La Turquie hésite à lutter contre l’activité lucrative des passeurs

Par Georgi Gotev, Euractiv  |   |  910  mots
Après l'échec de leur traversée jusqu'à l'île grecque de Lesbos, des réfugiés rescapés sont récupérés par un vaisseau garde-côte turc, le 9 novembre 2015.
Des spécialistes s’interrogent sur la motivation de la Turquie à lutter contre les passeurs. Une activité qui représente une manne de 2 milliards d’euros pour l’économique turque. Un article de notre partenaire Euractiv.

Si la Turquie ne commence pas à cibler les organisations qui aident les migrants à passer en Europe, la crise des réfugiés risque d'empirer, de pousser les Britanniques à voter pour le Brexit et d'entraîner d'autres conséquences désastreuses, ont déclaré des spécialistes le 17 février.

Lors d'une conférence organisée par Carnegie Europe, son directeur, Jan Techau, a déclaré avoir entendu, lors d'un événement à Munich, des collègues britanniques se plaindre de la crise des réfugiés. Un état d'esprit qui risque de se répandre au Royaume-Uni avant le référendum sur le Brexit, attendu en juin. Dans le contexte de la crise des réfugiés, il y a maintenant 70% de chance de voir les Britanniques voter pour quitter l'UE, a-t-il assuré.

« Lors de cette conférence sur la sécurité, à Munich, j'ai entendu dire que la crise de l'euro avait déjà été difficile et que la crise des réfugiés avait en quelque sorte convaincu les Britanniques qu'il était temps de quitter cette union maudite », a déclaré Jan Techau.

Angela Merkel a un besoin urgent de solutions

La pression à laquelle est soumise la chancelière allemande, Angela Merkel, est beaucoup plus forte que ce que les gens pensent, a-t-il poursuivi, ajoutant qu'elle avait désespérément besoin de revenir victorieuse du sommet européen qui commence aujourd'hui.

« Il y a une très mauvaise ambiance au sein de son propre parti », a assuré Jan Techau, qui a ensuite expliqué que c'était pour cela qu'elle s'était éloignée de la grande solution paneuropéenne qu'elle a défendu pendant longtemps, et qu'elle attendait des solutions de la « coalition des pays volontaires », dont la Turquie.

    > Lire : L'UE et la Turquie trouvent un accord sur la crise des réfugiés

L'idée: que les migrants non éligibles à l'asile soient réadmis en Turquie.

Pour Angela Merkel, le mini-sommet avec la Turquie et dix autres pays "au point de vue similaire" est plus important que le vrai sommet, a estimé le directeur de Carnegie Europe. En effet, Angela Merkel et les autres dirigeants sont censés rencontrer le Premier ministre turc, Ahmet Davutoğlu, le 19 février, à la représentation permanente d'Autriche.

Si le mini-sommet est une réussite, et qu'Angela Merkel parvient à rassembler un soutien autour de la question de relocalisation avec les Turcs, alors des conclusions seront formulées lors du Conseil pour faire la distinction entre demandeurs d'asile et réfugiés, a-t-il expliqué. L'idée est que les migrants non éligibles à l'asile devront être réadmis en Turquie.

Le marché du trafic d'êtres humains estimé à 2 milliards d'euros

Marc Pierini, chercheur invité à Carnegie Europe, a pour sa part déclaré que la Turquie n'avait « rien fait » contre le marché à 2 milliards d'euros des trafiquants d'êtres humains. Selon lui, une opération sur le terrain, en Turquie, contre les passeurs est la solution. Marc Pierini a déclaré que l'opération de l'Otan aiderait les alliés occidentaux à surveiller les opérations des autorités turques contre les trafiquants.

« Avoir des avions de reconnaissance et des navires de renseignement au large des côtes turques permettra à l'Otan de surveiller les actions des autorités turques, et notamment les communications entre le commandement central et les garde-côtes, et là, on se rendra enfin compte qu'ils ne font pas grand-chose [pour endiguer le trafic d'êtres humains, Ndlr]», a-t-il expliqué.

>> Lire : "L'UE ne peut pas dire à la Turquie d'ouvrir ses frontières quand elle ferme les siennes"

Les camps (seuls 15% des réfugiés y vivent), une "vitrine" pour la Turquie

Selon le chercheur, 85% des 2 millions de réfugiés actuellement en Turquie ne sont pas dans des camps, mais vivent dans les villes, grâce à leurs économies ou à l'argent qu'ils ont reçu de proches vivant déjà en Occident. Il a expliqué que les camps de réfugiés n'étaient que des "vitrines" pour exposer les efforts de la Turquie aux yeux de responsables comme la Haute Représentante de l'UE pour les affaires étrangères, Federica Mogherini.

Les autorités contentes de voir circuler l'argent du trafic

La police turque et les responsables municipaux sont parfaitement conscients du trafic, car des caméras filment des échanges d'argent dans des lieux publics, a-t-il assuré. « Il s'agit de beaucoup d'argent », a-t-il continué, ajoutant que les autorités étaient plutôt contentes de voir ces sommes circuler dans l'économie turque pour compenser les pertes du secteur touristique.

« Cela ne veut pas nécessairement dire que chaque capitaine ou gendarme empoche de l'argent, mais simplement que de l'argent circule dans l'économie », a-t-il précisé.

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CONTEXTE

Le gouvernement turc a conclu un accord avec l'UE en novembre dernier pour juguler l'afflux de réfugiés en échange de 3 milliards d'euros d'aide financière.

Le 3 février, l'UE a fini par trouver un moyen de financer l'accord.

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PROCHAINES ÉTAPES

  • 18 février à 12h00 : mini-sommet entre des pays européens au point de vue similaire et la Turquie, à la représentation permanente de l'Autriche auprès de l'UE.
  • 18 février à 17h00 : Début du sommet européen avec au menu Brexit et crise des réfugiés.

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Par Georgi Gotev, EurActiv.com (Traduit par Marion Candau)

(Article publié le jeudi 18 février 2016, à 10:05, mis à jour à 12:56)

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