Attentats : l'émouvant témoignage d'Eva rescapée du Bataclan

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  1084  mots
Plus de 48 heures après les attentats à Paris qui ont fait 132 morts, dont 89 au Bataclan, Eva, 38 ans, raconte son cauchemar.

Eva, 38 ans, est l'une des rescapées du Bataclan. Quand elle quitte son lieu de travail, vendredi 13 novembre en fin de journée, elle est à deux doigts de renoncer à aller voir Eagles of Death Metal sur scène. En cette fin de semaine, elle se sent un peu fatiguée. Mais après avoir raté le concert du groupe californien à Paris l'an dernier, faute de place, elle se résout à ne pas manquer à nouveau l'occasion.

Eva est «en bas», au fond de la salle, sur le côté droit, au niveau du stand de ventes des tee-shirts du groupe, tenu par Nick Alexander, ce jeune de britannique de 36 ans qui perdra la vie. Pour mieux voir, la jolie brune aux yeux verts grimpe sur une petite estrade accolée à la boutique. Un jeune homme fait la même chose.

«L'ambiance était festive, bon-enfant avec des mères qui accompagnaient leurs enfants adolescents. C'était un bon concert de rock », raconte Eva, très choquée.

Elle veut poster des photos, mais son téléphone ne capte pas. Et puis, soudain, les premiers tirs résonnent. «Tout le monde a cru à un effet pyrotechnique», se souvient-elle. Mais très vite, les spectateurs comprennent qu'ils sont attaqués.

"Nous nous sommes tous jetés à terre pour nous allonger (...). Je ne comprenais pas ce qu'il se passait. J'ai entraperçu l'un des assaillants près du bar, il devait avoir 25-30 ans, était de type maghrébin et parlait parfaitement le Français. J'ai entendu le mot Syrie. A ce moment-là, j'ai compris l'horreur dans laquelle nous étions", explique-t-elle avec émotion.

« Il y a eu des rafales, puis ça s'arrêtait, puis ça reprenait, parfois entrecoupé de tirs isolés. J'attendais le moment où une balle allait me toucher », ajoute-t-elle, précisant que "quelque chose" l'avait frôlé. "Peut-être une douille, je ne sais pas".

Au sol, les gens se donnent la main. Il y a du sang à proximité. Eva a son téléphone dans une main. Le jeune homme à ses côtés lui demande d'appeler la police. Eva n'a pas de réseau. Ce fut peut être sa chance. D'autres témoins ont indiqué en effet que ceux qui sortaient leur mobile étaient exécutés.

"Le premier qui bouge, je le tue"

Le terroriste qui est au fond de la salle se rapproche de l'endroit où se trouve Eva et lâche : «Le premier qui bouge, je le tue.»

Curieusement Eva ne panique pas.

«Je ne ressentais rien, j'étais étonnamment calme, j'avais le sentiment que c'était irréel.»

Les rafales reprennent, puis d'un coup plus rien. Eva lève la tête, voit des gens sortir, se lève à son tour, attrape son sac, et s'enfuit en criant par l'entrée principale, d'où avaient fait irruption les terroristes une quinzaine de minutes plus tôt.

Un terroriste dehors?

A la sortie du bataclan, il y avait une barrière. Eva essaie de l'enjamber, tombe, et se coince la cheville. Là, à une dizaine de mètres sur la gauche, elle voit un homme en tenue sombre.

"Il était calme, n'a rien dit, n'est pas venu vers nous, et je crois qu'il avait une arme à la main. Je pensais qu'il allait m'abattre", dit-elle. Etait-ce un complice des assaillants qui faisait le guet ou le chauffeur s'interroge-t-elle? Personne jusqu'à présent n'a parlé d'une personne à l'extérieur.

Plus tard, elle racontera ce passage aux policiers qui recueillaient les témoignages. Dimanche, elle ira à nouveau faire état de ses doutes dans un commissariat du XIe arrondissement. Eva le concède bien volontiers. Elle a vu ce visage une fraction de seconde et ne saurait le reconnaître. Tout est allé si vite.

«J'ai énormément de doutes. J'aimerais savoir s'il y a d'autres témoignages de gens qui sont sortis par l'entrée principale. (...) A ce moment, il y avait très peu de monde à l'extérieur, un ou deux pompiers.»

Deux heures dans une annexe du Bataclan

Eva ne s'attardera pas, à peine relevée, elle fonce sur la droite se réfugier, avec une trentaine de rescapés, dans une annexe du Bataclan (le local d'administration et de production) située à 20 mètres.
Certains vont au sous-sol, d'autres comme Eva se cachent dans une kitchenette. Ils sont une dizaine, dont trois Norvégiens venus passer le week-end à Paris, un britannique qui a reçu une balle dans le bras gauche, une jeune femme séparée de la personne qui l'accompagnait, une jeune fille qui appelait sa mère toujours coincée à l'intérieur. Un des rescapés lui prête un portable. Eva peut appeler ses proches. Il est environ 22 heures.

Dans ce local, l'ambiance est silencieuse. Une jeune femme lui confie aussi qu'elle ne ressent rien.

Plus de deux heures plus tard, après l'assaut du GIGN pense-t-elle, les policiers viennent les chercher. Le petit groupe est déplacé sous le porche d'un bureau de poste à proximité, puis dans un bar, "L'attitude Café", à l'angle des boulevards Voltaire et Richard-Lenoir.

Après avoir livré son témoignage à un policier qui interrogeait les rescapés un à un, Eva va chez sa sœur à République, accompagnée de son beau-frère venu très vite sur les lieux. Le matin, très tôt, elle rentre chez elle pour donner des nouvelles à d'autres proches et écouter les informations afin d'avoir plus d'éléments sur ce cauchemar. Eva est sous le choc.

«Sur le coup, on a tellement peur qu'on est insensible. Quand l'adrénaline est retombée, j'ai réalisé l'horreur», confie-t-elle, la voix nouée par les sanglots.

Soutien psychologique

Samedi, Eva est allée dans une cellule de soutien psychologique. Dimanche, elle est retournée à « L'attitude Café » pour remercier le patron et est repassée tout près du Bataclan, qu'elle a vu de loin, puis au commissariat de police pour déclarer la perte de son téléphone portable et reparler de cette silhouette qu'elle avait vue à la sortie du Bataclan.

La suite ? Eva l'envisage au jour le jour. Elle compte prendre très vite contact avec une spécialiste pour enlever, notamment cette "culpabilité qui l'habite de n'avoir rien pu faire pour les autres".

Vendredi, avant d'arriver au Bataclan, Eva avait quitté le bureau en plaisantant: « C'est vendredi 13, je devrais jouer au loto. » Elle n'a pas joué mais, comme elle le dit, elle « a eu une chance inouïe d'être sortie indemne de ce cauchemar ».