
Alors que Theresa May doit envoyer mercredi sa « demande en divorce » à Bruxelles et donner le top départ à deux années de négociations à haut risque pour l'Union, le ministre des finances Michel Sapin était, lui, à Dublin lundi pour parler, sinon d'alliance, au moins d'entente. « Le Brexit sera important pour tous, mais encore plus pour les Irlandais », les seuls à avoir une frontière terrestre avec le Royaume-Uni, explique-t-on au ministère des finances. « Il ne faut pas qu'ils se retrouvent devant un dilemme entre leur appartenance à l'Union et leur imbrication dans le Royaume-Uni. »
Le "non" de 2008
L'Irlande redoute de se retrouver prise en otage, coupé du marché unique par son puissant voisin et partenaire. Une faiblesse qui peut aussi mettre le pays dans une position de force puisqu'il devra, comme tous les autres, approuver le « deal » final. Déjà en 2008, il avait voté « non » au traité de Lisbonne. Depuis, la crise est passée par là. Le sauvetage, aux frais du contribuable, des banques irlandaises, avec l'appui et même à la demande des autorités européennes et en particulier de la BCE, avait suscité une certaine amertume.
Parmi les sujets de discussion du ministre français avec son homologue Michael Noonan : l'expérience de dématérialisation des frontières entre la France et la Suisse, qui pourrait servir d'exemple. La question est tout sauf triviale : pour Dublin, voir apparaître des files de camion aux douanes avec l'Ulster est considéré comme un risque politique.
Synergies
Mais surtout, Paris et Dublin pourraient voir leurs intérêts converger au moment où le Brexit annonce une recomposition du paysage financier européen. Récemment, la Commission européenne a mis sur la table l'hypothèse d'un déménagement à Francfort de l'Autorité bancaire européenne (ABE), actuellement installée à Londres. Or le regroupement dans la capitale financière allemande de la BCE, du superviseur bancaire et des deux autorités réglementaire de l'assurance, qui y siège déjà, et bancaire, déplaît fortement aux Français. « Après la crise, avoir un modèle moins concentré, cela ne nous émeut pas », assure-t-on à Bercy où 'on plaide pour un modèle polycentrique où Dublin, Paris et d'autres trouvent leur place.
Posture tactique
Tout comme l'Irlande et une quinzaine d'autres villes européennes, Paris a exprimé son intérêt pour recevoir l'ABE, mais cette candidature a tout d'une posture tactique, la ville abritant déjà l'autorité de contrôle des marchés. D'où la tentation de pousser la candidature irlandaise. « Dublin a des arguments à faire valoir » pour recevoir l'ABE, assure cette source. De surcroît, les Français aimeraient accueillir l'Agence du médicament, également appelée à quitter le Royaume-Uni, plutôt dans une capitale régionale.
Le "relocation" de l'ABE s'inscrit dans la compétition, plus large, pour recueillir une partie des activités financières susceptibles de quitter la City. « Pour l'instant, (le débat) est de bonne tenue », explique cette source. « Chacun fait valoir ses avantages. Mais il ne fait déjà plus de doute que la négociation s'annonce difficile, même entre les Vingt-Sept. »
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