Affaire des taxis de l'INA : " les mauvaises habitudes d'une élite déconnectée des réalités"

Par Propos recueillis par Nabil Bourassi  |   |  599  mots
Le président de l'association Anticor attend de la justice qu'elle se saisisse de l'affaire Agnès Saal.
L'association de lutte contre la corruption Anticor avait menacé, mardi 27 avril de porter plainte si la présidente de l'Ina ne démissionnait pas suite aux révélations sur son utilisation abusive de services de taxi (40.000 euros de facture). Quelques heures plus tard, le ministère de la Culture annonçait le départ d'Agnès Saal. Jean-Christophe Picard, président d'Anticor, analyse pour La Tribune, ce que révèle l'affaire des taxis de l'Ina de la société française.

Qu'est-ce que l'affaire Agnès Saal révèle des pratiques et habitudes d'une certaine élite d'État?

Rien que l'on ne savait déjà. Nous avons des hauts fonctionnaires qui sont parfois déconnectés des réalités, et tous ne semblent pas prendre la mesure de la situation financière de notre pays, endetté à hauteur de 2.000 milliards d'euros. Nous ne pouvons pas nous permettre de gaspiller le moindre euro.

Est-ce qu'il y a une culture de l'abus de bien social et de la corruption spécifique à la France?

Ce qui est sûr, c'est que la France a la mauvaise habitude de recycler ses brebis galeuses. On ne fait pas preuve de la même mansuétude dans tous les pays ! Et la longueur de nos procès est légendaire...

Il a fallu que des lettres anonymes soient envoyées pour que l'affaire Agnès Saal éclate. N'y a-t-il pas un dysfonctionnement des dispositifs de contrôle des institutions ?

Évidemment, la présidente de l'INA n'est pas la seule responsable... Les douze membres du Conseil d'administration (représentants de l'État, du CSA, du Parlement et du personnel) sont censés contrôler la gestion de cet établissement public qui perçoit, chaque année, 90 millions d'euros au titre de la contribution à l'audiovisuel public. D'autant que ce n'est pas la première fois que des dérapages y sont détectés. Le Canard Enchaîné a ainsi récemment accusé Mathieu Gallet, le prédécesseur d'Agnès Saal, d'avoir fait dépenser, à l'INA, 124.918 € pour rénover ses bureaux et 795.000 €, en quatre ans, pour s'offrir les services de cabinets de consultants.

Notre société n'est-elle pas alors tentée de valoriser les lanceurs d'alertes ? On peut imaginer que certaines dénonciations soient malveillantes et relever de la manipulation, n'est-ce pas dangereux?

Il faut distinguer la pertinence des alertes et les motivations des lanceurs d'alertes. Je ne vais pas vous dire que toutes les dénonciations sont dénuées d'arrières pensés... Mais, très honnêtement, la plupart des lanceurs d'alertes que j'ai rencontrés en ont juste assez que l'on dilapide l'argent public. Je trouve que c'est une réaction plutôt saine : rien ne serait pire que le haussement d'épaules. Beaucoup prennent de gros risques en révélant des malversations. Donc oui, il faut mieux écouter et mieux protéger les lanceurs d'alertes !

La démission d'Agnès Saal suffira-t-elle pour autant à éteindre les poursuites à son encontre ? Anticor avait menacé de saisir le procureur si elle ne le faisait pas, maintenant qu'elle a démissionné, vous n'irez pas en justice.

Anticor n'a pas vocation à se substituer à l'ensemble des institutions, d'autant que nous sommes tous bénévoles et que nous refusons toute subvention. Nous préférons laisser le temps aux autorités légitimes de prendre leurs responsabilités et de saisir eux-mêmes la Justice. Sans réaction de leur part, nous déposerons nous-même plainte pour détournement de biens publics.

Il y a moins d'un mois, une affaire du même type avait frappé Mathieu Gallet de Radio France, il a, depuis, été blanchi par l'administration. Y a-t-il une confusion entre ce qui peut être apprécié comme immoral, et ce qui est illégal ?

Il faut bien comprendre que le gaspillage de l'argent public n'est pas interdit. Il ne faut donc pas compter sur les tribunaux pour régler ce problème. C'est à l'autorité qui détient le pouvoir de nomination de mieux choisir et de mieux contrôler qui elle nomme.