"Nos élites n’aiment pas l’industrie"

Dans un entretien accordé à La Tribune, Laurent Carraro, mathématicien et directeur général des Arts et Métiers ParisTech salue l’initiative de l’industrie du futur. Il estime que les difficultés de l’industrie tricolore relèvent surtout d’un problème culturel.
"C'est un gâchis monstre que de retrouver un ingénieur diplômé de l'école derrière un écran à optimiser la gestion des produits d'assurances", explique Laurent Carraro.

La Tribune - L'industrie du futur prend progressivement forme. Quels sont le rôle et la place des Arts et Métiers ?

Laurent Carraro - Nous sommes heureux de participer à cette mobilisation générale en faveur de l'industrie de demain. Il était temps que sonne le clairon. Conformément à la tradition historique de l'institution, les Arts et métiers forment des professionnels de l'industrie et sont au service des entreprises des territoires dans lesquels ses campus sont implantés. C'est bien évidemment le cas à Paris, mais aussi à Lille, Bordeaux, Cluny, Angers ...

Une crise des vocations frappe-t-elle les écoles d'ingénieurs et en particulier les Arts et métiers ?

Les écoles de haut niveau sont pleines ! C'est heureux. Mais je tiens à préciser que nos étudiants font trop souvent le choix d'une école d'ingénieurs pour de mauvaises raisons.

C'est-à- dire ?

Plus de la moitié des étudiants qui intègrent les écoles d'ingénieurs n'ont aucune envie de travailler dans l'industrie. Ils intégrent celles-ci pour obtenir un diplôme reconnu car prestigieux pour ensuite intégrer le secteur bancaire, l'assurance... Heureusement pour nous ce phénomène reste marginal aux Arts et Métiers mais c'est un gâchis monstre que de retrouver un ingénieur diplômé de l'école derrière un écran à optimiser la gestion des produits d'assurances. Il est très difficile de lutter contre cette désertion des métiers de l'industrie. C'est bien regrettable.

Les jeunes n'ont donc pas d'appétence pour la technologie ?

La plupart des Instituts universitaires de technologie (IUT) ont du mal à remplir leurs classes. Qui me contredira si je dis que la voie technologie souffre encore de la comparaison avec la filière d'enseignement classique ? Malheureusement, c'est encore et toujours une voie de garage pour nos jeunes. C'est la raison pour laquelle nous avons d'ailleurs mis en place en 2014 une formation de bachelor spécialement dédiée aux bacheliers technologiques, afin de leur offrir de vraies opportunités dans l'une des plus grandes écoles d'ingénieurs de la République.

Est-ce une explication aux difficultés de l'industrie française ?

Je le pense très sincèrement. On peut toujours disserter sur le niveau du coût du travail mais je crois que les difficultés du secteur manufacturier relèvent surtout d'un problème culturel. Les élites n'aiment pas l'industrie parce qu'ils ne la connaissent pas. C'est la raison pour laquelle l'industrie est toujours considérée comme sale, bruyante et polluante. C'est regrettable car c'est une image totalement déformée. Heureusement, avec le développement des nouvelles technologies, l'image de l'industrie auprès des jeunes commence à évoluer favorablement. Il était temps.

Pourtant, les besoins de main-d'œuvre sont importants, notamment pour dessiner l'industrie du futur !

C'est exact. Certes, il faudra toujours des ingénieurs de haut niveau. Mais il faut aussi des techniciens très qualifiés. C'est l'un des objectifs du bachelor dont nous parlions qui permet aux étudiants d'accéder rapidement au marché du travail. Si ces étudiants veulent prolonger leurs études de trois années supplémentaires pour devenir ingénieurs, ils sont les bienvenus !

Que faudrait-il faire pour que la mobilisation que suscite l'industrie du futur ne s'essouffle pas ?

Il faut une véritable prise de conscience de la classe politique et arrêter de se payer de mots. Il faut que les industriels aient de solides relais dans le monde éducatif car c'est dès le collège que l'on peut sensibiliser les jeunes.

Quelles mesures concrètes préconisez-vous ?

Il faudrait commencer par considérer la technologie comme une discipline à part entière, la valoriser comme le font nos amis et concurrents allemands. Précisément, il ne faut pas que l'enseignement de cette discipline s'arrête au collège. C'est absurde. Ensuite, il faut revoir le contenu des programmes et leur pédagogie. Ce n'est pas en décortiquant le fonctionnement d'une machine à coudre que l'on suscitera des vocations.

L'industrie française souffre-t-elle de difficultés de financement ?

Je n'en ai pas l'impression. Mais il reste des blocages structurels. Qui souhaite financer la prise de risque ?

N'est-ce pas le rôle de BPIFRANCE, la banque publique d'investissement ?

BPIFRANCE ne se démarque pas vraiment des banques classiques. Elle rechigne à financer des projets un tant soit peu risqués. La participation de BPIFRANCE au financement du « Factory Lab », un intégrateur de technologies à disposition des PME que nous inaugurerons fin septembre sur le plateau de Saclay et dont le CEA est le principal opérateur, nous occupe depuis plus d'un an.

Commentaires 20
à écrit le 14/09/2016 à 16:12
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CE serait bien que vous preniez le temps de nous expliquer pourquoi vous ne nous valider pas certains de nos commentaires, cela permettrait de nous affiner, certains sont des cas désespérés c'est un fait mais également cela permettrait de savoir si v...

