Grève massive des médecins : pourquoi ils ne veulent pas du tiers payant

Par Fabien Piliu  |   |  840  mots
Les professionnels libéraux de la santé sont appelés à fermer leur cabinet ce vendredi
"Soviétisation" de la santé ? Cet avis reste minoritaire. Non, ce que redoutent le plus les professionnels libéraux de la santé, c'est une nouvelle augmentation de la paperasserie administrative, conséquence selon eux de la généralisation du tiers-payant, la mesure phare du projet de loi Santé qui reviendra lundi à l'Assemblée nationale. Ce vendredi, dans toute la France, ils ont fermé leurs cabinets à l'appel de l'ensemble des syndicats. Selon la CSMF, trois cabinets sur quatre ont répondu à l'appel à la grève lancé par les organisations syndicales.

| Article publié le vendredi 13 novembre 2015 à 11h46. Mis à jour à 17:50

La confiance règne. Ce vendredi, un mouvement de grève a frappé le monde médical. Pour protester contre certaines mesures contenues dans la loi Santé, et en particulier la généralisation du tiers-payant, les médecins ont décidé de fermer leurs cabinets, à l'appel de l'ensemble des syndicats de médecins libéraux (CSMF, MG France, FMF, SML, Bloc).

Ils ont aussi reçu le soutien de SOS Médecins, des syndicats des autres professions libérales de médecine et de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP), elle aussi remontée contre un texte qui, selon elle, "menace l'exercice libéral ". Le texte fera lundi son retour à l'Assemblée nationale, où il sera examiné en deuxième lecture.

Très forte mobilisation

La mobilisation a-t-elle été forte ? La CSMF se félicite de l'ampleur inégalée du mouvement de fermeture de cabinets des médecins libéraux, tant généralistes que spécialistes. " A 15 heures, 3 cabinets sur 4 sont fermés et la participation s'élève même à plus de 80% en Lorraine et Poitou Charentes, 93% dans le département de la Saône, 95% en Mayenne et 98% à Toulouse, etc. Deux tiers des cliniques et hôpitaux privés sont paralysés par la grève ", explique le principal syndicat de médecins.

"Soviétisation" de la santé

Que redoutent les professionnels ? Si certains ont dénoncé une " soviétisation " de la santé libérale, les patients n'ayant plus à payer leur consultation, ce n'est pas ce que la majorité semble craindre. Ils redoutent les conséquences administratives du tiers-payant, à savoir une augmentation de la paperasserie. Alors que l'exécutif a lancé un choc de simplification, cette mesure passe mal.

Concrètement, si la CNAM devrait rembourser de façon fluide les professionnels, ceux-ci redoutent des longueurs du côté des mutuelles.

Marisol Touraine ne rassure pas

Marisol Touraine, la ministre des Affaires sociales se veut rassurante. " C'est une mesure de justice, une mesure de simplification. C'est moins de paperasse. C'est une mesure qui apparaîtra progressivement comme une évidence ", a déclaré la ministre sur l'antenne de RMC-BFM, consciente qu'elle "cristallisait les inquiétudes des médecins".

Marisol Touraine a aussi rappelé avoir introduit "toute une série de garanties dans la loi pour tenir compte des préoccupations des médecins, notamment une garantie de paiement en moins de sept jours".

"Quand j'entends certains qui disent 'rien ne bouge, rien ne change, il n'y a pas de dialogue, il n'y a pas de débat', cela n'est pas vrai, cela n'est pas juste", a-t-elle poursuivi, regrettant que les professionnels de santé lui reprochent un manque de concertation.

A qui la faute ? La ministre a fait en partie son mea culpa. Elle reconnaît que la publication du rapport technique de l'Assurance maladie et des complémentaires santé contenant des solutions techniques de mise en oeuvre, ont pris "un peu de retard ".

Mais "la commande est claire. Cela doit être simple", a-t-elle répété. Ce rapport devait lui être remis avant le 31 octobre. On peut comprendre l'angoisse des professions libérales de médecine, sachant que leurs protestations contre cette mesure ne date pas d'hier. Ils sont en effet montés au créneau en alertant contre les conséquences administratives de cette mesure dès la présentation de loi Santé. Ils avaient déjà fermé leurs cabinets fin décembre à l'appel de la plupart des organisations syndicales.

Même le discret Conseil national de l'Ordre des médecins est monté au créneau:

" Depuis plusieurs mois, l'Ordre des médecins alerte les pouvoirs publics sur l'exaspération de la profession. Cette inquiétude profonde des médecins sur leurs conditions d'exercice, leur indépendance, sur la reconnaissance de leur rôle dans le système de soins, sur la territorialité, ne date pas d'hier et touche l'ensemble de la profession dans la diversité de ses exercices et statuts ", précise l'Ordre dans un communiqué.

Matignon et l'Elysée à la rescousse ?

Il en appelle à Matignon et à l'Elysée pour résoudre le problème, ce qui témoigne de la confiance accordée à la ministre des affaires sociales. Après avoir lancé publiquement un appel au dialogue au Premier Ministre lors de son Congrès du 29 octobre, le Conseil national interpelle l'Elysée.

"Le Conseil national comprend et partage, sur beaucoup de sujets relevant de sa compétence, les raisons et le sens de l'exaspération des médecins et des appels à la grève pour le 13 novembre des organisations représentatives du secteur libéral dont le gouvernement porte aujourd'hui la responsabilité. L'Ordre considère que ce mouvement ne peut rester sans réponse et en appelle de nouveau au Président de la République. Les pouvoirs publics ne peuvent pas ne pas entendre le cri d'alarme de toute une profession qui se sent délaissée par les responsables politiques alors qu'elle œuvre au quotidien au service des personnes malades."