Le Médicobus de l'Orne : une réponse contrariée aux déserts médicaux

REPORTAGE. Le Médicobus a permis à des milliers de patients du département de l’Orne d’être pris en charge à la suite de la pénurie de médecins. Même si cette solution reste plébiscitée par la population, elle est néanmoins le reflet d’un profond désarroi. Cet article est issu de T La revue n°14 - Santé : un équilibre en jeu, actuellement en kiosque.
Le Médicobus est un camping-car réaménagé en cabinet médical ambulant. Avec un objectif principal : proposer l'accès aux soins à des patients qui n'ont plus de médecin traitant et vivent dans un désert médical.
Le Médicobus est un camping-car réaménagé en cabinet médical ambulant. Avec un objectif principal : proposer l'accès aux soins à des patients qui n'ont plus de médecin traitant et vivent dans un désert médical. (Crédits : Denis Allard/Leextra pour La Tribune)

Le sujet est au centre des conversations du café à l'entrée de Mortagne-au-Perche. « Il y a le Médicobus aujourd'hui à la Chapelle-Montligeon. C'est nouveau dans ce village car le médecin est parti à la retraite », dit l'un des clients. La patronne enchérit : « J'y suis allée la semaine dernière. C'est une excellente initiative, en revanche le lieu est un peu exigu. »

De fait, le Médicobus est un camping-car réaménagé en cabinet médical ambulant. Avec un objectif principal : proposer l'accès aux soins à des patients qui n'ont plus de médecin traitant et vivent dans un désert médical. Le département de l'Orne, où se trouve La Chapelle-Montligeon, a perdu neuf médecins en 2022 pour cause de départ à la retraite. Cinq autres raccrocheront le stéthoscope d'ici le mois de juin 2023, venant ainsi accroître la tension en termes de besoin de soins qui existe actuellement dans le département. En 2012, ce dernier comptait 220 médecins, il n'y en a plus que 151. Une perte sèche de praticiens qui n'a pas été anticipée par les différents gouvernements successifs et qui conduit, aujourd'hui, à ce que nombre de départements se retrouvent dans la même situation que l'Orne. « Le Médicobus est né pour gérer l'urgence, pour assurer la continuité des soins et pour faire en sorte que les patients ne soient pas totalement abandonnés. Cela est notre vocation, mais la colère de devoir recourir à de telles initiatives est réelle », confie le docteur Jean-Michel Gal, président du Conseil de l'ordre des médecins de l'Orne, et président de l'association qui gère le Médicobus.

L'idée de ce dispositif a germé fin 2020 alors que la commune de Nocé n'avait plus de médecin. Proposé par la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) de l'Orne, le Médicobus a démarré début janvier 2021 et mobilise aujourd'hui dix médecins qui se relaient en fonction des jours, deux assistantes médicales qui gèrent le bus et les papiers des patients. Pour que le dispositif soit efficace, il repose sur une procédure ultrasimple. Le patient appelle un numéro dédié, celui de la Cellule de soins non programmés, basée à Caen, qui gère les appels et répartit les malades en fonction des pathologies constatées lors de l'entretien avec un soignant. S'il est dirigé vers le Médicobus, le patient est rappelé par un médecin qui, le cas échéant, lui propose une consultation médicale dans le bus.

La tournée des médecins

L'attelage compte aussi une directrice, Karine Foucoin, qui s'occupe des relations avec les institutionnels, de la recherche de financements et de la gestion du budget d'un montant total de 500 000 euros. « Mon rôle est de gérer les contrats de travail des médecins qui sont salariés de la structure, mais aussi les relations avec les mairies qui, si elles souhaitent être partenaires, doivent mettre à disposition du Médicobus une salle d'attente et un bureau pour l'assistante médicale le temps de la consultation », explique Foucoin. C'est elle qui a négocié cela avec la commune de La Chapelle-Montligeon. La tournée s'arrête désormais dans ce petit village au sanctuaire célèbre. L'effet a été immédiat et les consultations sont pleines. Dans la salle d'attente, Anne-Marie, 77 ans, confie : « Au moment où le médecin de La Chapelle a pris sa retraite j'ai été très inquiète. Le Médicobus me permet d'avoir un médecin traitant. C'est indispensable pour moi qui ai besoin d'un suivi et d'un traitement régulier. » Sur les sept patients présents ce jour-là en salle d'attente, plus un seul n'avait de médecin traitant. Tous ont choisi de faire du Médicobus leur « médecin traitant ». Peu importe si les médecins ne sont pas toujours les mêmes, « ce qui compte c'est de pouvoir être suivi, de pouvoir avoir un rendez-vous rapidement, et de ne pas avoir à aller à cinquante ou soixante kilomètres de chez nous, voire en région parisienne pour être soigné », juge Richard, 44 ans, qui est « agréablement surpris » de la consultation « efficace » et « précise » qu'il a eue la semaine précédente dans le camping-car médical. « Je sais désormais que je suis entre de bonnes mains. J'ai laissé traîner quelque chose faute de médecin. Je m'en mords les doigts. Mais désormais cela est pris en charge », glisse-t-il, ému.

