Faut-il une bulle immobilière pour relancer la croissance ?

Par Mathias Thépot  |   |  1205  mots
Quel serait le prix à payer d'une hausse des prix de l'immobilier ?
Créer un environnement propice au développement d'une bulle immobilière est souvent le meilleur moyen pour relancer la croissance et l'emploi... mais au prix de l'instabilité financière, voire de la perte de compétitivité.

Avant les échéances électorales de 2017, François Hollande doit relancer l'emploi et la croissance s'il veut avoir une chance d'être réélu. D'autant qu'il a par ailleurs assuré qu'il ne se représenterait pas à la prochaine élection présidentielle s'il n'inversait pas la courbe du chômage. Pour ce faire, il a créé un contexte favorable à l'offre en France. Mais même cumulés au recul du prix des matières premières, les milliards d'euros dépensés en baisses de charges pour les entreprises n'ont pas porté leurs fruits. Les entreprises préfèrent encore « reconstituer » leurs marges, plutôt que d'investir. Le secteur industriel a par exemple réduit ses investissements de 2 % en 2015. Sur le front de l'emploi, ce n'est pas mieux : le taux de chômage au quatrième trimestre 2015 s'est établi à 10,3 % en moyenne. Les efforts budgétaires du gouvernement sont donc pour l'instant inefficaces. Comment faire alors pour relancer la croissance et l'emploi avant 2017 ? Le gouvernement a une idée en tête : relancer l'immobilier.

Relance de la propriété

C'est d'ailleurs notamment pour cela que du côté de Bercy, on semble prêt à lâcher du lest sur les restrictions budgétaires demandées aux collectivités locales, qui investissent massivement dans le secteur du bâtiment, fort de plus d'un million d'emplois. Du reste, avec l'élargissement des prêts à taux zéro (PTZ) et l'assouplissement du dispositif d'aide fiscale à d'investissement locatif Pinel, le gouvernement montre depuis quelques mois que son objectif est désormais de renforcer l'investissement des ménages dans l'immobilier. Il fait ainsi passer un message de soutien à la hausse des prix de l'immobilier afin de diriger les anticipations des ménages vers l'achat. Le but est d'enclencher « un cercle vertueux » autour de la dépense en logement des ménages, qui représentait en France près de 22 % du PIB en 2014, soit 468,4 milliards d'euros, selon les Comptes de Logement.

Une stratégie payante ?

Cette stratégie de l'exécutif de dynamiser la demande pour faire monter les prix de l'immobilier peut-elle s'avérer payante ? Oui, à en croire les estimations de l'économiste du Cepii Thomas Grejbine, pour qui « une augmentation des prix immobiliers de 1 % dans les pays de l'OCDE conduit à une hausse du PIB de 0,6 %, ainsi qu'à une hausse de 1 % de l'activité de la construction ». Et sur le front de l'emploi, « en France, une hausse des prix immobiliers de 1 % conduit à une augmentation de l'emploi total de 0,15 %, et de 0,6 % dans la construction », ajoute-t-il.

Mais au-delà des douze prochains mois, peut-on penser qu'il serait meilleur pour la croissance et l'emploi de créer un environnement favorable à la formation d'une bulle immobilière, caractérisée par une hausse des prix des logements déconnectée de l'inflation ? Car il faut dire qu'un phénomène de stagnation séculaire des économies occidentales est en marche, du fait principalement de la baisse de la productivité marginale du capital et du travail.

