Villeroy de Galhau invite la France à « stabiliser enfin en volume les dépenses publiques »

Par latribune.fr  |   |  1274  mots
Pour le gouverneur de la banque de France, la France « n'a pas les moyens de faire de nouvelles baisses d'impôt non financées ». (Crédits : BENOIT TESSIER)
Alors que la croissance cumulée du PIB par habitant en zone euro a été de 25% depuis 1999, contre 38% aux Etats-Unis, le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, invite la France et l'Europe, « à renouer avec l'ambition de plus long terme », maintenant que les crises récentes sont pratiquement passées. Pour lui, « il faut sortir de l'illusion récurrente que c'est la croissance qui va régler le problème de déficits publics.»

9L'inflation n'est plus la préoccupation principale du gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau. La lettre que le responsable de l'institution adresse chaque année au président de la République et aux présidents du Sénat et de l'Assemblée nationale, publiée dimanche soir, s'intitule  « La France et l'Europe : de la gestion des crises à une ambition de plus long terme ». Elle coïncide avec les 25 ans de l'Union monétaire et les élections européennes de juin.

Alors que la croissance cumulée du PIB par habitant en zone euro a été de 25% depuis 1999, contre 38% aux Etats-Unis, le gouverneur estime qu'il faut désormais, pour combler ce retard, « réussir les transformations d'avenir », en matière d'emploi et de transition numérique et climatique. Pour cela, il faut maîtriser les déficits et la dette publique, ce qui « s'impose d'abord pour la France », souligne-t-il, celle-ci faisant partie des mauvais élèves de l'UE avec un déficit creusé à 5,5% du PIB l'an dernier.

Mais c'est « toute l'Europe » qui doit « recréer des marges pour financer les dépenses supplémentaires » liées aux transformations, ou à la défense, selon le gouverneur. « A cette condition, la création d'une capacité budgétaire  commune serait un atout supplémentaire des Européens », avance-t-il.

« Rendre le marché unique aussi attractif que le marché américain »

Pour le gouverneur, il faut également « approfondir le marché unique pour viser de le rendre aussi attractif que le marché américain ». Les prévisions du Fonds monétaire international (FMI) pour l'année 2024 montrent l'écart entre les deux rives de l'Atlantique, avec une croissance anticipée à 2,7% aux Etats-Unis contre seulement 0,8% pour la zone euro, après respectivement 2,5% et 0,4% en 2023.

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Il salue à cet égard le rapport remis la semaine dernière au sommet européen par l'ancien Premier ministre italien Enrico Letta, qui pourrait faire « gagner plusieurs points de croissance » à l'Europe, notamment par sa recommandation de mobiliser les 300 milliards annuels d'excédents de l'épargne privée européenne pour financer des investissements verts et numériques. « La France et l'Europe doutent aujourd'hui de leur avenir économique », mais « l'autoflagellation et le chacun pour soi ne sont en rien vecteurs de dynamisme économique », prévient  François Villeroy de Galhau.

« Un atterrissage en douceur » de l'économie grâce aux banques centrales

D'autant que « l'action crédible » des banques centrales pendant la crise inflationniste a favorisé « un atterrissage en douceur » de l'économie, bientôt conforté, souligne-t-il depuis plusieurs semaines, par une première baisse de taux de la BCE en juin. Sauf nouveaux chocs géopolitiques, « 2025 devrait voir le retour de l'inflation à 2% et marquer la reprise de la croissance, en France comme en Europe », estime-t-il.

Par ailleurs, dans une interview aux Echos publiée dimanche soir, le gouverneur remarque que « le problème spécifique de la France, c'est que le même modèle social - auquel je crois - nous coûte nettement plus cher qu'aux autres pays européens ». « L'objectif, selon lui, devrait être de stabiliser enfin en volume les dépenses publiques », un effort qui pourrait être favorisé par « l'assouplissement monétaire » qui s'annonce. Pour lui en effet, « il faut sortir de l'illusion récurrente que c'est la croissance qui va régler le problème de déficits publics.»

