Défaite sur le Brexit, Theresa May survit à la motion de censure

Par latribune.fr  |   |  1347  mots
(Crédits : Reuters)
Le Parlement britannique a très largement rejeté mardi dans la soirée l'accord de Brexit négocié pendant de longs mois entre Londres et Bruxelles, infligeant à Theresa May une défaite attendue mais aux conséquences imprévisibles. Dans la foulée, elle a échappé de justesse ce mercredi soir à la motion de censure déposée par le Labour, par 325 contre 306.

[Article publié le 16.01.19 à 8h01, mis à jour à 21h30 avec les résultats de la motion de censure]

C'est un échec retentissant pour Theresa May. Les députés britanniques ont largement rejeté mardi dans la soirée l'accord de Brexit ardemment négocié avec Bruxelles pendant de longs mois, par 432 voix contre 202 pourLa Première ministre a pourtant tenté jusqu'au bout de persuader les élus indécis de voter en faveur de son accord en soulignant que le rejet de son texte pourrait déboucher sur l'abandon du Brexit plutôt que sur une sortie de l'Union européenne sans accord.

Elle ne dispose que de quelques jours pour élaborer un "plan B" qu'elle s'est engagée à venir présenter lundi devant le Parlement. Plusieurs options s'offrent à elle, notamment celle de s'engager à retourner négocier à Bruxelles ou demander un report de la date du Brexit, prévue le 29 mars.

Corbyn espérait capitaliser sur l'échec de May

Mais encore fallait-il qu'elle survive à la motion de censure déposée par le chef de file de l'opposition travailliste, Jeremy Corbyn, et qui a été débattue ce mercredi soir. Avec une marge de seulement 19 voix (325 contre 306), Theresa May a finalement échappé de justesse à ce vote de défiance.

En réalité, il était peu probable que l'opposition réunisse une majorité pour déboulonner la Première ministre car, paradoxalement, bien qu'un tiers des conservateurs se sont prononcés hier contre le texte - 118 sur un total de 317 -, certains poids lourds du gouvernement et les unionistes nord-irlandais du DUP avaient annoncé qu'ils soutiendraient Theresa May lors de ce vote de défiance.

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« Après deux ans de négociations ratées, c'est une défaite catastrophique pour le gouvernement. Il faut qu'on évite une sortie sans accord de l'Union européenne. Il faut négocier un maintien dans une Union douanière et garantir les droits des citoyens. À chaque étape, la Première ministre a fermé la porte au dialogue. Les chefs d'entreprise ont supplié de négocier un accord sur l'Union douanière, les syndicats ont fait la même chose, et ils ont été ignorés. Le gouvernement a perdu la confiance du Parlement et du pays. Et c'est la raison pour laquelle je vous informe que j'ai déposé une motion de censure contre ce gouvernement », a déclaré Jeremy Corbyn à la Chambre des communes mardi.

Si la Première ministre a échappé à la censure, sa tâche apparaît quasi insurmontable. L'Union européenne s'est dite à de multiples reprises opposée à toute renégociation en profondeur de l'accord - une position réaffirmée mardi soir par le chancelier autrichien Sebastian Kurz. De son côté, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a constaté que le risque de Brexit désordonné s'était considérablement "accru".

« Bien que nous ne souhaitions pas que cela se produise, la Commission européenne va poursuivre ses préparatifs pour faire en sorte que l'UE soit parfaitement prête », a-t-il dit dans un communiqué.

Les perspectives d'un "no deal" s'intensifient

S'exprimant à l'issue du vote des députés, Theresa May s'est dite prête à aborder les futures discussions de manière "constructive", tout en soulignant que son gouvernement ne ferait que des propositions "réalistes". Elle a clamé sa volonté de voir le Royaume-Uni sortir de l'Union européenne "avec un accord" à la date prévue. Auparavant, elle avait exclu de convoquer un nouveau référendum ou des élections législatives anticipées en faisant valoir que cela ne ferait qu'accroître "les incertitudes et les divisions" et repousser la date du Brexit.

Le chef du Labour a rappelé de son côté qu'il n'y avait pas au Parlement de majorité en faveur d'un Brexit sans accord. Il a réclamé par conséquent que « toutes les options soient sur la table » lors des prochains jours, y compris celle d'une réouverture des négociations avec l'UE.

