"L'industrie française est de retour ! "

Par Propos recueillis par Fabien Piliu  |   |  1197  mots
"L'industrie française se réveille. Dans un certain nombre de territoires, les acteurs industriels se prennent en main et réfléchissent collectivement aux solutions permettant de se financer, de se développer à l'export, d'innover. Notre industrie fera encore des étincelles, j'en suis convaincu", explique Bruno Grandjean.
Bruno Grandjean, le président de la Fédération des industries mécaniques (FIM), en est convaincu. Dans un entretien accordé à La Tribune, l'industrie tricolore a les atouts nécessaires pour revenir sur les devants de la scène. A condition de ne pas répéter les erreurs du passé.

La Tribune - Les candidats à la primaire de droite dévoilent actuellement leurs programmes économiques. L'industrie fait-elle partie de leurs priorités ?

Bruno Grandjean - Malheureusement, non. Aucun des candidats ne se démarque sur
ce point. C'est comme si l'industrie n'était pas un sujet majeur. C'est très étrange. On a l'impression que les responsables politiques de l'opposition considèrent que les capitaines d'industrie sont éternellement acquis à leur cause. Ce sont toujours les mêmes solutions qui sont avancées. A la FIM, nous attendons avec impatience les propositions des candidats à la primaire de gauche.

Quelles sont les solutions qui vous ont été proposées ?

Encore et toujours, ce sont les allègements de charge sur les bas salaires qui seraient à leurs yeux la solution. C'est une fausse piste. En raison de la modernisation de l'industrie, de sa montée en gamme, il y a désormais peu de bas salaires dans les entreprises. Les tâches les plus ingrates sont désormais confiées à des robots ! De fait, le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi [CICE] profite peu à l'industrie, un secteur pourtant largement exposé à la concurrence internationale. Selon l'évaluation de France stratégie, l'industrie représente moins de 20% des créances de CICE.

Il faudrait réformer le CICE ?

Nous sommes en effet favorables à une modification profonde de ce dispositif qui a certes permis de contribuer au redressement de nos marges, mais qui pourrait être plus efficace. Il faut revenir à la proposition du rapport Gallois d'abaisser les cotisations sociales jusqu'à 3,5 SMIC. A enveloppe égale, soit 18 milliards d'euros en 2016, ce serait une bonne solution pour redresser notre compétitivité et pour attirer les jeunes ingénieurs de talent vers les PME.

L'industrie du futur est-elle une bonne initiative ?

Elle a le mérite de mettre sur la table le sujet de la modernisation de notre industrie. En jouant les chefs d'orchestre, l'Etat favorise l'émergence d'une énergie collective, sans ruiner les finances publiques car son apport se limite à quelques centaines de milliers
d'euros. Cette initiative est d'autant plus salutaire que l'industrie est depuis trente ans absente du débat politique et économique.

Vous avez une explication ?

Dans l'inconscient collectif, l'industrie est bruyante, polluante. Par ailleurs, depuis les années 1980 s'est développé en France un courant de pensée qui était assez peu favorable à l'industrie. Certains économistes, certains politiciens ont pensé que l'on pouvait supprimer les usines comme on avait supprimé les exploitations agricoles. Le concept de « Fabless », des années 2000, a fait beaucoup de mal à l'industrie française.

Ce n'est pas la première fois que le gouvernement lance une initiative dans le domaine industriel. Or, les succès ne sont pas toujours au rendez-vous. Lancé en 1981, le plan « Machines-outils » fut un échec.

C'est exact. Mais cette fois, dans le cadre de l'industrie du futur, l'Etat est à sa juste place. Il se contente de mobiliser les énergies, de rassembler les acteurs tout en leur laissant l'initiative sur le plan opérationnel. Le plan « Machines-outils » des années 80 était une bonne intention de la part de l'Etat. Mais, en dépit des millions de francs dépensés, il n'a pas eu le succès escompté car l'Etat a voulu jouer le rôle de stratège à la place des industriels.

