Taxe lapin  : pourquoi certains médecins n'en veulent pas

Par latribune.fr  |   |  734  mots
Selon une enquête de Doctolib - à partir de 30 millions de rendez-vous pris à l'automne 2022 - 3,4% étaient non-honorés chez les généralistes et pédiatres, 4,5% chez d'autres spécialistes et 6,2 % chez les dentistes. (Crédits : DR)
Chez les médecins libéraux, l'annonce par le gouvernement d'une sanction financière pour les patients qui n'honorent pas leurs rendez-vous médicaux divise, entre ceux qui veulent « responsabiliser » les malades et ceux qui refusent de les « fliquer ».

Tous les médecins n'adhèrent pas à la taxe lapin désirée par le gouvernement. A partir de 2025, les patients qui ne se présentent pas et n'annulent pas au moins 24 heures à l'avance s'exposeront à une sanction de cinq euros, qui ira dans la poche du praticien, qui pourra choisir de la prélever, ou non. Cette mesure s'inscrit dans une batterie de mesures annoncées samedi pour tenter de répondre à la crise du système de soins de ville avec la volonté de récupérer 15 à 20 millions de créneaux médicaux.

Selon une enquête de Doctolib - à partir de 30 millions de rendez-vous pris à l'automne 2022 - 3,4% étaient non-honorés chez les généralistes et pédiatres, 4,5% chez d'autres spécialistes et 6,2% chez les dentistes.

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« Pas demandeur » d'une « taxe lapin », le premier syndicat des généralistes MG France a interrogé un millier de praticiens : un tiers trouvait le phénomène « insupportable » et un tiers ne s'en « préoccupait pas ». Le reste y voyait une « respiration » bénéfique.

 Un lapin « peut être le symptôme d'une difficulté »

 « Parfois, ça sauve la mise. Quand j'ai énormément de consultations, ça me permet de rattraper mon retard », confie Eric Hébras, généraliste dans l'Yonne. Plusieurs médecins traitants interrogés par l'AFP, « peu touchés » grâce à leur patientèle « bien connue » se disent, eux, « très réticents » à l'idée de « fliquer les malades ».

Un lapin « peut être le symptôme d'une difficulté » ou d'une « situation de vulnérabilité », note Isabelle Hamery, médecin sarthoise. Plutôt que « faire payer ou blacklister » elle « préfère essayer de comprendre ».

« Difficultés à joindre les cabinets, mails qui se perdent, délais trop longs (...), les causes sont multiples. Je ne crois pas que des lois de circonstance règleront le problème », juge Vincent Pradeau, cardiologue près de Bordeaux. « Sanctionner, c'est aussi dénoncer des patients. En tant que docteur, c'est compliqué éthiquement », ajoute-t-il, déplorant une « mesure politique, très 'café du commerce' ».

En revanche, plusieurs syndicats, dont la CSMF ou l'UFML-S, militaient depuis longtemps pour « responsabiliser » les patients. « On ne peut pas continuer de perdre des millions de rendez-vous pour des gens qui n'ont aucun respect », tance Philippe Pizzuti, vice-président du syndicat UFML-S, qui juge même ces cinq euros insuffisants, dans une période de pénurie médicale ou les délais d'accès aux soins peuvent dépasser six mois.

Les plateformes « joueront le jeu »

Les plateformes de rendez-vous médicaux en ligne « joueront le jeu » a assuré jeudi le ministre délégué à la Santé, Frédéric Valletoux, après les réticences exprimées par Doctolib. La somme sera retenue via l'empreinte bancaire du patient, prise avant le rendez-vous par les plateformes en ligne, les secrétariats ou les soignants eux-mêmes.

Sur ces aspects techniques, le PDG de la principale plateforme Doctolib, Stanislas Niox-Château, a toutefois émis quelques doutes. « Il ne faut pas créer un fardeau administratif nouveau pour les soignants et entraver l'accès aux soins », a-t-il déclaré mercredi au micro de France Inter.

« Il y a 20% des patients qui sont en situation d'illectronisme, et 5% qui n'ont pas de carte bancaire, c'est impensable d'entraver l'accès aux soins pour eux », a-t-il expliqué.

« Comment vont faire les praticiens pour gérer la majorité des rendez-vous qui ne sont pas pris en ligne (...), gérer les plaintes des patients, les contestations (...). C'est inimaginable d'envisager que les secrétariats vont enregistrer des cartes bancaires », a-t-il encore estimé.

Interrogé jeudi sur Sud Radio, Frédéric Valletoux a voulu rassurer. « C'est un problème de calage technique et je comprends qu'il y ait des sujets d'organisation », mais « cette idée de pénalité, c'est Doctolib qui l'avait lui-même proposé il y a quelques mois », a dit le ministre de la Santé. Doctolib « n'est pas le seul intervenant » et « toutes les plateformes vont jouer le jeu, on va mettre ça en place avec elles », a-t-il assuré.

« Néanmoins, on ne couvrira que la moitié des rendez-vous ainsi, puisqu'aujourd'hui l'autre moitié est prise par des secrétariats ou les médecins eux-mêmes », a précisé le ministre. Pour les médecins, « ce n'est pas une tache administrative énorme (...) techniquement c'est faisable ».

(Avec AFP)