Déserts médicaux : faut-il interdire aux médecins de s'installer où bon leur semble  ? Les députés débattent

Par latribune.fr  |   |  848  mots
Plus de 200 parlementaires veulent limiter l'installation des médecins là où leur nombre est jugé « suffisant », pour les pousser à exercer dans les zones « sous-dotées ».
A quelques heures de l'examen à l'Assemblée nationale d'une proposition de loi sur l'accès aux soins pour en finir avec les déserts médicaux, François Braun, ministre de la Santé, a mis en garde ce lundi contre un amendement, dont les chances d'être adopté sont fortes, sur une limitation de la liberté d'installation des médecins qui risque de « pourrir la situation ».

« Ca va être chaud » : le ministre de la Santé, François Braun, s'attend à un combat « très compliqué » dans l'hémicycle à partir de lundi soir, à l'occasion des débats autour d'une proposition de loi sur l'accès aux soins.

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Une bataille qui devrait atteindre son paroxysme mardi ou mercredi avec l'amendement porté par le socialiste Guillaume Garot et soutenu par plus de 200 députés de tous les groupes, y compris dans la majorité. Ces parlementaires veulent limiter l'installation des médecins là où leur nombre est jugé « suffisant », pour les pousser à exercer dans les zones « sous-dotées ». Ainsi, les médecins libéraux et chirurgiens-dentistes ne pourraient s'installer « de droit » que dans les zones qui manquent de soignants. Pour aller dans une zone déjà bien pourvue, ils devraient obtenir une autorisation de l'Agence régionale de santé (ARS), qui serait conditionnée par exemple au départ à la retraite ou au déménagement d'un médecin exerçant le même type d'activité

« Médecine à deux vitesses »

« Ca va être totalement contre-productif », a au contraire affirmé François Braun devant des journalistes. « Les jeunes ne vont pas vouloir s'installer, les plus anciens vont dire : « C'est bon, on déplaque », quand d'autres vont choisir le « déconventionnement » et ne seront plus remboursés par la Sécurité sociale, conduisant à « une médecine à deux vitesses ». Malgré ces arguments, le ministre a reconnu « des chances de perdre face à cet amendement » et battu le rappel des troupes : « Avec un hémicycle plein, on peut le repousser (...) On a une chance de le bloquer, mais elle est mince, il va falloir la saisir ».

Pour Frédéric Valletoux, député du camp présidentiel (groupe Horizons), qui porte le texte, pour « l'engagement territorial des professionnels », ce n'est pas la solution à court terme. Il est opposé à une « régulation » immédiate, estimant que les effectifs de médecins seront trop faibles ces cinq ou 10 prochaines années pour qu'elle résolve le problème : « j'y serai favorable le jour où on a des effectifs de soignants important à dispatcher sur le territoire. »  Emmanuel Macron est aussi opposé à la régulation, comme Elisabeth Borne qui a expliqué sur France 3 agir par « toute une série de mesures », de la suppression du numerus clausus pour former plus de médecins, aux assistants médicaux pour permettre aux praticiens de voir plus de patients. Le nombre de maisons de santé, où des médecins peuvent exercer avec des infirmières notamment, doit en outre passer d'environ « 2.300 aujourd'hui à 4.000 à la fin du quinquennat, » a-t-elle ajouté.

« La santé ne peut plus dépendre de notre code postal »

A l'inverse, pour Guillaume Garot, élu de l'opposition (groupe socialiste), c'est au contraire un « levier » indispensable. La santé ne peut plus dépendre de notre code postal, insiste l'élu de la Mayenne. Pour convaincre, il a lancé il y a plusieurs mois un tour de France des déserts médicaux, réunissant autour de son propre texte un groupe transpartisan de 207 députés issus de presque tous les groupes, hors RN. Mais n'ayant pas obtenu l'inscription de son texte à l'agenda de l'Assemblée nationale, il veut profiter de la fenêtre de tir qu'offre la proposition Valletoux pour passer ses mesures par voie d'amendement.

En commission à l'Assemblée nationale, le groupe transpartisan a notamment décroché un encadrement des aides financières à l'installation (une seule tous les dix ans) et le principe d'un préavis de six mois pour mieux anticiper les départs inopinés, y compris de dentistes et de sages-femmes.

La profession sur le pied de guerre

Une adoption de ce principe de « régulation » serait vécue comme un casus belli par plusieurs représentants de médecins libéraux, qui considèrent déjà que le texte version Valletoux va trop loin. La proposition de loi entend aussi interdire l'intérim en début de carrière pour certains soignants, et ouvrir dès la troisième année d'études la possibilité pour les médecins de signer des « Contrats d'engagement de service public » prévoyant une allocation mensuelle contre un engagement dans un désert médical.

La profession est sur le pied de guerre : quatre des six syndicats représentatifs (Avenir Spé, UFML, FMF, SML) ont annoncé lundi une grève illimitée à partir du 13 octobre. Mais le ministre de la Santé redoute que les choses ne s'enveniment rapidement. « Si tout le système de santé part complétement en spirale dès jeudi [dans l'hypothèse où l'amendement controversé est voté], je verrai leurs représentants tout de suite », a-t-il assuré, soulignant que « l'animosité est vraiment contre cet amendement » qui « va pourrir la situation ».

Anticipant des débats potentiellement acharnés et avec plus de mille amendements déposés, le ministre n'est « absolument pas certain de pouvoir aller au bout » du texte cette semaine et envisage déjà « d'y revenir en juillet » lors d'une probable session extraordinaire du Parlement.

(Avec AFP)