Commerce : l'Europe prête à riposter face aux taxes américaines

Par latribune.fr  |   |  1448  mots
(Crédits : Kevin Lamarque)
Les dirigeants européens ont appelé à rester unis et solidaires pour riposter aux importantes taxes douanières "injustifiables" annoncées par l'administration Trump sur l'acier et l'aluminium en provenance de l'Union.

Les Etats-Unis ont donc décidé de ne pas prolonger l'exemption temporaire accordée à l'Union européenne jusqu'à jeudi minuit et vont mettre en place des taxes de 25% sur l'acier et de 10% sur l'aluminium. Le sursis sur ces taxes est également levé pour le Mexique et le Canada, ses deux partenaires de l'accord de libre-échange nord-américain (Aléna) dont la renégociation, entamée il y a dix mois, peine à aboutir.

Wilbur Ross, qui s'exprimait lors d'une conférence de presse téléphonique alors qu'il était à Paris pour une réunion de l'OCDE, a précisé que les Etats-Unis ne voulaient pas accorder aux 28 pays membres de l'Union européenne (UE) "une exemption permanente et inconditionnelle sur les taxes". "Nous avons eu des discussions avec la Commission européenne et même si nous avons fait des progrès, ils ne sont pas allés jusqu'au point où il aurait été justifié soit de prolonger l'exemption temporaire, soit d'accorder une exemption permanente", a affirmé le ministre de Donald Trump.

Il a minimisé les risques de représailles de la part de ces pays et ajouté qu'il y avait "un potentiel de discussion" avec l'Union européenne. Mais, a-t-il ajouté, "comme nous ne savons pas quelle va être leur réaction à l'idée de continuer les discussions" malgré l'imposition des droits de douane, "il est un peu prématuré pour savoir quels seront les sujets de ces négociations".

L'Union européenne avait exigé l'exemption définitive de ces taxes douanières comme tout préalable aux négociations. Les Européens, France en tête, ont insisté sur le fait qu'ils ne pouvaient discuter en ayant une épée de damoclès au-dessus de leur tête, qui plus est de la part d'un allié commercial.

Macron en première ligne

Alors qu'Emmanuel Macron doit s'entretenir ce soir avec Donald Trump pour protester contre les taxes américaines sur l'acier et l'aluminium en provenance de l'UE, confirmées ce jeudi, la Commission européenne, chargée de la politique commerciale des 28 pays membres, a promis des contre-mesures aussitôt que les Américains ont mis leur menace à exécution. La décision a été qualifiée d'"illégale" par le président français.
"L'Union européenne ne peut pas rester sans réagir. Ce qu'ils (les Etats-Unis) peuvent faire, nous sommes capables de faire exactement la même chose", a averti le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, lors d'une conférence à Bruxelles.

L'Allemagne, dont les excédents commerciaux sont dans le collimateur du président américain Donald Trump et qui a le plus à perdre d'une guerre commerciale avec Washington, a été prompte à réagir. La chancelière Angela Merkel a ainsi souligné que la décision du président américain serait "désormais analysée en détail au sein de l'UE", qui s'est préparée "pour répondre par des contre-mesures appropriées". "Notre réponse à « l'Amérique d'abord » sera « l'Europe unie », a martelé le chef de la diplomatie allemande Heiko Maas, ajoutant que « les guerres commerciales ne connaissent aucun vainqueur".

Jusqu'à la dernière minute, la première économie de l'UE avait espéré pouvoir raisonner la Maison Blanche et avait même caressé l'idée d'un accord commercial restreint sur certains produits industriels. Peine perdue, le président américain a ignoré ses appels et a même accentué la pression en menaçant également de taxer jusqu'à 25% les importations de voitures, un nouveau coup dur pour le pays des BMW et Mercedes. De son côté, la France défendait une ligne plus dure que l'Allemagne face aux Américains. Elle rejetait l'idée d'ouvrir des négociations commerciales tant que les menaces des Etats-Unis n'étaient pas levées, craignant de voir ressurgir le spectre du très impopulaire TTIP (ou Tafta).