L'industrie est-elle audible auprès du monde politique, du gouvernement ?

Les grands groupes savent se faire entendre, indéniablement. Ce n'est pas le cas des sous-traitants, des TPE, des PME et des ETI. Au sein de l'exécutif, qui connait l'industrie, ses problématiques, ses atouts, ses difficultés ? Depuis René Monory et Pierre Bérégovoy, quel ministre « économique » peut faire valoir une expérience de
terrain ? Dans ce contexte, qui peut porter nos messages, en France et à l'étranger où il faut parler anglais ? Heureusement, les choses changent avec l'arrivée des nouvelles générations.

Faire la promotion du « made in France » est-il une bonne idée ?

Il faut mettre en avant nos savoir-faire, être fiers de nos entreprises la renaissance d'Alpine, une icône de l'industrie française, est de ce point de vue une excellente nouvelle. Mais il ne faut pas que la promotion du made in France se traduise par des mesures protectionnistes, ça ne marche pas, souvenons-nous encore du blocage ridicule des magnétoscopes japonais à Poitiers !

La fiscalité est-elle un obstacle au développement de l'industrie ?

La politique de l'offre menée depuis 2014 a fait beaucoup de bien à l'industrie. En effaçant en partie les augmentations d'impôts passées, il a permis à nos entreprises de sortir la tête de l'eau. Mais il reste encore des choses à améliorer. Les impôts pesant sur la production sont trop nombreux, ce qui nuit à la prise de risque et à l'investissement. Comment peut-on créer le CICE et laisser en place une cinquantaine d'impôts sur la production ? Quelque chose m'échappe. Il aurait été plus logique de supprimer certains de ces impôts et de laisser le taux de l'impôt sur les sociétés inchangés. Partager les bénéfices est normal. Taxer les investissements qui permettent de relever la valeur ajoutée du made in France est incompréhensible.

L'Etat est-il le seul responsable de la dégradation de l'industrie française ?

Bien sûr que non. Cet échec est collectif. Les industriels français peuvent balayer devant leur porte. Un certain nombre d'entre eux n'ont pas vu et anticipé le développement de la mondialisation. Apprendre l'anglais, investir, se déplacer sur les salons internationaux
étaient des initiatives inutiles pour beaucoup d'entre eux. On constate aujourd'hui les dégâts de cet attentisme.

Cette dégradation de l'industrie est une fatalité ?

Ce serait une erreur de le penser. L'industrie française se réveille. Dans un certain nombre de territoires, les acteurs industriels se prennent en main et réfléchissent collectivement aux solutions permettant de se financer, de se développer à l'export, d'innover. Notre industrie fera encore des étincelles, j'en suis convaincu.

Le retard avec l'Allemagne n'est-il pas trop grand ?

Vous savez, cette comparaison avec l'Allemagne commence à nous fatiguer. Si je fais une analogie avec le football, la France en a assez de se prendre des buts. Il y a une réaction d'orgueil qui anime nos industriels. Par ailleurs, le scandale Volkswagen continue à faire beaucoup de dégâts. Le complexe de supériorité que nos confrères allemands pouvaient parfois afficher est moins fort. Enfin, il faut préciser que le processus de numérisation de l'industrie rebat les cartes du jeu. Fortes de leur expérience dans le digital, les entreprises françaises peuvent à nouveau prétendre jouer les premiers rôles.

Vous avez des exemples en tête ?

Je peux citer deux exemples emblématiques : en novembre, à Francfort, Michelin et Fives dévoileront leurs solutions de « fabrication additive métallique », communément appelée impression 3D Métal. Cette rupture technologique portera hautes les couleurs de la France. Dans le domaine de la voiture autonome, les entreprises françaises du secteur automobile sont à la pointe. C'est une grande fierté. A nous d'amplifier ce mouvement encore fragile en attirant à nouveau les talents et les jeunes vers l'industrie.