Financement du terrorisme : la France bande ses muscles, et les autres pays ?

Par Fabien Piliu  |   |  1088  mots
Michel Sapin appelle les partenaires de la France à se mobiliser et à agir en totale coopération pour lutter contre le financement du terrorisme
Michel Sapin, le ministre des Finances, a présenté ce lundi une nouvelle série de mesures pour lutter contre le financement du terrorisme. La France est-elle isolée ?

C'est le branle-bas de combat à Bercy. Pour lutter contre le financement du terrorisme, Michel Sapin, le ministre des Finances, a détaillé une série de mesures permettant de participer à la lutte contre le financement du terrorisme. L'accent est mis sur la détection des circuits clandestins et suspects de financement en liquide.

Concrètement, il s'agit de mieux contrôler les transferts physiques de capitaux aux frontières. " La France a renforcé la portée de l'obligation déclarative pour les transferts vers un Etat membre de l'UE ou en provenance d'un Etat membre de l'UE. Cette obligation s'applique non seulement aux espèces mais aussi en cas de transfert d'or, de sommes, titres ou valeurs et de moyens de paiement (chèques, billets à ordre, mandats, etc). Elle s'applique même lorsque le transfert de valeurs a lieu par voie postale ", explique Bercy.

Or, cette obligation déclarative ne s'applique pas encore en cas d'envoi par fret. Le code monétaire et financier sera modifié au cours du 1er trimestre 2016, pour étendre cette obligation déclarative en cas de transferts de capitaux par fret « traditionnel » et express d'un pays de l'UE vers la France ou de la France vers un autre pays membre.

L'Union européenne doit suivre !

Les transferts de capitaux entrant dans l'UE ou en sortant seront également mieux surveillés. Actuellement, l'obligation déclarative ne s'applique ni aux transferts de capitaux par fret et voie postale, ni aux valeurs telles que l'or, les pierres précieuses, les plaques, tickets et jetons de casinos, ainsi que les cartes prépayées. La France demande que l'obligation déclarative s'applique tant pour ces valeurs que pour ces modes d'acheminement pour les mouvements entre l'Union européenne et les pays tiers. " Au sein de l'Union européenne, la France souhaite les mêmes évolutions ", précise le ministère. Un décret sera transmis au Conseil d'Etat début décembre avec une entrée en vigueur prévue au premier trimestre 2016.

Les cartes prépayées dans le viseur

Le gouvernement veut également faire reculer l'anonymat dans l'usage de cartes prépayées. Aujourd'hui, le code monétaire et financier permet l'utilisation des cartes prépayées sans vérification d'identité pour les cartes non-rechargeables de moins de 250 euros, et pour les cartes rechargeables jusqu'à 2.500 euros au total sur une année civile. " Il est urgent de renforcer le cadre d'ouverture et d'utilisation des cartes prépayées au niveau européen et en toute hypothèse, national (prise d'identité, alimentation de ces cartes, capacité de chargement) ", souhaite le ministère. Ces mesures feront l'objet d'un décret prochainement transmis au Conseil d'Etat et, pour celles d'entre elles qui sont de nature législative, seront intégrées au projet de loi sur la transparence de la vie économique

Geler les avoirs mobiliers, les voitures et ... les prestations sociales

Le gouvernement souhaite également renforcer les capacités de gel des avoirs terroristes en gelant les biens immobiliers et mobiliers. " Actuellement, les ministres des Finances et de l'Intérieur peuvent, conjointement, décider le gel, pour une durée de six mois renouvelable, de différents types d'avoir appartenant à des personnes physiques ou morales qui commettent, ou tentent de commettre, des actes de terrorisme ", rappelle le ministère. En pratique, ces mesures s'appliquent aux comptes bancaires. D'après la réglementation anti-terroriste européenne, toutes les catégories d'avoir sont théoriquement gelables. Ces mesures de " gel " vont donc être étendues aux biens immobiliers et mobiliers (véhicules). Enfin, le gel de certains versements de prestations en provenance d'organismes publics pourra être décidé. " Il n'y a pas de raison que les prestations sociales ne soient pas gelées. Les aides des collectivités locales sont également concernées. Ce sont des revenus comme les autres, qui peuvent être utilisés à des fins criminelles ", a déclaré Michel Sapin. Ces décisions seront également intégrées au projet de loi sur la transparence de la vie économique.

Toutes ces mesures complètent celles contenues dans le plan de lutte présenté en mars 2015 par le ministre.

La France fait cavalier seul

Que retenir de ce plan ? Parce qu'elle vient d'être la cible d'organisations terroristes, la France semble être en pointe dans la lutte contre le financement du terrorisme. En effet, plusieurs des mesures présentées ce lundi entreront d'abord en vigueur en France avant d'être discutées au niveau européen. Paris est-il isolé ? Il faudra voir avec quelle rapidité  Bruxelles agira. En attendant, la France sonne le tocsin.

Michel Sapin a demandé à ce que ces questions soient inscrites à l'ordre du jour lors du prochain Ecofin, le 8 décembre. La France réclame également que l'Union européenne se dote enfin des moyens humains, techniques et financiers pour traiter les données bancaires gérées par le système international Swift qui représentent 90% des transactions bancaires mondiales. Actuellement, ce sont les Etats-Unis qui le font. Donc, quand les pays européens veulent obtenir des renseignements sur des transferts ou des versements suspects, ils doivent demander des renseignements aux Etats-Unis... Alors que l'Oncle Sam est régulièrement suspecté d'espionner ses alliés européens, il faut admettre que l'Union européenne joue les tentatrices. " Les Etats-Unis sont nos amis et nos alliés. Ce sont aussi nos concurrents. Cette situation ne peut plus durer ", a rappelé Michel Sapin qui réclame par ailleurs que les services équivalents à Tracfin dont disposent les 28 pays de l'UE travaillent enfin la main dans la main. N'est-ce pas le cas aujourd'hui, en dépit des menaces ? Apparemment, non.

Culte du secret

Pour quelles raisons ? Le ministre a évoqué des "réticences", des "différences culturelles", un culte du secret et le rattachement dans certains pays de ces organismes à la Chancellerie et non au ministère de l'Economie. Un manque de volonté politique semble également évident. Comme le rappelle Michel Sapin, le GAFI publiera en février la liste des pays qui agissent et collaborent efficacement dans la lutte contre le terrorisme. Et les autres. " Après les attentats, nous avons reçu beaucoup de messages de sympathie du monde entier. C'est bien. Maintenant, il faut dépasser l'émotion", a déclaré Michel Sapin.

Alors que la coopération internationale anti-Daech peine à faire un front uni pour stopper les convois de camions gorgés de pétrole, de coton ou de phosphates vers la Turquie, il n'y a pas que les diplomates qui doivent se mobiliser.