le sort du traité transatlantique), les Affaires étrangères (qui décidera de la ratification de l'accord d'association avec l'Ukraine), le Contrôle budgétaire, l'Emploi et le Transport.

Travaillée par le regret de n'avoir pu en prendre une cinquième, stratégique, celle des Affaires économiques et monétaires, la délégation allemande a pris garde d'encadrer son président, un social-démocrate italien, de deux vice-présidents venant de ses rangs (sur 4).

Sans compter la présidence du Parlement lui-même et une présence appuyée dans l'administration où le pilotage du Conseil des ministres et du Parlement est assuré par deux hauts fonctionnaires allemands, tout comme celle du Mécanisme européen de stabilité, désormais un pilier de l'union monétaire et du cabinet du président de la Commission Jean-Claude Juncker, poste ô combien stratégique.

Si tous ces responsables ne doivent pas être vus comme une armée infiltrée dans les rangs européens pour servir les intérêts d'un seul pays, ils sont bel et bien un vecteur d'influence pour Berlin et le relais d'une certaine lecture de l'intégration européenne. Mais à être le plus puissant, on finit par être tenu pour le plus responsable. À tort ou à raison. Du pire ou du meilleur.

Berlin, qui a longtemps défendu la thèse selon laquelle, pour que l'Europe aille mieux, il faudrait que tout le monde soit un peu plus allemand, risque de devoir faire face à l'avenir au reproche selon lequel si l'Europe va mal, c'est de sa faute. À Bruxelles, les langues se délient.

« Quel est donc ce pays qui accumule les excédents et remplit ses caisses mais n'est pas capable d'investir, y compris quelques dizaines de millions, dans des crèches pour redresser sa démographie ? » s'emporte un député pourtant peu suspect de germanophobie.

Un pays qui accumule la richesse nette au rythme de 7 % par an et dont les besoins d'investissement non couverts sont estimés à 3 % du PIB n'est pas un modèle reproductible, a fortiori dans une période de croissance nulle. Et alors que les entreprises allemandes, l'an dernier, ont refait de l'UE17 (la « vieille Europe ») la première destination de leurs investissements, devant la Chine et l'Europe centrale, Berlin risque d'être accusé d'entretenir la déflation pour ramasser des actifs chez ses voisins.

Bref, le succès même de son influence met l'Allemagne au défi de penser l'Europe de façon plus collective. On a assez reproché à la France de penser l'Europe à son image pour pouvoir le dire de l'Allemagne.

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>>> Voir aussi Compte à rebours pour la Commission Juncker !