Un vrai cabinet médical

Même son de cloche du côté de Céline, avec en sus un brin d'amertume : « Cela devenait infernal de ne plus pouvoir accéder de façon simple à la santé. Le Médicobus est un joli pis-aller. Vous à Paris vous ne connaissez pas cela, mais nous la France déclassée, nous le vivons au quotidien. »

« Le mot pis-aller est un peut-être un peu fort car le Médicobus est un vrai cabinet médical mais l'idée est totalement celle-ci par rapport à la situation générale et à ce que vivent les patients », concède le docteur Gal. « Nous avons fondé ce dispositif pour assurer la permanence des soins, donner accès à un médecin à des malades chroniques qui en ont un grand besoin, et aussi pour montrer que la profession se démène », poursuit le praticien qui assure la consultation dans le cabinet mobile en plus de la gestion de son propre cabinet à Mortagne-au-Perche. Le jour de la visite, il a ainsi travaillé le matin à son bureau, est venu à 13 heures à La Chapelle-Montligeon pour l'après-midi jusqu'à 18 heures et est ensuite retourné terminer son travail au cabinet. En 2022, le cabinet ambulant a permis d'accomplir près de 9 000 actes médicaux et 2023 devrait voir ce nombre progresser encore puisque de nouveaux praticiens, souvent à la retraite, vont venir prêter main-forte et que des sages-femmes font aussi désormais partie de l'équipe.

Un climat sous tension

« Nous avons clairement réussi quelque chose, se réjouit le docteur Gal, cependant l'impression que nous avons est de nous battre tout seuls et de vider la mer à la petite cuillère. » La mer en question est celle d'une « tension sans précédent sur les soins », d'une « apathie totale des gouvernements qui n'ont rien fait depuis trente ans notamment sur le numerus clausus » pour pallier cette « démographie vieillissante des médecins généralistes » qui était pourtant connue de tous. « Ils ont pensé que la réduction de l'offre de soins réduirait le nombre de malades. Une idée aberrante », tonne le docteur Gal. Et de poursuivre : « C'est tout l'inverse qui se produit puisque la vie s'allonge, que les maladies deviennent de plus en plus complexes et que le besoin de soins de façon régulière est de plus en plus important. »

L'autre objet du courroux du praticien est aussi cette « façon de maltraiter la profession de médecin généraliste ». En ligne de mire : le projet du gouvernement de vouloir remédier au manque de médecins en autorisant les pharmaciens et les infirmiers à faire des prescriptions. « Voilà une riche idée. Ils vont prescrire. Très bien. Reste que le problème n'est pas le nombre de prescription, mais la capacité à faire des diagnostics ! », tempête encore le docteur Gal, sans pour autant se départir de sa bonhomie et de son envie de faire les choses bien.

Entendant le médecin dire cela en saluant, Anne-Marie renchérit : « Comment est-il possible qu'en 2023 en France nous en soyons arrivés à cette situation totalement folle ? Cela me met en colère. Profondément. Ils se moquent de nous. Ils sont tous pareils ! » La patiente marque un temps d'arrêt puis reprend : « à croire que nous allons être contraints d'essayer les seuls qui n'ont jamais gouverné ! »

En l'occurrence, le Rassemblement National. Ausculter la question des déserts médicaux, et les palliatifs qui sont mis en place, c'est aussi prendre le pouls du pays. Ce pays dans lequel une partie de la population se sent de plus en plus délaissée. « Nous n'avions déjà plus beaucoup de commerces, plus vraiment de services publics, désormais nous n'avons plus de médecins et nous devons aller au Médicobus. Pourquoi ? » s'interroge Richard. Au-delà des superbes initiatives comme celle du bus, il est plus que temps d'apporter une réponse politique à Richard et aux autres.

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