Armes nucléaires russes en Biélorussie : Minsk confirme, malgré les menaces de sanctions de l'UE

Par latribune.fr  |   |  915  mots
Le président russe Vladimir Poutine et son homologue biélorusse, Alexandre Loukachenko. (Crédits : SPUTNIK)
La Biélorussie a confirmé mardi que des armes nucléaires tactiques russes allaient être déployées dans le pays. Une décision présentée comme une réponse aux pressions exercées par l'Occident depuis plusieurs années, dont des sanctions et le renforcement militaire de l'Otan près de ses frontières. L’Union européenne l’a pourtant menacée la veille d’adopter de nouvelles sanctions à son égard. Reste que des doutes subsistent sur la réalité des intentions de Vladimir Poutine dans cette affaire.

Trois jours après l'annonce de Vladimir Poutine, affirmant que la Russie allait déployer des armes nucléaires « tactiques » en Biélorussie et y construire un dépôt d'armement nucléaire, Minsk a enfin réagi mardi 28 mars.

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Alors que le chef du Kremlin n'avait donné aucune précision sur le calendrier de ce déploiement, le communiqué publié par le ministère biélorusse des Affaires étrangères semble ouvrir la voie à cette mesure inédite depuis 1991. Jamais en effet, depuis la chute de l'Union soviétique, la Russie n'avait installé d'armes nucléaires hors de ses frontières.

Une réponse à la pression occidentale

La Biélorussie dit voir dans cette démarche une protection face à ce qu'elle décrit comme une campagne de pression menée par les États-Unis et leurs alliés occidentaux, dont l'objectif serait de provoquer la chute du gouvernement du président Alexandre Loukachenko, en place depuis près de trois décennies et dont la réélection en 2020 a été contestée par Washington.

« Au cours des deux dernières années et demie, la République de Biélorussie a été soumise à une campagne sans précédent de pressions politiques, économiques et d'information de la part des États-Unis, du Royaume-Uni et de leurs alliés de l'Otan, de même que de la part des membres de l'Union européenne », a déclaré le ministère des Affaires étrangères. Il s'est aussi plaint « ingérence directe et brutale » dans les affaires internes de la Biélorussie.

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« Au regard de ces circonstances, et du fait des préoccupations et risques légitimes que celles-ci soulèvent dans la sphère de la sécurité nationale, la Biélorussie est forcée de répondre en renforçant ses propres capacités sécuritaires et de défense », est-il écrit dans le communiqué.

Minsk assure que cette décision, qui marque l'un des avertissements les plus fermes adressés par Moscou aux Occidentaux sur le nucléaire, ne contrevient pas aux accords internationaux de non-prolifération.

Des doutes sur un déploiement réel

Reste que cette annonce n'a pas spécialement surpris les Occidentaux. « On savait déjà que la Russie progressait vers l'adoption d'un accord type Otan avec le Bélarus (...). Il n'y a rien de nouveau », écrit sur son compte Twitter le Dr Jeffrey Lewis, expert américain en non-prolifération nucléaire.

De fait, la Russie avait déjà installé en 2016 des missiles Iskander à capacité nucléaire dans l'enclave de Kaliningrad, entre Pologne et Lituanie. Et plus récemment, Minsk a autorisé l'armée russe à se déployer sur son territoire dans le cadre de l'offensive lancée en Ukraine le 24 février 2022. Jusqu'à présent, si des exercices militaires conjoints ont été organisés, l'armée biélorusse n'a pas pris part directement au conflit.

Des doutes subsistent néanmoins sur la réalité des intentions de Vladimir Poutine. Le président russe a indiqué que dix avions bélarusses étaient « prêts à utiliser ce type d'arme », précisant avoir transféré des missiles Iskander capables d'emporter une ogive nucléaire. Et il a aussi fait état d'un « entrepôt spécial » pour y stocker des ogives au 1er juillet.

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Or, « il n'y a aucune trace de cette construction et il paraît assez peu probable que ce soit terminé en trois mois », expliquait mardi à l'AFP Marc Finaud, vice-président des Initiatives pour le désarmement nucléaire (IDN). « On peut faire confiance à tous les satellites espions du monde pour scanner le territoire bélarusse » et en chercher le moindre indice.

Pavel Podvig, un expert russe indépendant, juge même « très improbable (...) que de réelles armes nucléaires soient déplacées au Bélarus ».

Une façon de pousser l'Otan à retirer ses armes nucléaires d'Europe ?

« Pour le moment, c'est une annonce. Le risque d'emploi n'est pas immédiat », a indiqué Marc Finaud, même si chaque transfert d'une ogive nucléaire augmente le risque d'erreur, de piratage ou d'accident. Cette annonce a tout de même suscité une vague de réprobation occidentale sur un nouveau « chantage nucléaire » dans sa guerre contre l'Ukraine. Dès le lendemain, l'UE, par la voix du chef de la diplomatie européenne a averti qu'elle était « prête » à adopter de nouvelles sanctions contre la Biélorussie, sans plus de précisions quant à la forme qu'elles prendraient.

La rhétorique russe, en tout cas, « fait aussi augmenter la demande de dissuasion dans les pays de l'Otan », relève Jeffrey Lewis. Reste ainsi l'hypothèse que Poutine cherche « un levier pour pousser l'Otan à retirer ses armes nucléaires d'Europe », évoque William Alberque, de l'Institut international pour les études stratégiques (IISS). Selon lui, le gain stratégique pour Moscou de disposer d'armes nucléaires au Bélarus est très limité.

Lundi, la Campagne internationale pour abolir les armes nucléaires (ICAN), prix Nobel de la paix en 2017, a rappelé pour sa part qu'une arme nucléaire « tactique » pouvait atteindre 100 kilotonnes, contre seulement 16 pour celle qui « a détruit Hiroshima et tué 140.000 personnes » en août 1945.

(Avec agences)