Banques : quand la réglementation sape… la confiance des investisseurs

Par Christine Lejoux  |   |  871  mots
Depuis le 1er janvier, l’indice SX7R des principales valeurs bancaires européennes s’écroule de 15,7%, une chute près de deux fois supérieure à celle de l’ensemble du marché.
A la suite de leur plongeon en Bourse depuis le début de l’année, les banques européennes ne valent plus que 0,66 fois leurs fonds propres, selon Groupama AM. Les multiples réglementations décidées dans le sillage de la crise financière de 2008 ne sont pas étrangères à la désaffection des investisseurs pour le secteur.

Les investisseurs seraient-ils impossibles à satisfaire ? Lors de la crise financière de 2008, ils s'étaient massivement, et logiquement, détournés des valeurs bancaires, alors empêtrées dans des problèmes aigus de solvabilité et de liquidité. S'était ensuivie une période d'accalmie boursière, sinon d'euphorie, pour les banques. Mais voilà que, depuis le début de l'année, huit ans donc après la crise financière, les investisseurs fuient à nouveau les banques, pourtant autrement plus solides qu'en 2008. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : depuis le 1er janvier, l'indice SX7R des principales valeurs bancaires européennes s'écroule de 15,7%, une chute près de deux fois supérieure à celle de l'ensemble du marché. Résultat, les banques européennes valent aujourd'hui moins que leurs fonds propres, en Bourse : leur « price to book » (rapport entre le cours de Bourse et l'actif net) se limite à 0,66 en moyenne, selon la société de gestion d'actifs Groupama Asset Management. Un niveau pas très éloigné des planchers touchés en 2008, puis en 2012, au moment de la crise des dettes souveraines dans la zone euro.

Une rentabilité des fonds propres tombée à 8,2% en 2014

A l'origine de cette résurgence de la défiance des investisseurs à l'égard du secteur bancaire : les inquiétudes sur la croissance mondiale, le niveau historiquement bas des taux d'intérêt et le risque de crédit sur les sociétés du secteur pétrolier, qui représentent autant de menaces pour la rentabilité des banques. Laquelle a déjà été bien entamée au cours des dix dernières années, avec un ROE (return on equity, rentabilité des fonds propres) de 8,2% seulement en 2014, contre une moyenne de 13,2% sur la période 2000-2006. « Le niveau d'avant la crise n'a jamais été retrouvé, et la première chose qui explique cela, c'est la réglementation », a affirmé Patrick Goux, analyste chez Groupama AM, jeudi 10 mars, lors d'une conférence de presse. De fait, l'écart négatif de ROE entre 2006 et 2014 provient à hauteur de 5,2 points des coûts de renforcement des fonds propres et de la baisse de rentabilité des activités de courtage induits par la réglementation de Bâle III.

Un secteur difficile à appréhender pour les investisseurs

Paradoxalement, ce sont toutes ces réglementations, décidées dans le sillage de la crise de 2008 pour rendre les banques plus sûres, qui conduisent aujourd'hui les investisseurs à se méfier du secteur. Plus encore que l'éventualité d'une récession mondiale, à laquelle Groupama AM ne croit pas, ou que les 400 milliards de dollars d'exposition des banques européennes aux secteurs du pétrole et du gaz, que la société de gestion juge « gérables. » Certes, ce que les banques se plaisent à qualifier de « tsunami réglementaire » a eu pour vertu de les rendre beaucoup plus solides, avec par exemple un ratio de fonds propres « dur » (de grande qualité) de 12% en moyenne aujourd'hui selon Groupama AM, contre moins de 8% avant la crise.

Pour autant, entre les réglementations décidées à l'échelon international, celles édictées au niveau européen ou national, celles relatives au renforcement des fonds propres, ou encore celles portant sur le sauvetage d'établissements en difficulté, la compréhension du secteur bancaire nécessite désormais de maîtriser un langage bien particulier, à base de « BRRD », « TLAC », « CET1 », « NSFR », « MREL » et qui, les régulateurs se montrant toujours plus exigeants, s'enrichit régulièrement d'autres acronymes recouvrant des notions complexes. « L'asphyxie réglementaire de ces dernières années a rendu le secteur bancaire encore plus technique et opaque. Il n'y a pas que les journalistes qui s'y perdent, les gérants (de fonds) aussi », explique Patrick Goux. « Chez Groupama AM, nous avons trois analystes sur le seul secteur bancaire. Mais nombre de sociétés de gestion ne peuvent se permettre d'avoir des équipes de cette taille », renchérit Marie-Pierre Peillon, directrice de la recherche.

La crainte d'augmentations de capital et de dividendes moins généreux

Conséquence, « alors que nous ne sommes plus en 2007, quand les banques souffraient de réels problèmes de liquidité et de solvabilité, les investisseurs n'aiment toujours pas ce secteur, rendu très complexe par la réglementation. Leur défiance est telle que, dès que des inquiétudes apparaissent sur les banques, comme c'est le cas depuis le début de l'année, celles-ci chutent très brutalement en Bourse », décrypte Patrick Goux. Et ce dernier de comparer le secteur bancaire à un élève de terminal avec 10,5/20 de moyenne au compteur, auquel on annoncerait soudain qu'il ne faut plus une moyenne de 10, mais de 15 pour décrocher le bac, suscitant ainsi l'inquiétude de ses parents (les investisseurs, en l'occurrence). Des investisseurs qui, au-delà des difficultés de compréhension du secteur engendrées par les multiples réglementations, redoutent que certaines banques européennes ne soient contraintes de procéder à des augmentations de capital, ou tout au moins de distribuer moins de dividendes à leurs actionnaires, la future « Bâle IV » risquant d'être plus dure encore que Bâle III. Patrick Goux forme donc le vœu d'une « accalmie dans la réglementation bancaire, à partir de 2020. »