Dans un communiqué commun, le ministre allemand de l'Economie, Peter Almaier, et les ministres français des Affaires étrangères et de l'Economie, Jean-Yves Le Drian et Bruno Le Maire, se sont engagés "comme annoncé par la Commission européenne, de prendre toutes les mesures appropriées pour répondre aux décisions américaines". "La France et l'Allemagne continueront de travailler de façon étroite et coordonnée sur le sujet", ont-ils assuré. A Bercy, on soulignait qu'"il est important que la réponse européenne soit aussi coordonnée que possible", en se félicitant que "depuis plusieurs mois, la solidarité européenne a été maintenue".

Plainte devant l'OMC

Comme l'a annoncé le chef de la Commission européenne, l'UE va porter ce conflit devant l'OMC et imposer des droits de douane supplémentaires à un nombre de produits en provenance des Etats-Unis. Cette procédure devant l'Organisation mondiale du Commerce (OMC), qui peut durer des années, devrait être lancée dès ce vendredi. Quant aux droits de douanes supplémentaires sur un certain nombre de produits américains, la Commission a déjà préparé, fin avril, une liste de produits emblématiques, dont le tabac, le bourbon, les jeans ou les motos, qu'elle avait l'intention de taxer lourdement si elle était frappée par les droits de douane. Cette liste d'articles établie par l'exécutif européen cible, dans certains cas, des Etats américains, souvent agricoles, ayant voté pour Donald Trump en 2016. Ces taxes ou contre-mesures sur les produits de cette liste portent sur un total de 2,8 milliards d'euros qui ne couvrent pas la totalité des dommages infligés à l'industrie européenne, mais permettent à l'UE d'être dans le cadre de l'OMC. Elles peuvent entrer en application dès le 20 juin car tout est réglé du côté de l'OMC. Mais il faudra encore un débat entre Etats membres, pour une dernière validation, pour que ce soit le cas.

Christine Lagarde : "une remise en cause de la manière dont le monde fonctionne"

'Ce sont les plus pauvres qui risquent de pâtir le plus d'une guerre commerciale', a estimé jeudi la directrice générale du FMI, Christine Lagarde. "Au final, si le commerce mondial était très perturbé, si le niveau de confiance parmi les acteurs économiques était considérablement diminué, ceux qui souffriront le plus sont les plus pauvres", a déclaré Christine Lagarde au premier jour du G7 Finances à Whistler au Canada, soulignant que ce sont les plus pauvres qui achètent les biens de consommation courante bon marché.

La responsable du Fonds monétaire international n'a pas souhaité faire de commentaires dans l'immédiat sur cette décision annoncée par le secrétaire américain au Commerce Wilbur Ross. Elle a souligné que la croissance mondiale avait retrouvé ses niveaux d'avant-crise avec un taux de 3,9% attendu cette année. "Le chômage a baissé dans le monde entier avec 120 sur 190 pays qui participent à ce mouvement de croissance mondiale, donc c'est positif", a-t-elle déclaré. Elle a néanmoins rappelé les risques tels qu'une "dette mondiale colossale, plus lourde que jamais" et surtout "les risques de nature géopolitique, politique, qui entraînent une grande incertitude et une instabilité", faisant référence aux tensions commerciales entre les Etats-Unis et ses partenaires commerciaux dont la Chine et l'UE. Christine Lagarde a estimé que c'était une forme "de remise en cause de la manière dont le monde fonctionne" depuis des décennies, basée sur "le principe de la confiance et de la coopération". "On n'était pas toujours d'accord sur tout mais on était prêt à coopérer et les instances internationales avaient alors leur justification", a-t-elle enfin commenté.

De son côté, le gouverneur de la Banque d'Angleterre, Mark Carney, a estimé que les opposants au libre-échange faisaient fausse route en prenant pour cible les déséquilibres en matière d'échange de marchandises, soulignant que les échanges de services étaient en pleine expansion dans les pays développés et que ce secteur était pourvoyeur d'emplois. "Si nous libéralisions au sein du G7 les services dans les mêmes proportions que les marchandises, ces déséquilibres seraient réduits de moitié", a-t-il déclaré, citant des études.

Les Etats-Unis n'ont de cesse de dénoncer leur déficit commercial avec le reste du monde nourri par un déficit des échanges de biens, en particulier avec la Chine (plus de 505 milliards de dollars d'importations chinoises en 2017, conduisant à un déficit de plus de 375 milliards). L'administration Trump, qui a fait de la réduction de ce déficit une priorité, multiplie les mesures protectionnistes, imposant tarifs et taxes douanières sur les importations de ses alliés.