Grand Paris Express : les élus d'Île-de-France dénoncent un "scandale d'État"

Par César Armand  |   |  1641  mots
La présidente de la région Île-de-France, Valérie Pécresse, a annoncé, dans la foulée des déclarations du gouvernement, qu'elle allait réunir tous les présidents des départements afin d'« explorer avec eux toutes les pistes qui permettraient d'accélérer la réalisation » et surtout d'évoquer avec eux « toutes les solutions alternatives de transport du quotidien qui pourraient alléger les difficultés de transport liées aux retards annoncés».
A la suite des annonces du gouvernement de ce matin sur le décalage dans le temps de certains tronçons et de lignes du Grand Paris Express, les élus de petite et grande couronne sont à la fois rassurés de voir un calendrier fixé, mais s'inquiètent déjà des conséquences de ces retards pour l'avenir de la région. Dans un communiqué au vitriol, les élus de la région jugent que l'État est incapable de "piloter ce projet".

Il était présent à la réunion d'arbitrage avant d'assister à la conférence de presse d'Édouard Philippe et d'Élisabeth Borne qui ont annoncé le maintien du projet du Grand Paris Express dans son intégralité, mais ont aussi reporté entre 2027 et 2030 la réalisation de certaines lignes. A l'issue des annonces, Jean-Yves Le Bouillonnec, maire (PS) de Cachan, vice-président de la métropole du Grand Paris chargé des Finances et surtout président du conseil de surveillance de la Société du Grand Paris (SGP), s'est dit satisfait de voir « l'État entrer dans l'histoire et assumer ses responsabilités : l'État ne paie pas un centime, mais c'est un projet de sa compétence. Il est donc engagé dans sa garantie, et c'est bien qu'il accompagne la démarche ».

En revanche, Grégoire de Lasteyrie, maire (LR) de Palaiseau, vice-président de Paris-Saclay chargé de l'Aménagement et de l'Attractivité territoire et président de l'Union des élus pour la ligne 18, regrette le report de la livraison du tronçon Orly-CEA Saint-Aubin :

« C'est une douche froide pour l'ensemble des personnes qui y étudient, y travaillent ou qui y vivent. C'est déjà extrêmement galère avec des routes surchargées et des RER vieillissants. Déjà 2024, c'était trop tard, imaginez la déception très forte liée à 2027 ! »

Comme d'autres élus locaux franciliens, et comme le soulignait le promoteur Alain Dinin, Pdg de Nexity dans nos colonnes, il va devoir suspendre des projets de construction de logements:

« On va lancer un moratoire sur l'ensemble des chantiers, y compris les logements familiaux. »

La promesse du renforcement d'une offre de desserte ne le rassure pas non plus :

« Il y a déjà des bus articulés qui passent et même en en mettant le maximum, on n'arrivera pas à gérer les flux de demain. C'est presque un pansement sur une jambe de bois. »

La fronde et la colère des grands élus

La présidente de la région Ile-de-France Valérie Pécresse a d'ailleurs annoncé, dans la foulée des déclarations du gouvernement, qu'elle allait réunir tous les présidents des départements afin d'« explorer avec eux toutes les pistes qui permettraient d'accélérer la réalisation » et surtout d'évoquer avec eux « toutes les solutions alternatives de transport du quotidien qui pourraient alléger les difficultés de transport liées aux retards annoncés».

Dans un communiqué commun, l'ensemble des grands élus de la région sont montés au créneau, jeudi soir, pour dénoncer un « scandale d'État » :

« Valérie Pécresse, Présidente de la Région Ile-de-France, Jean-Jacques Barbaux, Président du Département de la Seine-et-Marne, Pierre Bédier, Président du Département des Yvelines, François Durovray, Président du Département de l'Essonne, Patrick Devedjian, Président du Département des Hauts-de-Seine, Stéphane Troussel, Président du Département de la Seine-Saint-Denis, Christian Favier, Président du Département du Val-de-Marne, Marie-Christine Cavecchi, Présidente du Département du Val d'Oise, et de nombreux élus des territoires concernés ne cautionnent pas les annonces d'Edouard Philippe et y voient un absolu mépris du Premier Ministre pour la voix des élus et les habitants de petite et grande couronne », affirment-ils.

Selon eux, « Le Gouvernement invoque des problèmes techniques et financiers dont les élus n'ont pu juger le fondement n'ayant pas eu le droit de disposer de documents solides durant la prétendue concertation qui ne fût en réalité qu'un simulacre. La Cour des Comptes soulignait avec insistance que les élus membres du conseil de surveillance de la Société du Grand Paris étaient intentionnellement privés des informations qui auraient dû leur permettre d'exercer leur rôle de contrôle et de proposition ».

Les élus « déplorent » que les mesures de financement indispensables pour respecter le calendrier initial ne soient pas prises, dès à présent. Ils contestent la validité du budget de la Société du Grand Paris, dont l'absence de gouvernance en a fait « un bateau ivre ». Ils rappellent que les franciliens contribuent massivement au financement de la Société du Grand Paris, notamment par la taxe spéciale d'équipement (taxe d'habitation et taxe foncière). Et que c'est par manque de financement de l'Etat que le calendrier initial n'a pas été tenu. Dés lors, ils concluent que "les annonces du Premier Ministre ne font que confirmer l'incapacité de l'Etat à piloter" ce « chantier du siècle ».

