Grève dans les raffineries : trois questions sur la réquisition de personnels

Par Coline Vazquez  |   |  1162  mots
Ce mercredi, six des sept raffineries que compte la France sur son territoire sont en grève. (Crédits : Benoît Tessier / Reuters)
Alors que la grève dans les dépôts pétroliers et raffineries se prolonge et s'étend un peu plus chaque jour, le gouvernement a annoncé que des réquisitions débuteront, ce mercredi. Prévues par le Code des collectivités territoriales, ces réquisitions permettent de contraindre une partie des salariés à reprendre le travail. Quels sont ceux concernés par cette obligation ? En quoi consiste-t-elle ? Est-ce efficace ? Explications.

« La réquisition débutera ce jour ». C'est ce qu'a annoncé le ministère de la Transition écologique, ce mercredi. Face aux pénuries de carburant qui paralysent la France, conséquence des grèves dans les raffineries TotalEnergies et Esso-ExxonMobil, le gouvernement va sévir et réquisitionner certains personnels afin de permettre une reprise de l'activité.

« J'ai demandé aux préfets d'engager, comme le permet la loi, la procédure de réquisition des personnels indispensables au fonctionnement des dépôts » d'Esso-ExxonMobil à Gravenchon (Seine-Maritime) et à Fos-sur-mer (Bouches-du-Rhône), avait ainsi prévenu mardi soir la Première ministre Elisabeth Borne, voulant encore croire à une « reprise de l'activité », sans avoir à prendre une telle mesure. Celle-ci s'est finalement révélée nécessaire, les mouvements de grève ayant été reconduits ce mercredi et même étendus.

Au total, six des sept raffineries de France sont en grève ce mercredi 12 octobre : les quatre de TotalEnergies et les deux d'Esso-ExxonMobil (celle de Seine-Maritime et celle de Fos-sur-Mer, dans les Bouches-du-Rhône). Seule celle de Lavéra (groupe Petroineos), près de Martigues (Bouches-du-Rhône), n'est pas bloquée.

En quoi consiste cette réquisition ? Qui est concerné ? Cela est-il efficace ? La Tribune fait le point sur cette décision.

En quoi consiste une réquisition ?

La possibilité de réquisitionner du personnel est prévue par l'article L2215-1 4 du Code des collectivités territoriales : « En cas d'urgence, lorsque l'atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques l'exige (...) [le représentant de l'État] peut, par arrêté motivé, réquisitionner tout bien ou service, requérir toute personne nécessaire au fonctionnement de ce service ou à l'usage de ce bien et prescrire toute mesure utile jusqu'à ce que l'atteinte à l'ordre public ait pris fin ».

C'est, selon Olivier Gantois, président de l'Ufip Énergies et Mobilités, porte-parole des pétroliers, le cas actuellement. « La loi donne le pouvoir à l'Etat, via les préfets, de réquisitionner du personnel qui serait indispensable pour éviter un trouble à l'ordre public, et c'est manifestement ce que le gouvernement a décidé d'activer », a-t-il déclaré à l'AFP. Et d'expliquer que, « dans ce cas-là, c'est une décision locale : l'Etat identifie une usine qui doit redémarrer et demande à l'exploitant quels sont les personnels indispensables au redémarrage ».

Une telle mesure peut être activée très rapidement, avec un effet « immédiat ». Ce que nuance le gouvernement, qui évoque un délai de « plusieurs heures » avant la mise en œuvre : « Le préfet prend l'arrêté, idéalement avant la fin de journée, pour que le gendarme ou le policier puisse donner la réquisition le soir pour le lendemain. »

Quelles activités sont concernées ?

Bien que l'arrêté puisse être mis en œuvre rapidement, la rapidité de la reprise des approvisionnements des stations-service en carburant dépend du type d'activité à redémarrer. Pour les dépôts de carburants, le redémarrage serait immédiat car assez simple, puisqu'il suffira d'ouvrir les vannes pour remplir les camions. Mais ce sera bien plus long pour redémarrer tout un site industriel de raffinage : « S'il y a réquisition pour redémarrer la production à la raffinerie, il faudra au moins deux semaines », explique Gil Vilard, de la CGT Esso à Fos-sur-Mer.

Dans le cas des grèves qui touchent actuellement la France, seuls les quelques grévistes indispensables au déblocage du carburant des cuves devraient se voir contraints de venir travailler.

La réquisition ne concerne, en effet, pas les opérations de la raffinerie et donc la production de carburant. Car c'est davantage le blocage des dépôts qui empêche les livraisons d'essence et de gasoil, que celui des raffineries. En effet, la France, qui a déjà recours aux importations pour répondre à la demande nationale, a accru cette pratique ces deux dernières semaines, permettant de couvrir presque entièrement le déficit de production dans les raffineries à l'arrêt, assure l'Ufip Energies et Mobilités, cité par Le Monde. Les opérateurs français auraient ainsi importé près de 50% de carburants en plus par rapport à leur niveau habituel (dont 25% à 30% de gazole en plus), indique l'organisation qui représente les professionnels du secteur.

Cela permet-il un retour à la normale ?

Le gouvernement s'est montré optimisme quant à un retour à la normale grâce aux réquisitions débutées ce mercredi. Le porte-parole, Olivier Véran a assuré que les Français verraient une « amélioration très sensible dans les prochains jours » des réserves de carburants dans les stations-services.

Or, selon Me Eric Rocheblave, avocat en droit du travail, la reprise totale de l'activité ne peut venir de la seule réquisition. « Le droit de grève est une liberté fondamentale garantie par la Constitution et qui est très protégée. Toute atteinte est donc encadrée et l'article du Code des collectivités territoriales prévoit donc des conditions de mise en œuvre des réquisitions très restrictives », explique Me Eric Rocheblave, avocat en droit du travail.

Sur l'arrêté pris par les préfets figurent notamment les noms des personnels concernés par la reprise du travail, mais le texte ne peut pas mentionner tous les employés du site. « Ce n'est pas un outil permettant un retour à la normale, mais bien de concilier le droit de grève, qui doit toujours être garanti, et la continuité d'un service minimum », indique Me Rocheblave.

L'objectif est donc d'assurer le plein des véhicules essentiels comme ceux des pompiers, de la santé et de la sécurité plutôt que ceux des particuliers ou même des entreprises qui ne font pas partie de ces secteurs.

« On est sur un nombre limité de personnes, de l'ordre de deux ou trois par dépôt », admet le ministère de la Transition énergétique, qui précise que le recours aux forces de l'ordre sert uniquement à « notifier les personnes réquisitionnées ». Ces dernières ne peuvent toutefois pas contester la réquisition, comme l'indique encore le ministère :

« L'article L2215-1 du Code général des collectivités locales précise que le refus d'exécuter les mesures prescrites par l'autorité requérante constitue un délit puni de six mois d'emprisonnement et de 10.000 euros d'amende .»

« Commet tout acte, il est toujours possible de le contester devant les juridictions administratives », ajoute-t-il néanmoins. Ce fut le cas en 2010, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, lors du conflit sur la réforme des retraites marquée par deux semaines de grève paralysant les raffineries du pays. Plusieurs arrêtés avaient été pris notamment pour la raffinerie de Grandpuits en Seine-et-Marne. Mais le texte concernant ce site avait été suspendu par le tribunal administratif de Melun puisqu'il prévoyait la réquisition de l'ensemble des salariés de la raffinerie.

(Avec AFP)