Il attend de voir « la composition » des plans d'économies annoncés par le gouvernement pour 2024 et 2025. « De bons choix qualitatifs peuvent limiter l'effet restrictif sur l'activité », estime-t-il. Alors que le gouvernement refuse des hausses d'impôts générales pour combler le déficit, le gouverneur estime qu'en effet, « la fiscalité n'est pas un élément central de la solution, mais (qu') il ne faut pas exclure à titre complémentaire des mesures fiscales ciblées ».

Le FMI plaide pour un marché unique plus efficace

La France « n'a pas les moyens de faire de nouvelles baisses d'impôt non financées », déclare-t-il, jugeant « envisageable d'élargir l'assiette de certains impôts sur les ménages et les entreprises, et de revoir sans tabou certaines 'niches' ».

Le ton est le même du côté du FMI. Dans un entretien accordé vendredi à l'AFP,  Alfred Kammer, directeur de la région Europe de l'institution, avance  même que si l'UE était en capacité de réduire de 10 points de pourcentage les barrières toujours existantes au sein du marché unique, cela améliorerait son PIB de 7%. « L'énorme avantage dont disposent les Etats-Unis » comparé à l'UE, « c'est qu'il s'agit d'un marché unique à grande échelle », rappelle le directeur, au dernier jour des réunions de printemps du FMI et de la Banque mondiale, qui se sont tenues toute la semaine.

Pour l'Europe, rattraper une partie de son retard ne demande pas d'énormes évolutions, selon lui : « Améliorer les investissements aux frontières, avancer sur l'union bancaire, l'union financière, faire en sorte que les retraites soient portables (d'un Etat membre à l'autre), faciliter les mouvements des travailleurs, permettre la reconnaissance des diplômes » entre Etats membres.

Mais les pays européens doivent également mener des réformes structurelles, en réaccordant de la place à l'éducation et la formation, tant initiale que tout au long de la carrière, dit-il. « Afin de renforcer les compétences, en particulier avec l'arrivée de l'IA, nous aurons besoin de flexibilité et d'adaptabilité dans l'approche au travail. »

Reste que l'un des principaux défis pour les pays européens, en terme de productivité, est le vieillissement de la population, déjà marquée dans l'est du continent où les populations baissent. « Le vieillissement de la population ne vient pas seulement réduire votre main d'œuvre, cela vient aussi réduire votre productivité », souligne Alfred Kammer.

S'il reconnaît que le contexte politique n'est pas favorable à un renforcement de l'intégration au sein de l'UE, il dénonce néanmoins la responsabilité des Etats en la matière qui « font systématiquement de Bruxelles le bouc émissaire de ce qui ne va pas dans leur pays. Il est temps de changer de discours ». « La réalité est que les pays ont beaucoup gagné à être dans l'UE et son marché unique, en particulier les pays contributeurs nets » au budget européen, rappelle le responsable du FMI.

Les nouvelles règles budgétaires de l'Union européenne, soumises au vote des eurodéputés mardi

Les nouvelles règles budgétaires de l'Union européenne, soumises au vote des eurodéputés mardi, prévoient des trajectoires adaptées à chaque Etat membre afin de redresser leurs comptes publics tout en accordant un peu plus de souplesse pour investir. Ces règles, rassemblées dans le Pacte de stabilité et de croissance, ont été suspendues entre 2020 et 2023 afin d'éviter un effondrement de l'économie européenne après la pandémie de Covid-19 puis la guerre en Ukraine. Face à une récession historique, il fallait laisser filer les déficits.

La réforme permet des trajectoires budgétaires plus adaptées à la situation de chaque pays. Concrètement, les États membres présenteront un plan sur quatre ans qui devra assurer la « soutenabilité » de leur dette et ramener leur déficit sous 3% du PIB, conformément à une trajectoire de référence calculée par la Commission. Les efforts de réformes et d'investissements des Etats membres seront récompensés par la possibilité d'allonger la période d'ajustement budgétaire à sept ans, au lieu de quatre, pour qu'elle soit moins brutale.

(Avec AFP)