À l'autre bout de l'échiquier, Dominic Raab, qui a démissionné en novembre dernier de son poste de ministre du Brexit, avait jugé avant le vote qu'il était au contraire temps pour le Royaume-Uni de se préparer à un "no deal".

« Il est temps que nous montrions clairement, par ce vote, que non seulement les termes actuels sont inacceptables mais que nous n'allons pas rester les bras en l'air. Nous allons partir le 29 mars », a dit ce farouche partisan du Brexit.

En ce sens, l'Irlande a annoncé qu'elle allait intensifier ses préparatifs pour un Brexit sans accord, appelant Londres à faire des propositions pour "résoudre cette impasse" politique.

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[Un "no deal" imputerait le PIB de l'UE de 1,5% d'ici 2030, selon les projections du FMI. L'Irlande, les Pays-Bas, le Danemark et la Belgique - pays ayant des liens commerciaux étroits avec le Royaume-Uni -, seraient les plus durement touchés. Un graphique de notre partenaire Statista]

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Des concessions sur l'Irlande, "ce n'est pas possible" avertit Nathalie Loiseau

Pour les Brexiters comme les Remainers, le texte de 585 pages négocié pendant plus d'un an équivalait à céder du pouvoir à l'UE sans obtenir les bénéfices attendus d'une plus grande autonomie. C'est la clause de "sauvegarde" ("backstop") prévue dans le projet d'accord, destinée à empêcher le rétablissement d'une frontière physique entre la République d'Irlande et l'Irlande du Nord et instituant de fait un statut spécifique pour cette dernière, qui constituait la principale source de blocage.

Les dirigeants européens avaient promis lundi dans un courrier adressé à Theresa May qu'ils chercheraient les moyens d'empêcher d'activer cette clause de sauvegarde, mais cela n'a pas convaincu les parlementaires récalcitrants.

Chez nos confrères de France Inter ce mercredi matin, la ministre française chargée des Affaires européennes Nathalie Loiseau, a estimé que « l'accord sur le Brexit est le seul possible » et que « [l'UE] se prépare à une absence d'accord ».

Interrogée sur les hypothèses d'une renégociation du texte et d'un report de la date de sortie de l'UE, la ministre a averti que si c'est notamment pour demander des concessions sur l'Irlande, « on a déjà dit que ce n'est pas possible ». De même, elle a jugé « très compliqué » de repousser l'entrée en vigueur du Brexit au-delà des élections européennes. « Si on veut une séparation ordonnée et qui permette que dans l'avenir le Royaume reste proche de l'UE, c'est ce texte. Les autres options, c'est soit pas d'accord, soit pas de Brexit. »

Le Labour veut une inflexion sur l'Union douanière

Un responsable du Labour, John McDonnell, ministre des Finances du cabinet fantôme travailliste, a laissé entendre ce mercredi que son parti pourrait voter en faveur d'un plan de Brexit présenté par Theresa May si la dirigeante accepte de faire des concessions, notamment le maintien du pays dans l'Union douanière.

« Nous soutiendrons un accord qui réunisse le pays, protège les emplois et soutienne l'économie. Nous menons cette politique de la main tendue depuis le début. Pendant deux ans, elle a refusé tout contact », a-t-il déclaré à Reuters.

À Bruxelles, on estime que si Londres renonçait, par exemple, à faire figurer dans l'accord de Brexit son refus de rester dans l'Union douanière de manière permanente, cela aurait, certes, l'avantage d'atténuer la crispation autour de la clause de sauvegarde sur la frontière irlandaise, mais cela ferait aussi qu'exacerber les tensions avec les "brexiters" qui veulent la garantie que le Royaume-Uni coupera tous les ponts avec l'UE.

Le Labour réclame la convocation d'élections législatives anticipées qu'il aurait de grandes chances de remporter, assurant pourvoir négocier par la suite un meilleur accord de Brexit. Mais de nombreux élus travaillistes semblent aussi s'être ralliés à l'idée d'un second référendum qui poserait clairement la question d'un abandon de la sortie de l'Union européenne, qu'ils pourraient mettre sur la table si Theresa May réchappe à la motion de censure.

(avec Reuters et AFP)