Face aux crises, les aides de l'Etat pour l'agriculture ont explosé en 10 ans

Par latribune.fr  |   |  654  mots
En 2022, les aides de crise pour le secteur agricole ont dépassé les 2 milliards d'euros, soit 40% du budget prévisionnel du ministère de l'Agriculture. (Crédits : Reuters)
Alors que le mal-être des agriculteurs français s'exprime au grand jour depuis le début de l'année, une étude de l'Institut de l'économie pour le climat montre que le soutien d'Etat a bondi depuis trois ans. Une dépense publique massive qui inquiète « dans un contexte budgétaire contraint » et alors que les crises climatiques ou géopolitiques risquent de « s’intensifier dans les prochaines années », avertissent les auteurs du rapport.

Grippe aviaire, crise du Covid, guerre en Ukraine, aléas climatiques... Jamais les fléaux extérieurs subis par les exploitations françaises n'ont été aussi nombreux. En conséquence de ces catastrophes imprévues pour les agriculteurs, l'Etat français a dépensé toujours plus d'argent public ces dix dernières années, comme le montre l'étude de l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE), la première du genre.

Ainsi, entre 2013 et 2022, les aides versées aux agriculteurs français en cas de crises climatiques, sanitaires ou globales ont littéralement bondi. Sur la dernière année de l'étude, elles ont même dépassé les 2 milliards d'euros, soit 40% du budget prévisionnel du ministère de l'Agriculture, affirme ce rapport « commandé à l'automne 2023 » et qui se présente donc comme décorrélé de la crise qui agite le monde agricole français.

Or, toujours selon cet institut présidé par l'économiste Jean Pisani-Ferry, en plus de ne pas être « satisfaisantes », ces aides de crise ne seraient pas efficaces. « Les aides ne rendent pas les exploitations plus robustes (...) et ces aides se font au détriment d'autres choses », pointe cet institut créé à l'initiative de deux entités publiques, la Caisse des Dépôts et l'Agence Française de Développement.

Les dépenses de prévention ont triplé en 10 ans

Ainsi, lorsque les aides augmentent « tout le monde est perdant » : « La puissance publique, qui dépense davantage (...) et les agriculteurs, qui préfèreraient vivre du fruit de leur travail et ne pas le voir parfois entièrement perdu », estime I4CE.

Ce document de 20 pages, qui analyse « le système de gestion du risque agricole », est surtout là pour « poser la question de l'équilibre des dépenses publiques et des enjeux de la transition écologique ». Le tout, « dans un contexte budgétaire contraint ». Par exemple, lorsque des fonctionnaires sont dédiés à la gestion de crises agricoles, ils ne le sont plus pour la transition écologique, pointent les auteurs dont les estimations se basent sur les données publiques essentiellement du ministère de l'Agriculture et celles de l'Union européenne.

Dans le détail, les dépenses d'indemnisations et de gestion des crises sont restées limitées jusqu'en 2015, ne dépassant pas 100 millions d'euros, et ont ensuite été comprises entre 200 et 500 millions par an de 2016 à 2020.

Mais elles ont ensuite explosé en 2021 (environ 1 milliard) et en 2022 (2,1 milliards), selon l'étude publiée jeudi.

« Les dépenses de prévention et de surveillance ont triplé en 10 ans », notamment via la mise en place d'une fiscalité avantageuse pour les agriculteurs, expliquent les chercheurs.

Des pistes pour limiter la dépense publique

Pour expliquer cette progression, l'institut évoque « l'intensité croissante des aléas », « le montant croissant des pertes économiques provoquées par un même aléa » et « la part croissante du public dans la couverture des pertes », note l'institut qui veut aider à identifier les « risques majeurs assurables » et les « non assurables ».

Autres solutions prônées, une réforme de l'assurance-récolte, l'adaptation du modèle agricole au changement climatique et, plus globalement, « poser la question du financement du modèle agricole ».

Ce soutien massif de l'Etat est une particularité de la France. Au niveau européen, la tendance est à la réduction des soutiens. Selon la fondation Farm, le soutien total à l'agriculture et l'alimentation des pays de l'UE a en effet fortement diminué depuis le début du millénaire, passant de 41% de la valeur de production agricole en 2000-2002 à 25% en 2019-2021.

Le budget agricole de la France s'élève, lui, à 15 milliards d'euros par an, a détaillé jeudi au Salon de l'agriculture l'économiste de l'Inrae Hervé Guyomard: 6 milliards sont pris en charge par Paris, principalement sous la forme d'avantages fiscaux et de réduction de cotisation sociales, et 9 milliards sont versés par la Politique agricole commune (PAC) de l'UE.