à écrit le 14/09/2016 à 15:27
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En France, on rêve de groupes sans usines (ah la prophétie de Serge Tchuruk sur un Alcatel "fabless"), du capitalisme sans capital (on préfère que l'épargne des Français aille nourrir l'immobilier), des élèves-ingénieurs qui préfèrent le marketing à ...

à écrit le 14/09/2016 à 15:03
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Beaucoup d'ingénieurs s'intéressent en fait aux projets qui mettent en œuvre des mathématiques. Mais quand quelqu'un découvre qu'avec les mêmes techniques mathématiques et la même couverture horaire il est 2 fois mieux payé en travaillant pour une ba...

à écrit le 14/09/2016 à 13:44
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Créer l'industrie du futur avec une gestion du personnel du 19 ème siècle, c'est trop risible... La qualité de vie n’apparaît jamais dans les arguments pour expliquer les problèmes de recrutement. C'est pourtant la priorité des jeunes d'aujourd'hui. ...

à écrit le 14/09/2016 à 13:22
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La mine d'or c'est la fonction publique à commencer par l' Elysee ... de l'argent à récupérer il y en a des montagnes . C'est le préalable au retour de l'amélioration du pays laborieux et c' est ce que demande depuis des lustres Bruxelles .

à écrit le 14/09/2016 à 12:56
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L'ENA forme des administrateurs qui administre mais ne gèrent pas et encore moins font de la technique. On voit le résultat, sachant que pas mal de nos sociétés sont dirigées (administrées) par des énarques. il y a des exceptions, mais de ma carrière...

à écrit le 14/09/2016 à 11:36
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La France est plutôt "services" et l'Allemagne "industrie". Pour l'instant l'Allemagne a raison... Mais qu'en est-il à terme, dans un monde de plus en plus industrieux, de la montée en gamme des industries asiatiques qui inévitablement vont proposer ...

à écrit le 14/09/2016 à 11:34
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Les français sont favorable à mettre plus de jeunes dans l'industrie ,mais pas les leurs.Un classique.

le 14/09/2016 à 15:15
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Oui tout comme les politiques plaident en permanence pour promouvoir et développer l'apprentissage, mais n'enverront jamais leurs propres progénitures vers ces filières sus-citées ! On les retrouve plutôt à Science Pipo ou classes prépa .... Il me...

à écrit le 14/09/2016 à 11:17
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Il y a plusieurs pistes pour agir. Je propose:1- une réforme fiscale permettant de répartir les charges sociales sur le travail et sur l'énergie; 2- la transition énergétique pour notre survie; 3- considérer le temps disponible lié à l'usage de l'éne...

à écrit le 14/09/2016 à 11:05
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La France n'aime pas ses entreprises et encore moins ses entreprises pour preuve nos élites s'orientent vers la fonction publique où un haut fonctionnaire sera un grand serviteur de l'état là où 'un chef d'entreprise exploite ses salariés ce qui est ...

à écrit le 14/09/2016 à 10:14
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réindustrialiser la France , un beau projet un brin utopiste ; mais ça implique de changer notre système politique et les gens qui en vivent et ça c'est le plus gros challenge

à écrit le 14/09/2016 à 10:13
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" On peut toujours disserter sur le niveau du coût du travail mais je crois que les difficultés du secteur manufacturier relèvent surtout d'un problème culturel. " ...

le 14/09/2016 à 13:33
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C'est une remarque a analyser. Il y a surement une manière de raisonner qui doit tenir compte de la notion de "double dividende". Notre système de formation privilégie l'analyse et au détriment de la synthèse.

à écrit le 14/09/2016 à 10:11
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Enfin une personne au raisonnement sensé. Malheureusement son discours arrive avec au moins trente ans de retard et à ces paroles, ce monsieur ferait bien d'agir. Il fait comme beaucoup de vent et devrait se recycler dans la ventilation. Qui ne conn...

à écrit le 14/09/2016 à 9:44
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Bravo pour cet article, mais il y a du chemin à parcourir, à commencer par le haut: nos décideurs politiques et l'administration. Quel président s'est intéressé à l'industrie depuis Pompidou ? Que reste-t-il des grands groupes privatisés par Ballad...

à écrit le 14/09/2016 à 9:43
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Je suis d'accord avec la position de Mr Carraro , mathematicien et directeur de l'ENSAM Paristech. Oui les ingénieurs même formé en mécanique et dans les métiers de l'industrie comme la gestion de production, la maitenance, la conception de produits,...

le 14/09/2016 à 11:45
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EXAT? MAIS IL Y A AUSSI LE PROBLEME DES RENUMERATIONS ? LE PRIVE NE DONNE PAS DE GROS SALAIRES? ON N ATTIRE PAS LES MOUCHES AVEC DU VINAIGRE? ?LES SALAIRE ET LES POSTES A L ETRANGERS SONT PLUS INTERESSENT ET MIEUX PAYE? EN GROS LES ENTREPRENEURS FRA...

le 14/09/2016 à 12:53
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Effectivement il existe une certaine conformité d#esprit francaise. Pas de mains sales. @Vérité: Avez-vous déjà regardé la fiche de paie d'un ingénieur tournant dans l'industrie? C'est au dessus de 70K€ à partir d'un certain niveau de carriére. Alo...

le 14/09/2016 à 15:10
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@réponse de Rémi 70ke c'est peu surtout à un certain niveau de carrière. Ca laisse supposer que selon vous un énarque ou un HEC démarre nécessairement au-dessus d'un ingénieur. Le voilà le pb de la France. Regardez combien sont payés les ingénieurs ...

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