L'économie américaine encore loin du plein emploi

Par Ivan Best  |   |  892  mots
Janet Yellen, présidente de la Réserve fédérale. La banque centrale américaine hésite à relever les taux d'intérêt, en raison notamment du sous emploi persistant des salariés américains.
Le taux de chômage américain est officiellement de 5 %. En réalité, au sens large, il serait plutôt proche de 12 %, estime le cabinet indépendant PrimeView. Surtout, un grand nombre d'ex salariés s'excluent du marché du travail, faute de perspective, ce qui témoigne d'un large sous-emploi.

L'économie américaine est-elle en situation de plein emploi? Apparemment, la question ne se pose même pas. Avec un taux de chômage tombé à 5 %, comme annoncé ce vendredi, un taux correspondant au chômage dit frictionnel, c'est à dire celui lié à l'ajustement entre offreurs et demandeurs d'emploi, la première économie mondiale n'a pas de problème de ce côté. 211.000 emplois n'ont-ils pas été créés en novembre aux Etats-Unis? "Le marché du travail américain est sous tension" écrit Chris Williamson, chef économiste de Markit.

On ne comprend donc pas vraiment, a priori,  les hésitations de la Banque centrale américaine, la Fed, à relever les taux d'intérêt, toujours proches de zéro: une économie en plein emploi tourne bien, et les risques d'inflation peuvent surgir, il est donc logique de relever les taux d'intérêt afin de refroidir la machine.

 Et si la réalité était plus complexe, justifiant le report des hausses de taux envisagées depuis le début de l'année? S'appuyant sur des données officielles, le cabinet parisien indépendant PrimeView a tenté d'estimer la réalité du chômage américain. Quelle est-elle?

 Chômeurs découragés

Pour être chômeur, selon les définitions internationales admises de longue date, il ne faut pas avoir de travail et en chercher un, de façon active. Le taux de 5 % du BLS, l'organisme américain de statistiques chargé des données concernant l'emploi, est calculé selon le principe. Mais peut-on parler de plein emploi quand de nombreux ex salariés renoncent à s'inscrire sur les listes des organismes américains équivalents à Pôle Emploi, car ils n'ont droit à aucune indemnisation, et que l'aide apportée dans la recherche d'un job est quasi nulle? Quand ils sont interrogés, ces chômeurs découragés disent bien pourtant vouloir un job. Si on les intègre dans les statistiques, le taux de chômage grimpe à 8,6 %, selon PrimeView.

Temps partiel contraint

Pour évaluer la réalité du sous emploi, le cabinet ajoute en outre les travailleurs se trouvant en temps partiel contraint. Certes, ils travaillent quelques heures -voire moins, puisque le BLS estime en temps partiel et donc hors du chômage toute personne ayant travaillé au moins une heure pendant la semaine!-  et ne sont pas donc totalement chômeurs. Mais cette situation correspond de fait à du sous emploi: ils ne sont pas occupés autant qu'ils le voudraient, leurs capacités de travail sont sous-utilisées.

Si l'on intègre ces salariés en temps partiel contraint pour calculer une estimation élargie du chômage, on parvient à un taux de chômage de 12,1%, selon PrimeView . Bien loin des 5 % officiels, donc.

Un taux de participation en baisse

Bien sûr, ce calcul est discutable, on peut estimer que les personnes ne cherchant pas activement un emploi n'ont pas de raison d'appartenir à la catégorie "chômeurs". Mais, ce qui est incontestable, c'est que la capacité de travail est sous employée aux Etats-Unis. En témoigne aussi l'évolution du "taux de participation". Il s'agit simplement de la proportion de la population participant au marché du travail (population active, selon la terminologie française), c'est à dire travaillant ou étant en recherche d'emploi. Ce taux de participation a chuté aux Etats-Unis avec la crise de 2008. Il est passé de 66 % à un peu plus de 64 % début 2010. Ce qui n'est pas étonnant outre mesure: l'emploi s'est alors dégradé violemment, beaucoup de salariés ont renoncé à s'inscrire sur les registres du chômage, faute de perspective.

Mais ce qui surprend plus, c'est qu'après cinq ans ou presque de croissance continue aux Etats-Unis -rien à voir avec l'Europe!- , ce taux de participation ne s'est toujours pas redressé. Au contraire. Il a continué de baisser, tombant à près de 62 %.

La fausse explication du vieillissement de la population

Les optimistes insistent sur une explication structurelle. Ce taux de participation concerne toute la population âgée de plus de 15 ans. Or celle-ci vieillit. Les plus de 65 ans, de plus en plus nombreux en proportion de la population, "participent" évidemment moins au marché du travail. D'où cette baisse tendancielle de la proportion d'actifs, qui a commencé d'ailleurs avant la crise de 2008.

Le problème, c'est que les autres catégories d'âge sont aussi concernées. Les 25-54 ans n'ont aucune raison de quitter le marché du travail. Pourtant, la proportion d'actifs dans cette catégorie, qui atteignait 83,5 % en 2006, a baissé jusqu'en 2012, et s'est tout juste stabilisée depuis, au dessus de 80,5 %. Dans un contexte de croissance, elle aurait bien évidemment dû remonter...

Comme le soulignent les économistes de PrimeView:

 "L'évolution du taux de participation du cœur de la population active est probablement le facteur qui traduit le mieux l'incapacité nouvelle du marché de l'emploi de répondre aux besoins de la population américaine"

 De moins en moins de jobs pour les jeunes

On peut ajouter que les jeunes, les 16-24 ans, sont aussi de moins en moins actifs. Leur taux de participation qui était de 60 % en 2008, a chuté à 54 %, et ne semble pas vouloir se redresser. Certes, cela s'explique par la volonté de nombre d'entre eux de poursuivre leurs études. Mais pas seulement. Il y a une vraie difficulté à entrer sur le marché du travail.

Comment, dans ces conditions, parler de plein emploi aux Etats-Unis?