Ukraine : "retraits" ou "rotations" de troupes ? Comment Poutine se joue des Occidentaux

Par latribune.fr  |   |  988  mots
Cette photo est diffusée par l'agence Reuters sans garantie d'authenticité car elle n'a pas été prise par un de ses photojournalistes: elle est issue d'une séquence publiée par le ministère russe de la Défense le vendredi 18 février 2022, qui la décrit comme celle d'un train transportant des chars et d'autres matériels militaires arrivant à l'une des bases russes permanentes de la région de Nijni Novgorod, en Russie, à l'Est de Moscou - très loin de la frontière ukrainienne, donc. (Crédits : Reuters)
La Russie a annoncé vendredi retirer des tanks déployés près de la frontière ukrainienne et des bombardiers en Crimée annexée, qui retournent dans leur garnisons. Mais dans le camp d'en face, le jour où débute la Conférence de Munich, tout le monde reste dubitatif. Pendant trois jours, jusqu'à dimanche, dirigeants internationaux et diplomates de haut rang vont discuter de défense, sécurité et de la crise ukrainienne. Sergeï Lavrov, le chef de la diplomatie russe, a dit qu'il n'y assistera pas cette fois-ci.

Dans le camp de l'OTAN, c'est la perplexité. Personne ne peut dire ce que va faire Vladimir Poutine. Sans doute l'effet escompté par la Russie qui a multiplié les mouvements de troupes ces derniers jours -depuis la visite d'Olaf Scholz- annoncés comme des "retraits" en signe d'apaisement alors que le renseignement américain et les Occidentaux en général estiment qu'il s'agit tout au plus de "rotations", voire du camouflage d'un renforcement de troupes estimé à 7.000 hommes de plus.

Alors que débute ce vendredi et pour trois jours dans le sud de l'Allemagne la Conférence de Munich, cette perplexité -une forme d'invasion de l'esprit- va planer sur les échanges que vont avoir dirigeants internationaux et diplomates de haut rang qui doivent débattre de questions de défense et de sécurité.

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Cette perplexité se sentait par exemple dans les propos que tenait, ce vendredi, Jean-Yves Le Drian, le ministre français des Affaires étrangères, sur la chaîne de télé LCI, se demandant publiquement si ces départs de troupes russes annoncés près de l'Ukraine correspondaient à un vrai "retrait" ou à de simples "rotations".

« Entre les inflexions annoncées et les inflexions réalisées, il y a un pas », a-t-il déclaré sur la chaîne LCI.

Il ajoutait, comme hier d'ailleurs, qu'il jugerait sur les faits:

« Moi je préfère, au-delà des mots, les faits et je souhaite que nous puissions constater qu'il ne s'agit pas de rotations mais de retraits.»

Une situation incertaine, où « tout est possible »

Autre déclaration consolidant le climat général d'incertitude, le ministre français des Affaires étrangères a redit que « tout est possible, aussi bien une intervention massive de la part des forces russes sur le territoire ukrainien qu'une discussion diplomatique ».

Se voulant rassurant, Jean-Yves Le Drian penchait cependant pour un retour de la voie diplomatique:

"On ne pourra pas continuer longtemps à uniquement discuter par courriers interposés. A un moment donné, il faut s'asseoir autour d'une table", a averti Jean-Yves Le Drian, à quelques heures de l'ouverture de la conférence annuelle de Munich (Allemagne) sur la sécurité qui sera dominée par la crise ukrainienne.

Sergeï Lavrov n'assistera pas à la Conférence de Munich

La Conférence de Munich s'ouvre donc aujourd'hui, au lendemain de la réception par les Etats-Unis de la réponse écrite de la Russie à leurs propositions de négociations sur la sécurité en Europe pour désamorcer la crise autour de l'Ukraine.

Sont notamment attendus à cette conférence internationale qui sera dominée par les questions de défense et de sécurité autour de l'Ukraine, la vice-présidente américaine Kamala Harris, le secrétaire d'Etat américain Antony Blinken, le chef des Nations unies Antonio Guterres, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, le chef de l'OTAN Jens Stoltenberg et le président ukrainien Volodymyr Zelensky.

Biden craint que la Russie cherche un prétexte pour justifier une intervention

La Russie, dont le ministre des Affaires étrangères Sergeï Lavrov est régulièrement venu à cette conférence annuelle, n'a pas prévu de participer cette année. En revanche, il rencontrera son homologue américain Antony Blinken la semaine prochaine "à condition qu'il n'y ait pas d'invasion russe de l'Ukraine", a indiqué jeudi soir le département d'Etat américain.

Quant au président Biden, il devrait, selon un responsable de la Maison-Blanche, s'entretenir vendredi après-midi "avec les dirigeants transatlantiques (...) au sujet des troupes militaires russes massées à la frontière de l'Ukraine". Selon lui, la Russie cherche un prétexte, une "fausse alarme", liée au conflit entre Kiev et des séparatistes pro-russes dans l'Est ukrainien, qui justifierait l'intervention des troupes russes.

Dialogue de sourds et statu quo entre Russie et Occidentaux

Pour l'instant, c'est le dialogue de sourds qui prévaut entre les Etats-Unis et la Russie.

Côté occidental, ce dialogue de sourds a pris hier un tour très solennel au conseil de sécurité de l'ONU quand Antony Blinken, qui s'y est rendu en urgence, est venu exhorter les Russes à "abandonner la voie de la guerre".

Ce matin, l'Allemagne a accusé la Russie de mettre en danger la sécurité de l'Europe avec des "exigences datant de la Guerre froide".

L'armée ukrainienne, quant à elle, dénonçait une attaque contre la ville de Stanitsa Louganska, qui a privé la moitié de cette localité d'électricité et laissé un trou d'obus dans le mur d'une école.

Symétriquement, les séparatistes pro-russes de Lougansk ont, quant eux, accusé Kiev d'être responsable d'une multiplication des bombardements pour "pousser le conflit vers une escalade". Le Kremlin a lui estimé que la "concentration extrême des forces ukrainiennes" était responsable de cette situation "extrêmement dangereuse".

Hier jeudi, la Russie, qui a donc envoyé sa réponse écrite aux Etats-Unis s'agissant des moyens de désamorcer la crise ukrainienne, a par ailleurs déroulé une nouvelle fois le catalogue de ses demandes stratégiques aux Occidentaux (notamment l'interdiction pour l'Ukraine d'adhérer à l'OTAN) qui les ont pour la plupart déjà rejetées.

En cas de refus, "la Russie sera forcée de réagir, notamment par la mise en oeuvre de mesures à caractère militaire et technique", a menacé la diplomatie russe.

Dans le même temps et en soutien à la Russie, le président bélarusse Alexandre Loukachenko se disait prêt à accueillir des "armes nucléaires" (dont il ne dispose pas depuis la chute de l'URSS).

Enfin, lors de la réunion du Conseil de sécurité de l'ONU, la Chine est venue se mêler au débat en estimant que "l'expansion constante de l'Otan, dans le sillage de la Guerre froide, (allait) à l'encontre de notre époque".