Corrélation entre hausse des prix de l'immobilier et croissance

La question mérite d'être posée, car les exemples de corrélation entre une hausse des prix de l'immobilier et un niveau de croissance du PIB élevé sont multiples. On l'a vu récemment au Royaume-Uni, qui a mis en œuvre ces dernières années le programme « Help to buy », hyper avantageux pour l'achat immobilier des ménages. Celui-ci a participé à l'envolée des prix de l'immobilier outre-Manche, qui ont atteint un niveau record en 2014 après une hausse annuelle de 11 %. Dans le même temps, la croissance britannique a repris de la vigueur : + 2,2 % en 2013 et + 2,9 % en 2014, selon Eurostat. Clairement, une bulle immobilière s'est formée outre-Manche, notamment à Londres, où la hausse des prix de l'immobilier, qui ont bondi de 18 % en 2014 et de 12 % en 2015, désespère toutefois les Londoniens. De même, aux Etats-Unis, le retour de fortes hausses de prix de l'immobilier (+25 % entre janvier 2012 et septembre 2014, selon les chiffres de l'économiste du Cepii) a contribué à la reprise récente de la croissance : +2,3 % en 2012, +2,2 % en 2013 et +2,4 % en 2014, selon la Banque mondiale.

Nécessaire d'engendrer des bulles ?

Si l'on prend en compte un horizon plus lointain, le constat ne change pas : les pays ayant connu des booms importants de l'immobilier sont aussi ceux qui ont connu la croissance la plus forte. Par exemple en Europe, entre 1995 et 2007, le Royaume-Uni, l'Espagne et l'Irlande ont vu leurs prix réels de l'immobilier croître respectivement de 168 %, 117 % et 266 %, alors que la croissance de leur PIB entre 1990 et 2013, crises comprises, fut de respectivement 60 %, 50 % et 150 %, selon les travaux de l'économiste du Cepii. Or, à l'inverse, en Allemagne, les prix réels de l'immobilier ont baissé de 17 % entre 1995 et 2007, alors que la croissance du PIB entre 1990 et 2013 n'a atteint que 35 %...

Et la situation aux Etats-Unis, si l'on sélectionne les années précédant la crise des subprimes de 2007, fut similaire à celle enregistrée dans les pays ayant connu des booms de l'immobilier. « Désormais, il pourrait être nécessaire d'engendrer continuellement de nouvelles bulles pour que les économies avancées atteignent le plein-emploi », note Thomas Grejbine. Dont acte.

Réalité préoccupante

Mais ces corrélations de chiffres s'accompagnent bien évidemment d'une réalité plus préoccupante. D'abord, la formation d'une bulle immobilière coïncide presque toujours à une montée de l'instabilité financière liée aux complexes innovations des banquiers, la crise des subprimes aux Etats-Unis en est le meilleur exemple. La solution viendrait alors d'un contrôle accru des pratiques. Mais la régulation financière mondiale reste aujourd'hui très insuffisante, malgré la crise financière de 2008. Au moindre choc - comme par exemple l'éclatement d'une bulle immobilière dans un pays occidental -, c'est toute l'économie mondiale qui serait affectée et qui replongerait dans une nouvelle récession, dans laquelle les plus fragiles se retrouvent toujours plus empêtrés dans le temps que les ménages aux revenus plus aisés.

Effets pervers

Ensuite, une politique visant coûte que coûte à favoriser l'accession à la propriété peut avoir des effets pervers. Créer une société de propriétaires pour tirer la croissance, comme jadis l'avait promis Nicolas Sarkozy en France, c'est aussi favoriser le creusement des inégalités entre les propriétaires qui profitent des effets richesses liés à la hausse des prix de l'immobilier, et des locataires aux revenus modestes dont le coût pour se loger restera prééminent par rapport à leurs revenus.

Enfin, la hausse des prix de l'immobilier peut, dans un contexte concurrentiel toujours plus accru au niveau international, générer une perte de compétitivité pour un pays. La forte croissance des prix de l'immobilier en France entre 1997 et 2011 a en effet été désignée par de nombreux experts comme l'une des causes des maux de l'économie française. Que ce soit à cause de la pression sur les salaires nominaux qui en découle, de l'augmentation des prix des loyers pour les entreprises, de l'éloignement des salariés de leur lieu de travail, ou même de l'impossibilité pour les ménages de dégager des marges de manœuvre financières pour consommer ou épargner autre chose que de l'immobilier.