Quand le FN détourne les chiffres de Médecins du monde sur les migrants

Par Grégoire Normand  |   |  739  mots
Nicolas Bay (à droite), secrétaire général du Front national veut dénoncer "le mythe" du réfugié en France.
Le député européen FN Nicolas Bay a relayé des chiffres de Médecins du monde qui seraient censés mettre fin au "mythe du réfugié". En réalité les chiffres évoqués par l'élu ne concernent absolument pas la France.

Les questions d'immigration suscitent régulièrement des polémiques en France. Pour appuyer son argumentaire contre l'arrivée de réfugiés en France, le Front national reprend les chiffres de l'ONG Médecins du monde qui devraient infirmer les chiffres officiels relatifs aux motifs de migrations avancés par le ministère de l'Intérieur.

Ce que dit le communiqué de Nicolas Bay, secrétaire général du Front national :

"Le dernier rapport de l'observatoire de l'ONG Médecins du monde jette un discrédit cinglant au mythe de migrants majoritairement réfugiés. Parmi les près de 10 000 personnes interrogées, une majorité des étrangers entrés en France (53,1%) a ainsi indiqué avoir émigré pour des raisons économiques, tandis que seuls 13,7% des migrants ont affirmé avoir fui la guerre."

Ces chiffres ont également été diffusés sur le compte twitter officiel du FN et des blogs :

Des résultats européens rapportés à la France

L'organisation internationale a publié le 15 novembre dernier son rapport sur "L'accès aux soins des personnes confrontées à de multiples facteurs de vulnérabilité en santé dans 31 villes de 12 pays." Dans ce document, les auteurs reviennent sur les résultats d'une enquête européenne menée dans 11 pays de l'UE et la Turquie. Parmi les chiffres clés évoqués dans le rapport, les auteurs indiquent que :

"53,1 % ont émigré pour des raisons économiques, 20,5 % pour des raisons politiques et 13,7 % pour fuir la guerre, 3,0 % seulement ont émigré pour des raisons de santé personnelle"

Mais en réalité ces pourcentages concernent des données recueillies auprès de 9.610 patients rencontrés au cour de 37.012 consultations sociales et médicales dans les pays européens. Le député européen FN applique donc les résultats d'une enquête européenne à la France. Par ailleurs, l'ONG rappelle quelques limites dans la méthodologie de l'enquête. Les résultats doivent être interprétés avec précautions :

"Les populations fréquentant les centres de santé des organisations participant à l'enquête ne doivent pas être considérées comme un échantillon représentatif de l'ensemble des personnes confrontées à de multiples facteurs de vulnérabilité en santé dans les 12 pays de l'enquête. Les résultats doivent être interprétés comme une photo socio-épidémiologique des personnes confrontées à de multiples facteurs de vulnérabilité en santé qui se rendent dans les centres de santé gratuits de MdM et partenaires car, pour diverses raisons, ils ne peuvent pas accéder au système de droit commun."

Une question inexistante en France

La lecture attentive du rapport indique que la question concernant les raisons ayant motivé la migration par pays n'a pas été posée pour la France comme l'illustre le tableau ci-dessous.

[Les initiales en tête de colonnes désignent les 10 pays européens interrogés sur la question des motifs de migration. Les initiales de la dernière colonne désignent la Turquie. Les lettres WAP correspondent à des proportions totales moyennes (proportions calculées pour les pays européens, qui, sauf indication contraire, concernent 11 pays ; cela permet de corriger les différences de nombre de patients entre les pays, qui comptent ainsi pour le même poids dans le total) et les lettres CAP correspondent à des proportions totales brutes.]

Même si la précision est relativement discrète, le rapport souligne qu'en France, la question n'a pas été posée. Par ailleurs, le secrétaire général entretient la confusion dans les termes employés. L'élu parle de "migrants" sans apporter plus de précisions alors que le rapport de Médecins du monde traite des personnes vulnérables, peu importe leur nationalité. Les patients interrogés peuvent venir de l'Union européenne comme le souligne les auteurs : "24,7 % sont des migrants citoyens de l'UE". Et en Allemagne, 9,5% des interrogés sont Allemands, au Luxembourg, 8% des sondés sont des nationaux. Et dans les 11 pays européens, les patients interrogés viennent principalement de l'Union européenne (30,5 %, dont 5,8 % de ressortissants nationaux), puis d'Afrique subsaharienne (24,6 %), du Maghreb (12,6 %), d'Asie (10,9 %) et du Proche et Moyen-Orient (9,2 %). Beaucoup de personnes interrogées n'ont donc pas forcément beaucoup de points communs avec les réfugiés de guerre et les migrants fuyant les pays en crise politique.