Déserts médicaux et tensions à l'hôpital  : la télémédecine est-elle la solution  ?

SANTÉ. Face aux déserts médicaux dans lesquels vivent 6 à 8 millions de Français et aux crises successives à l’hôpital, la télémédecine s'impose comme un des outils permettant d’améliorer l’accès aux soins. Mais alors que le gouvernement veut poser des garde-fous à la pratique, où en est réellement cette médecine à distance ? Et quelles sont ses limites ? Suivez en direct ce mardi 8 novembre 2022 sur latribune.fr notre Forum Santé Innovation organisé à Lyon.
(Crédits : Reuters)

Après l'incroyable boom des deux premiers confinements, la téléconsultation est entrée dans les habitudes des patients comme des médecins. Ces consultations face caméra sont passées de 140 000 en 2019 à plus de 18 millions en 2020. Depuis le soufflet est un peu retombé et elles représentent désormais 5% des consultations. Sous le coup d'accélérateur donné par la crise sanitaire la télémédecine a aussi révélé dérives et limites dans un « Far West des téléconsultation» dénoncé sur TF1 par le patron de l'Assurance maladie, Thomas Fatôme.

Pour remettre un peu d'ordre, le gouvernement a profité du dernier projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), en cours d'examen au Parlement. Désormais, les sociétés de télémédecine devront recevoir un agrément pour facturer les actes à l'Assurance maladie. Autre tour de vis, la fin du remboursement des arrêts de travail délivrés à distance, sauf ceux prescrits par le médecin traitant ou un praticien consulté moins d'un an auparavant. Certains députés voulaient même aller plus loin et imposer la présence d'un professionnel de santé auprès du patient lors de la téléconsultation, mais l'amendement n'a pas survécu à la troisième activation du 49-3.

En toile de fond, la crainte de voir fleurir des télécabines médicales dans les supermarchés, un pas déjà franchi notamment par Monoprix. « Un certain nombre de plateformes de téléconsultation s'installent un peu partout sur le territoire, répondant à des principes commerciaux, indépendamment des besoins de soins, observe le docteur Franck Devulder, président de la CSMF, premier syndicat de médecins libéraux. Si une entreprise veut implanter une cabine de téléconsultation dans un bassin où l'offre de soins est déjà parfaitement orchestrée, dont acte. Mais elle ne devrait pas donner droit à un remboursement de l'Assurance maladie, c'est-à-dire avec nos cotisations sociales ».

Multitude d'acteurs

Depuis la généralisation du remboursement des téléconsultations, en 2018, les opérateurs se sont multipliés sur le marché français. Un marché estimé entre 3,7 et 5,4 milliards d'euros par l'Institut Montaigne et Mc Kinsey (en incluant téléexpertise et télésurveillance). La palette de solutions va de la mise en relation en vue d'une consultation par une interface dédiée (comme Doctolib ou Qare, par exemple), à l'installation de bornes ou des fameuses cabines médicales connectées (notamment Medadom, Tessan, ou H4D). Jonathan Ardouin directeur général de Livi France avance : « En médecine générale, un peu plus de 60% des cas peuvent être traités en téléconsultation, à condition que le médecin soit formé et l'anamnèse (interrogatoire médical portant sur le problème du patient et ses antécédents ndlr) bien faite. Notre approche combine physique et digital, en travaillant avec des offreurs de soins dans les territoires, centres de santé ou hôpitaux. Si une consultation physique est nécessaire, après une téléconsultation, nous pouvons orienter le patient pour un suivi près de chez lui, en transmettant le dossier médical et éventuellement une lettre confraternelle. La continuité des soins peut exister avec deux médecins différents ». Cette filiale du groupe Suédois Kry propose des consultations à distance avec 500 généralistes et spécialistes qu'elle salarie, et a aussi ouvert des centres de santé, notamment avec le groupe d'hospitalisation privée Elsan. Selon ses statistiques, la téléconsultation éviterait un passage aux urgences pour 22% de ses utilisateurs. La plateforme participe aussi plus directement à la régulation à travers des partenariats avec des Centre-15 pouvant réorienter vers une téléconsultation.

Téléconsultation assistée

Malgré la multiplication de ces solutions, certaines populations restent sur le carreau, en particulier les plus âgés, près de 70% des 75 ans et plus souffrant d'illectronisme. A cela, s'ajoutent les difficultés liées aux zones blanches (dans lesquelles vivent 10% de la population) ou aux connexions aléatoires. Le professeur Pierre Simon est fondateur de la Société française de télémédecine : « La téléconsultation dite solo - un patient se débrouille seul pour joindre un médecin en ligne- ne touche pas les personnes âgées, ou très peu. Dans les déserts médicaux, il faut développer la téléconsultation assistée. Elle repose sur la coopération pluridisciplinaire entre les médecins et les infirmiers de ville, voire de pratique avancée, afin de permettre la mobilité des professionnels de santé au domicile des patients incapables d'aller par eux-mêmes sur un site web ».

