Tapie : l'ex-directeur du Trésor accable Lagarde et charge Stéphane Richard

Par latribune.fr  |   |  730  mots
Quand tombe la sentence en juillet 2008 qui accorde 403 millions d'euros à l'homme d'affaires avec les intérêts, l'APE veut batailler en justice, ce que Mme Lagarde refuse au motif qu'il y a très peu de chances qu'un recours aboutisse. (Photo: la directrice du FMI, Christine Lagarde, avec ses avocats au premier jour de son procès, lundi 12 décembre 2016, devant la Cour de justice de République.)
Au troisième jour de son procès pour négligence devant la CJR, Christine Lagarde est sévèrement mise en cause par Bruno Bézard qui, à Bercy, dirigeait à l'époque l'Agence des participations de l'Etat (APE). Le patron d'Orange et ex-dircab de l'ex-ministre des Finances, Stéphane Richard, absent alors qu'il était attendu aujourd'hui, a également été la cible de l'ex-directeur du Trésor.

En 2007 et 2008, lorsque se noue l'arbitrage frauduleux, Bruno Bézard dirige l'Agence des participations de l'Etat (APE), en charge des "intérêts patrimoniaux" de la puissance publique. Cette agence s'oppose alors fermement, et vainement, à ce que l'Etat s'engage dans la procédure d'arbitrage - en abandonnant donc la voie judiciaire classique - pour régler le vieux contentieux entre Bernard Tapie et l'ancienne banque publique Crédit Lyonnais sur la vente d'Adidas.

Cité comme témoin ce mercredi au procès de la directrice générale du Fonds monétaire international pour négligences, le haut fonctionnaire de Bercy, dont l'hostilité à l'arbitrage Tapie est au coeur des accusations qui pèsent contre Christine Lagarde, n'a pas mâché ses mots, selon Reuters.

L'arbitrage, "la pire des solutions"

Il a rappelé qu'il avait jugé cet arbitrage "extrêmement dangereux", que ses services avaient "essayé de limiter les dégâts", mais aussi la façon dont il avait été "choqué" de la rapidité avec laquelle la décision avait été prise de ne pas engager de recours contre la sentence

L'arbitrage était "une libéralité qui n'avait aucune justification", un choix "extrêmement dangereux" et "la pire des solutions", dit M. Bézard, qui travaille aujourd'hui pour un fonds d'investissement franco-chinois.

Pour mémoire, l'ex-ministre des Finances de Nicolas Sarkozy dans le gouvernement de François Fillon à l'époque des faits est accusée d'avoir pris une décision "malvenue" allant à l'encontre "de l'avis répété" de l'Agence des participations de l'Etat (APE) et d'avoir renoncé de manière "précipitée" à exercer un recours contre la sentence, une fois celle-ci prononcée.

Quant à Bruno Bézard, ancien major de l'ENA qui passe pour un homme à l'intelligence redoutable et aux colères redoutées, son parcours exemplaire de vingt-huit années à Bercy (il a vu passer 13 ministres) l'a mené au poste le plus prestigieux, celui de directeur général du Trésor, auquel il a été nommé sous le quinquennat Hollande.

"Il n'y avait que des avantages à tenter le recours"

A l'APE, "nous étions absolument convaincus (...) que cet arbitrage était fondamentalement contraire aux intérêts de l'Etat", a déclaré Bruno Bézard mercredi à la barre, rapporte l'agence Reuters.

"Ne pas engager de recours était une erreur", a-t-il ajouté, se disant "plus choqué par la rapidité de renonciation au recours que par la rapidité de décision" d'entrer en arbitrage.

Mais à l'époque, ses notes pour la ministre peinent à passer le filtre du cabinet dirigé par M. Richard. M. Bézard n'est pas invité à plusieurs réunions décisives.

Quand tombe la sentence en juillet 2008 qui accorde 403 millions d'euros à l'homme d'affaires avec les intérêts, l'APE veut batailler en justice, ce que Mme Lagarde refuse au motif qu'il y a très peu de chances qu'un recours aboutisse.

Certes, quant au potentiel résultat d'un recours contre l'arbitrage, "il y avait une part de doute considérable", a reconnu Bruno Bézard, selon Reuters. Mais "devant une décision aussi scandaleuse, même si nous avions une chance sur mille de gagner, il n'y avait que des avantages, et aucun inconvénient" à tenter le recours, a-t-il estimé.

Stéphane Richard chargé par Bruno Bézard

Peu après la reprise de l'audience à 09H00, l'avocat de Stéphane Richard, actuel patron d'Orange, annonce à la Cour de justice de la République (CJR) que celui qui fut directeur de cabinet de l'ancienne ministre de l'Economie ne viendra pas témoigner dans la matinée.

Or Bruno Bézard, ce mercredi, va aussi charger la barque du patron d'Orange qui, selon lui, voulait "quoiqu'il arrive aboutir à un arbitrage" en raison de sa "compréhension assez poussée des intérêts de M. Tapie".

Depuis le début du procès, lundi, Christine Lagarde insiste sur la "confiance" qu'elle portait à son directeur de cabinet Stéphane Richard pour le traitement de ce dossier. Elle dit s'être reposée sur lui pour la décision d'entrer en arbitrage, mais avoir personnellement étudié de près la question du recours.

M. Richard, considéré comme l'un des hommes-clés de l'arbitrage Tapie qui vaut à Mme Lagarde d'être jugée, est lui-même mis en examen dans le volet non ministériel de l'enquête, ce qui lui donne des droits pour assurer sa propre défense.

(Avec agences)