A cet égard, le conseiller régional Grégoire de Lasteyrie met en garde : « le Grand Paris Express est payé par les franciliens, les bus par Ïle-de-France Mobilités. Il ne faudrait pas que l'Etat se reporte sur le conseil régional pour financer ces bus de substitution ».
Au Nord de Paris, à l'inverse, le sénateur (UDI) de Seine-Saint-Denis Vincent Capo-Canellas, ex-maire du Bourget, qui redoutait, mi-janvier, le renvoi aux calendes grecques de la ligne 17 et donc de la gare Le Bourget-Aéroport, juge « important » de regarder si « les entreprises pourront répondre au délai de 2024 à un prix acceptable ». Il n'en demeure pas moins vigilant quant aux intentions énoncées ce matin :

« Le Premier ministre a tenu un langage de vérité, mais que ces nouvelles décisions ne fassent pas l'objet d'un nouveau report. Si c'est un calendrier clair, que la phase d'économie potentielle n'amène pas à un déshabillage. »

Stéphane Troussel, président (PS) du conseil départemental de Seine-Saint-Denis, est beaucoup plus critique que le parlementaire : « je regrette tant sur la forme que sur le fond que l'Etat n'ait pas mesuré l'amplitude du projet. Ce ne sont pas des obstacles techniques, mais un choix discuté par des questions financières. Ne pas commander le nombre de tunneliers suffisant, c'est une occasion manquée alors que les 35 milliards d'euros vont accélérer les investissements et créer de la valeur ».

Le maire (LR) de Rueil-Malmaison, Patrick Ollier, se dit, lui, « heureux d'avoir vu un Premier ministre décider du maintien du projet dans sa globalité ». Avec sa deuxième casquette de président de la métropole du Grand Paris, fier de la première édition de son concours « Inventons la métropole » où 19 des 51 projets reposent sur des quartiers de gare du Grand Paris Express, il ne peut dire le contraire : « je préfère du retard que l'absence de gares ». Au-delà de la rime facile, cet édile à la tête d'un collège de 131 maires redoute tout de même « les effets collatéraux sur les efforts d'aménagement » de ses confrères et consœurs : « il risque d'y avoir des conséquences financières pour ces communes où il y aura deux à quatre ans de retard ». Aussi, Patrick Ollier assure-t-il avoir demandé, dès le café préliminaire aux annonces, à Edouard Philippe comment l'Etat pouvait « soutenir les financements » des territoires concernés. Le Premier ministre lui aurait promis, dit-il, de « réfléchir avec ses services ».

Gilles Carrez à la rescousse pour trouver des financements

Son ancien vice-président chargé des Finances, le député (LR) du Val-de-Marne, Gilles Carrez, est chargé par le Gouvernement de trouver des ressources supplémentaires pour la Société du Grand Paris. Il reçoit déjà des propositions détonantes : « la maire du IXème arrondissement de Paris, Delphine Bürkli, m'a a écrit pour me proposer un péage urbain »... L'ancien président de la commission des Finances de l'Assemblée, qui avait commandé à la Cour des Comptes le rapport explosif dévoilé mi-janvier, écarte déjà cette piste de même qu'il assure qu'il ne soumettra « pas de nouveaux impôts, ni de subventions budgétaires, ni de financement national » quand le Grand Paris Express avance aujourd'hui, bon an mal an, grâce à une taxe prélevée sur les entreprises franciliennes.

Avant même de remettre ses propositions en mai à la ministre des Transports et de trouver d'ici là comment réaliser au moins 10 % d'économies, comme l'exige le gouvernement, Gilles Carrez rappelle que « la mariée était trop belle » - traduisez l'euphorie liée au lancement sarkozyste en 2009 - et qu'aujourd'hui, « on a besoin de vérité car on passe à l'opérationnel. Il ne faut pas s'engager sur des promesses qu'on pourra pas tenir ». L'ancien maire du Perreux-sur-Marne (94), habitué au RER A, continuera donc à défendre mordicus le super-métro : « ce projet est d'abord fait pour les habitants de l'Ile-de-France. Ils n'en peuvent plus ! Dès lors qu'on prend des engagements, il faut les tenir. Le prolongement de la ligne 14 à Saint-Ouen, annoncé en 2011 puis en 2017, se fera en 2020. Concentrons-nous sur le plus urgent pour les habitants ! »

Dans l'idéal, Gilles Carrez veut « s'en tenir à cette enveloppe de 35 milliards d'euros » : « si sans exploser les coûts, on arrive à tenir l'objectif de la rocade en 2030, on aura été performants. Maintenant que les études ont été menées à bien, il va falloir tenir ces coûts et ces délais ». Il n'empêche, en off, tous ces décideurs publics soulèvent le problème des tunneliers. Si le premier creuse déjà à Champigny (Val-de-Marne) la ligne 15 Sud, il en faudra 21 en simultané pour avancer au rythme de douze mètres par jour. Or, au-delà du coût estimé à plusieurs dizaines de millions d'euros, seul un fabricant allemand est bien positionné pour les livrer en cinq à six mois dès la commande.
De même, puisqu'il faut vingt-quatre personnes en permanence sur une machine de cette taille, qui tourne vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, imaginez vingt-et-un tunneliers, et le coût en ressources humaines pour les entreprises du secteur. Et encore, l'absentéisme et la formation aux métiers de demain, qui frappe le BTP comme les autres, n'ont pas été évoqués non plus.