Quand l'inégalité se cache dans les classifications des emplois

Par Giulietta Gamberini  |   |  711  mots
(Crédits : Microsoft)
Malgré leur apparente neutralité, les critères utilisés au niveau de la branche ou en entreprise pour évaluer les emplois sont souvent fondés sur des stéréotypes qui pénalisent les métiers à prédominance féminine.

Plafond de verre, temps partiel, ségrégation professionnelle, congés maternité, discrimination pure et simple... autant de facteurs évoqués lorsqu'on parle d'inégalités salariales entre les femmes et les hommes. Il en existe toutefois un autre, bien documenté dans plusieurs pays francophones, mais encore peu étudié en France : la sous-valorisation des emplois à prédominance féminine. En 2013, un « guide pratique » publié par le Défenseur des droits (à l'époque, Dominique Baudis) y a été consacré, avec l'objectif explicite de munir « tous ceux qui évalueront les emplois et négocieront les classifications professionnelles » d'un outil « soulignant les biais qui peuvent fausser l'évaluation ».

La réflexion se fonde sur un principe reconnu par le droit international, européen et français : celui qui impose une égalité de rémunération non seulement entre les mêmes emplois, mais aussi pour un travail de valeur égale.

« Une extension de la notion d'égalité de traitement qui permet justement d'intégrer la question de la ségrégation professionnelle », souligne Séverine Lemière, maîtresse de conférences à l'IUT Paris-Descartes, qui a coordonné avec Marie Becker et Rachel Silvera la rédaction du guide de 2013.

Appliqué par un arrêt de la Cour de cassation de 2010, ce principe permet en effet de comparer des emplois tout à fait différents, tels que celui de responsable des ressources humaines et de directeur financier, en fonction des critères qui en définissent la valeur (diplômes, compétences, effort demandé, etc.), dans l'entreprise ou la branche.

Compétences « innées »

Or, en dépit de ce cadre législatif et jurisprudentiel favorable à une évaluation non discriminante des emplois, les classifications existantes sont encore largement construites sur des critères qui, malgré leur neutralité apparente, révèlent un potentiel discriminatoire, note le guide. Ainsi, alors que des qualités couramment attribuées aux hommes, comme la force, sont très souvent valorisées lors de l'évaluation d'emplois « physiques », d'autres prérogatives considérées comme plutôt féminines, telles que l'empathie, l'écoute ou la capacité d'effectuer plusieurs tâches différentes, ne sont pas incluses dans la liste des compétences requises pour le poste, en raison de leur caractère prétendument « inné » voire issu d'une « vocation ».

La force physique est d'ailleurs quasiment toujours définie d'une manière partielle, puisque les objets lourds soulevés de façon répétée par les caissières, le déplacement des patients par les infirmières, les postures d'hôtesse d'accueil qui peuvent passer des journées debout, la dextérité des ouvrières sont peu pris en compte dans les classifications. La même approche stéréotypée et historiquement construite à partir du modèle de l'emploi industriel fait en sorte que la contribution - indispensable mais souvent invisible - au bon fonctionnement de l'entreprise des secrétaires, assistantes de direction, communicantes, ainsi que leurs responsabilités de supervision ou de coordination sont moins valorisées par rapport à la contribution et la responsabilité financières ou hiérarchiques des emplois à prédominance masculine.

Le guide du Défenseur des droits invitait à s'inspirer des pays étrangers comme le Québec, la Belgique, la Suisse, mais aussi le Royaume-Uni, la Suède, l'Oregon (ÉtatsUnis) et le Portugal : dans ces pays, sous l'impulsion des pouvoirs publics, une chasse aux discriminations dans les classifications des emplois a été engagée. Or, si depuis sa publication, la loi pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes de 2014 demande des modes d'évaluation des emplois respectant le principe de l'égalité salariale pour des emplois de valeur égale, ainsi que de corriger les critères induisant des discriminations. Mais elle n'a pas été réellement appliquée, regrette Séverine Lemière. Pourtant, une revalorisation collective pourrait aussi avoir des effets positifs sur la mixité, en rendant les emplois traditionnellement féminins plus attractifs pour les hommes et en encourageant les femmes, mieux conscientes de leurs compétences réelles, à évoluer vers d'autres métiers, estime la chercheuse. Elle insiste : intégrer dans la réglementation sur l'égalité salariale un exercice obligatoire de comparaisons d'emplois engagerait les employeurs, aujourd'hui surtout inquiets des répercussions sur leur masse salariale.