Ce type de dispositif est déjà expérimenté dans les Ehpad depuis quelques années (en particulier dans le Grand-Est). Il a fait partie de la boîte à outils du ministre de la Santé, François Braun, pour répondre à la crise des urgences cet été. Après un appel au Centre 15, le médecin régulateur peut envoyer une « unité mobiles de télémédecine » au domicile du patient. Équipé d'une mallette, intégrant un système de visioconférence et des objets médicaux connectés, un infirmier fait le lien avec un médecin. Ce système a été déployé, en particulier avec l'association Sauv Life, notamment en Île-de-France, dans le Haut-Rhin et dans la Manche.

La téléconsultation n'est pas la seule solution de e-santé. Face au manque de spécialistes dans certains territoires (gynécologues, pédiatres, gastro-entérologues, et psychiatres), la télé-expertise peut apporter un début de réponse. Ouverte à tous depuis le 1er avril, elle permet aux médecins exerçant en ville ou à l'hôpital, de recueillir l'avis d'un confrère et d'éviter une consultation pour les cas les plus simples. De son côté, la télé-surveillance rend possible le suivi à distance de malades présentant un risque d'hospitalisation. Après plusieurs années d'expérimentation, son remboursement entrera dans le droit commun le 1er juillet prochain. Elle concernera les personnes souffrant de diabète, d'insuffisances cardiaque, rénale et respiratoire, ainsi que celles équipées de prothèses cardiaques. A la clé, un gain de temps non négligeable pour des médecins débordés, mais aussi un suivi facilité pour les malades.

20% maximum d'activité

« La télémédecine peut aider, mais ne peut être à elle seule une solution aux problèmes d'accès aux soins », a averti le Haut conseil à l'avenir de l'assurance maladie (HCAAM) dans un récent rapport. Pour l'heure, elle reste encore très minoritaire dans l'exercice des médecins, qui ont l'obligation de ne pas consacrer plus de 20% de leur activité aux consultations à distance. D'autres limites subsistent. « Lors d'une primo consultation, il manque vraiment quelque chose si un médecin n'a jamais vu le patient. Dans les déserts médicaux, la consultation derrière une caméra ne pourra jamais remplacer une consultation physique, l'examen médical reste absolument essentiel », souligne le docteur Franck Devulder. Sans compter les frustrations dans la relation médecin-patient et la nécessité pour le professionnel de s'adapter à cette nouvelle forme d'exercice.

En revanche sur le plan technologique de nombreuses barrières ont été, ou seront bientôt, levées. Première d'entre elles, la généralisation de la fibre attendue en 2025. « Avant 2019 et 2020, le principal frein à la téléconsultation n'a pas été la réglementation mais l'insuffisance de maturité des solutions numériques. Or, elles ont formidablement progressé, en particulier sous l'impulsion de la Délégation du numérique en santé, qui a œuvré à la création d'un écosystème permettant une interopérabilité entre les différents logiciels de santé. D'ici 2023, notre système numérique sera très performant et permettra de développer pleinement les pratiques de médecine à distance », observe le docteur Pierre Simon. Pour accompagner l'essor de la e-santé, le volet numérique du Ségur de la santé est doté d'une enveloppe de 2 milliards d'euros.

Cet alignement des planètes devrait aussi stimuler l'innovation, même si certains n'ont pas attendu. L'hôpital privé Saint-Martin de Caen teste le robot intelligent Médian, développé par la start-up Conscience Robotics. Conçu pour améliorer la prise en charge des patients aux urgences ou après une opération, il est doté d'un bras articulé (équipé d'une caméra haute définition) et peut être déplacé à distance par un praticien. Sans aller jusqu'à Xiaoyi ( « petit robot »), l'humanoïde chinois qui avait réussi le concours écrit de médecine, l'intelligence artificielle pourrait également être mise à profit pour faciliter l'accès aux soins dans les années à venir.

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Commentaires 4
à écrit le 09/11/2022 à 18:09
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Bonjour, Je remarque que la santé coûte très chère au français et qu'ils n'y a plus ou peux de médecin a la campagne ... En moyenne pour avoir un RDV vous attendez 10 a 30 jours ... Les urgences sont fermés et pour accoucher ils vous faut faire 50 k...

à écrit le 08/11/2022 à 9:05
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Un moyen supplémentaire pour déshumaniser la société et annihiler définitivement le rapport de confiance qui existait généralement entre un médecin de famille et son patient. Bravo, quel progrès sociétal!

le 08/11/2022 à 15:45
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dans la desumanisation des services de l'etat on doit commencer par le poste le plus haut et nomme un mandat d(un an non renouvlable idem pour les ministres et chef de cabinet et bien entendu ce sont des fonctions sans remuneration ni cotisation...

à écrit le 08/11/2022 à 8:47
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"la télémédecine est-elle la solution ?" Apparemment non, puisque l'article précise que "le soufflet est un peu retombé et elles représentent désormais 5% des consultations". Que le chiffre soit élevé pendant un confinement cela parait logique pu...

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