Loi Travail : Valls obligé d'annoncer quelques reculs pour calmer la CFDT

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1459  mots
Pour éviter que la contestation progresse, et notamment que la CFDT rejoigne le mouvement, François Hollande a demandé à Manuel Valls le retrait de certains points de la loi Travail, notamment le plafonnement des dommages et intérêts aux Prud'hommes.
Le "nouveau" projet de loi Travail ne prévoit plus le plafonnement des indemnités prud'homales. C'est le prix à payer pour éviter que la CFDT rallie le clan des mécontents. Mais les critères d'appréciation du licenciement économique sont maintenus. Un "nouveau" texte, fruit d'un compromis très politique entre François Hollande et Manuel Valls.

"Paris vaut bien une messe" disait Henri IV! La CFDT vaut bien le non plafonnement des indemnités prud'homales aurait pu dire François Hollande... Ce lundi 14 mars, le Premier ministre, réunissant l'ensemble des leaders des organisations patronales et syndicales, a annoncé un "nouveau départ" pour la loi Travail, portée par la ministre Myriam El Khomri. Comme La Tribune l'avait annoncé dès vendredi 11 mars, les points les plus polémiques de l'avant-projet ont été supprimés ou gommés. C'est le résultat d'un arbitrage qui a eu lieu ce dimanche entre deux hommes seulement: François Hollande et Manuel Valls. Même si le ministre de l'Economie, Emmanuel Macron, avait laissé une petite note écrite résumant son point de vue...

Ce nouveau texte sera présenté, comme convenu, en Conseil des ministres le 24 mars. Cette nouvelle mouture est donc le fruit d'un savant dosage entre quelques reculades et le maintien de certaines audaces. C'est le résultat du face à face entre le président de la République - qui voulait à tout prix calmer la contestation sociale naissante - et la volonté de réformisme du Premier ministre qui ne s'inquiète même plus des réactions hostiles d'une frange du Parti Socialiste, tant il se projette, déjà, au-delà de l'échéance de 2017, dans une recomposition politique à venir.

Indemnités prud'homales: un barème incitatif

Côté reculades, le Premier ministre a dû "avaler" le non plafonnement des dommages et intérêts accordés par les prud'hommes en cas de licenciement abusif. C'était pourtant l'une des dispositions majeures défendues par Manuel Valls... et Emmanuel Macron. Un tel plafonnement était censé rassurer les entreprises, et notamment les PME, qui pouvaient ainsi budgéter le coût d'un licenciement, connaissant son coût maximal. Mais tous les syndicats, CFDT en tête, en faisaient un casus belli. Aussi, à ce stade, il n'y aura donc plus de plafonnement. En revanche, tel que le prévoyait la loi Macron de l'été 2015, les juges prud'homaux devront tenir compte d'"un référentiel indicatif " pour fixer le montant des dommages et intérêts... Le pari est, qu'à terme, ce référentiel permette de "faire converger les jurisprudences", ainsi que l'a indiqué Emmanuel Macron faisant contre mauvaise fortune bon coeur. Un décret viendra préciser ce barême. Autre reculade, qui a fait hurler la CGPME de François Asselin (son président), finalement, il n'est plus question qu'un chef d'entreprise de moins de cinquante salariés puisse signer directement une convention de "forfait jours" avec un salarié - ce qui permettait de déroger à la législation sur les 35 heures. Il faudra, pour ce faire, soit un accord de branche, soit qu'un salarié de l'entreprise soit mandaté par un syndicat pour signer un accord autorisant le "forfait jours". En tout cas, plus question de laisser à l'employeur la possibilité d'imposer un "forfait jours" par une une décision unilatérale... Evidemment, les organisations des petites entreprises n'apprécient pas.

De même, contrairement à ce que prévoyait initialement l'avant projet de loi, plus question non plus de laisser une entreprise, par accord, moduler son temps de travail sur une période de trois ans. Elle ne pourra le faire que si un accord de branche sur ce thème a été conclu... Ce qui assurera une certaine égalité de concurrence.

De même, message adressé aux syndicats les plus énervés contre la réforme (CGT, FO), il n'est plus question d'autoriser des dérogations aux congés spéciaux (notamment familiaux) ou aux astreintes, si un accord majoritaire sur la question n'a pas été conclu. Ce qui a fait dire à Manuel Valls qu'il était faux de dire que ce texte organisait "l'inversion de la hiérarchie des normes"...

Les critères du licenciement économique maintenus

Demi reculade également sur le referendum d'entreprise. Certes, les syndicats rassemblant au moins 30% des voix aux élections professionnelles continueront d'avoir la faculté d'organiser un referendum auprès des salariés. Et si une majorité d'entre eux valide le projet d'accord, alors le texte sera considéré comme validé et ce même si des syndicats représentant 50% des voix étaient contre... Mais, dans un premier temps, cette possibilité est réservée aux seuls accords sur le temps de travail. Cette règle sera généralisée à d'autres types d'accords... plus tard.

