Pourquoi les médecins s'opposent au tiers payant

Par Fabien Piliu  |   |  1210  mots
Selon les organisateurs, plus de 50.000 médecins ont défilé le 15 mars à Paris
Dimanche 15 mars, des milliers de médecins ont défilé pour demander le retrait de la mesure phare du projet de loi Santé porté par Marisol Touraine, la ministre des Affaires sociales. Pour quelles raisons ?

Parmi les mesures contenues dans le projet de loi Santé concocté par Marisol Touraine, la ministre des Affaires sociales, que la plupart des acteurs de la santé rejette, l'une cristallise toutes les colères : la généralisation du tiers-payant. Une promesse du candidat François Hollande en 2012.

Dimanche 15 mars, plus de 50.000 médecins - ils étaient 19.000 selon les forces de police - auraient défilé à Paris pour tenter de convaincre la ministre de revenir sur sa décision. Ont-ils réussi ? Après leur rencontre avec Marisol Touraine dans l'après-midi, qui avait pourtant affirmé sa volonté de dialogue, les dirigeants des principaux responsables syndicats sont ressortis... déçus malgré les petits cadeaux, offerts par la pensionnaire de l'avenue de Ségur.

En effet, la ministre a notamment reculé sur la délégation de la vaccination aux pharmaciens, qui fera l'objet d'"expérimentations" au lieu d'être inscrite dans la loi. Mais ces compensations se sont révélées insuffisantes pour calmer les professionnels concernés, en particulier les médecins libéraux qui réclament un peu dans le désordre le retrait du texte ou, à tout le moins, sa réécriture, ou la démission de la ministre.

Même l'Ordre des médecins s'y oppose !

Preuve de cette lutte contre le tiers payant généralisé, qui sera effectif en 2017, même le très prudent et discret Ordre des médecins a affiché son "soutien" à la manifestation qui a reçu - sans surprise - le soutien de l'UMP. A quelques jours des élections départementales, et dans l'optique de 2017, la pêche aux voix a d'ores et déjà commencé.

Bruno Retailleau, le sénateur UMP de Vendée n'est pas le moins véhément.

" En systématisant le tiers payant, le gouvernement va de façon démagogique déresponsabiliser encore un peu plus les citoyens, ce qui conduira à accroître les dépenses et donc les déficits. En mettant les professionnels de santé sous la tutelle de l'Etat et des administrations, il dénature la médecine libérale. L'Etat ne peut pas s'occuper de tout. Ce projet de loi est dangereux pour la qualité des soins et pour la relation médecin/patient. Aussi, le groupe UMP du Sénat portera lors de l'examen du texte les légitimes inquiétudes et revendications des professionnels de santé qui sont aujourd'hui victimes du dogmatisme de Manuel Valls et de son gouvernement ".

Une volée de critiques contre un projet auquel Nicolas Sarkozy s'est déjà attaqué. Lors d'un meeting à Tourcoing, le 15 janvier, le président de l'UMP a estimé que le tiers payant généralisé était " une mesure démagogique et contre-productive ". Il a également promis, en cas de retour de la droite au pouvoir, " de faire un projet santé très fort, dont je souhaite qu'il sorte des sentiers battus ".

Il faudra contrôler et soigner

Pourquoi tant de haine ? Concrètement, chaque patient n'aura plus à avancer les frais de santé, frais que la Sécurité sociale lui rembourse ensuite. Pour les ménages, c'est une tension en moins sur leur trésorerie. Pour un gouvernement dont la politique économique et sociale est décriée au sein même de la majorité car trop éloignée des valeurs et des idéaux socialistes, cette mesure est une belle occasion de rassembler les brebis égarées. Notamment les frondeurs. C'est la raison pour laquelle l'exécutif n'entend pas reculer sur ce point et se contente de lâcher du lest sur des sujets de crispation secondaire.

Qui paiera la note alors ? Dans la nuit de mercredi à jeudi 19 mars, Marisol Touraine a présenté un amendement rectificatif qui détaille toutes les conditions de mise en place de cette dispense d'avance de frais. Il est écrit noir sur blanc - et c'est la première fois - que " l'Assurance maladie assume la mission générale de pilotage du déploiement et de l'application du tiers payant ". On peut donc en conclure que c'est la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) qui devra gérer le " flux unique " par lequel le médecin libéral sera payé pour ses consultations. Un médecin dont la responsabilité sera " de premier rang " et sa part " prépondérante ", selon l'expression de la ministre. Par ailleurs, un rapport définissant toutes les " modalités opérationnelles " et précisant la " solution technique commune " entre la CNAM et les complémentaires devra être remis avant le 31 octobre. De fait, l'idée, un temps dans l'air, que le tiers payant généralisé serait non obligatoire et le paiement simple et garanti s'est envolée.

Les médecins libéraux fous de rage

La Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), le principal syndicat de la médecine libérale, est furieuse. Elle appelle à une journée portes closes, le 31 mars, date de la présentation du projet de loi de santé en séance publique à l'Assemblée nationale.  "Par la voie d'un amendement gouvernemental voté hier [le 18 mars] en commission des affaires sociales de l'Assemblée, la loi fait du Tiers Payant généralisé un droit, donc une obligation. La CSMF dénonce une véritable « Usine à gaz ». Cet amendement confirme que les médecins seront des contrôleurs des droits des patients, ce qui est inacceptable. Pour valider le tiers payant, il faudra vérifier que le patient a respecté le parcours de soins, vérifier ses droits au regard de l'assurance maladie obligatoire, des complémentaires de santé... Il faudra même s'assurer que le patient a autorisé le prélèvement des franchises sur son compte bancaire. La mission du médecin est de soigner. Elle ne doit jamais être celle de contrôler. Pour la CSMF, il faut arrêter cette machine folle qui va à l'encontre des intérêts des patients, de l'assurance maladie et de la médecine libérale ". Le syndicat MG France, majoritaire chez les médecins généralistes est également furieux.

Que redoutent les médecins ? Un comportement irresponsable des citoyens qui, n'ayant plus à sortir leur carnet de chèque après chaque consultation, se ruent en masse dans les salles d'attente, plombant davantage les comptes de la Sécurité sociale ? Avec cette mesure, la médecine deviendrait donc gratuite !  Comme les Français, les laboratoires pharmaceutiques, tous les acteurs de la santé participent financièrement aux tentatives pour l'instant vaines de renflouer les comptes de la Sécurité sociale toujours dans le rouge, même si le déficit du régime général recule. En 2014, le déficit de la Sécurité sociale est passé sous la barre des 10 milliards d'euros, à 9,7 milliards d'euros, soit deux milliards de moins que le déficit prévu en septembre par le gouvernement.

Outre la paperasserie administrative que cette mesure pourrait provoquer, estiment-ils - les médecins se demandent comment ils récupéreront la partie prise en charge par les mutuelles - , ils redoutent également ce que certains d'entre eux appellent une soviétisation de la médecine qui se traduirait par des délais de paiement, ou plutôt, de remboursement du paiement à l'acte, excessivement longs.