Reste que sur plusieurs points essentiels, le gouvernement ne recule pas. Ainsi, les accords de maintien de l'emploi "offensifs" sont toujours prévus. Ils vont permettre de revoir l'organisation du travail en cas, par exemple, de "commandes exceptionnelles" sans toucher cependant, du moins officiellement, à la rémunération des salariés. Mais cet accord s'imposera au salarié qui, en cas de refus, sera licencié...

De même, finalement, les critères du licenciement économique "valables" (nombre de trimestres de baisse du chiffres d'affaires ou des carnets de commandes), prévus dans l'avant projet, s'apprécieront au niveau de l'entreprise en l'absence de groupe ou, au niveau national, s'il s'agit d'un groupe. Mais en aucun cas, en cas de groupe international, la situation de l'entreprise au niveau européen ou mondial ne sera prise en compte.

Pour Manuel Valls et Emmanuel Macron, il s'agissait là d'un point fondamental pour la compétitivité de la France. Il fallait rassurer d'éventuels investisseurs étrangers désireux de s'implanter en France, en leur expliquant que si la filiale française était en difficulté, un juge n'irait pas vérifier que, au niveau mondial, le groupe se porte bien pour éventuellement refuser des licenciements économiques. Non, l'appréciation se fera au niveau du seul sol national. Cependant, les juges seront dotés de moyens pour vérifier qu'une éventuelle filiale française n'a pas été artificiellement ou frauduleusement "surchargée" pour justifier des suppressions d'emplois. Les fameux licenciements "boursiers"...

Alors certes, le Medef a poussé des cris d'orfraie à la sortie de la réunion avec le Premier ministre, notamment en raison du renoncement au plafonnement des indemnités prud'homales. Mais, en vérité, un sondage réalisé pour le compte de l'organisation patronale montre que le principal souhait des chefs d'entreprise était le maintien des critères et des règles encadrant le licenciement économique... Ce qui est le cas.

Le péril jeune!

Reste aussi les jeunes dont François Hollande craint la mobilisation. Certes, le Premier ministre a assuré que la garantie jeunes appliquée à tous les jeunes sans emploi ni formation, un dispositif d'accompagnement des "décrocheurs" (environ 130.000 chaque année) vers l'emploi, va devenir un droit "universel" pour tous les jeunes sans emploi ni formation. Ce dispositif, destiné aux jeunes qui n'ont ni emploi ni formation, permet,  pour une durée d'un an, un accompagnement renforcé, des périodes en entreprise et une allocation mensuelle de 450 euros.

Il concerne actuellement un peu moins de 100.000 jeunes, l'idée serait de doubler le nombre dès 2017. Mais, il n'empêche que l'Unef, le principal syndicat étudiant, s'est montrée insatisfaite et a maintenu sa journée d'action du 17 mars. Pis, pour le gouvernement, elle continue d'appeler à descendre dans la rue le 31 mars aux cotés des organisations syndicales CGT, FO, Solidaires... C'est donc là la prochaine urgence à régler pour François Hollande qui a déjà évité le pire avec son nouveau projet de loi emploi: la CFDT de Laurent Berger ne manifestera pas. Le secrétaire général de la CFDT l'a laissé nettement entendre, estimant que la plupart de ses revendications avaient été prises en compte. Pour la forme, mercredi et jeudi prochains, un "Bureau national" du syndicat se réunira pour déterminer son attitude dans les jours à suivre. Mais, en vérité, la cause est entendue. La CFDT a obtenu gain de cause sur la plupart des points qu'elle portait (à l'exception de l'introduction du compte épargne temps dans le futur compte personnel d'activité, cher à François Hollande et Myriam El Khomri).

Le front syndical cassé... reste le PS

En résumé de cette journée, le gouvernement a paré au plus pressé en cassant un éventuel front syndical à venir. Mais, pour l'instant, il n'a pas réussi à faire rentrer à la maison les organisations de jeunes... Il va s'y employer. Reste, deuxième étape, à  "amadouer" le camp socialiste. C'est pour cette raison que, dès ce lundi 14 mars au soir, Manuel Valls avait rendez-vous avec les députés PS pour leur expliquer le contenu de cette nouvelle mouture de la loi Travail. L'objectif étant, selon les voeux du président, de rallier une majorité sur ce texte et d'éviter un nouveau recours au "49-3". Mais, à ce stade, et malgré les "reculs" ce n'est pas encore gagné.