Macron en Europe : combien de divisions ?

Par Florence Autret, à Bruxelles  |   |  1361  mots
Le nouveau président français est tombé à Bruxelles en terrain ami, mais certainement pas conquis. Revue de quelques atouts et handicaps pour les négociations à venir.

L'élection d'Emmanuel Macron a été accueillie par l'immense majorité des dirigeants européens avec soulagement, au pire, enthousiasme, au mieux. La commissaire à la concurrence Margrethe Vestager, une vieille connaissance, a par exemple lâché un "formidable !" et remercié les Français au nom de l'Europe. C'était bien le moins vu les diatribes anti-bruxelloises de son adversaire et le choix assumé d'Emmanuel Macron de se présenter comme un "pro-européen".

La question du "pour" ou "contre" l'Europe ayant été tranchée sans ambiguïté dimanche, restent celles du "Quelle Europe ?" et du "Comment ?". Le président élu a promis une "refondation" et esquissé quelques pistes. Or trouver une place, pour lui et son futur gouvernement, dans le jeu institutionnel et diplomatique bruxellois sera une tâche difficile pour un président qui ne semble pas prêt à se ranger derrière l'un des deux grandes forces politiques européennes : le Parti populaire européen (centre-droit) et le Parti socialiste européen.

De l'utilité des "lignes rouges" parlementaires

Dans le groupe des chefs d'Etat et de gouvernement des Vingt-Huit, le président élu se place résolument du côté des partisans d'une Europe que l'on pourrait appeler "communautaire", comme ses homologues allemand ou néerlandais Angela Merkel et Mark Rutte, par opposition aux défenseurs de l' "Europe identitaire", qui s'est cristallisée pendant la crise des réfugiés autour du chef du gouvernement hongrois Viktor Orban et comprend notamment la Première ministre polonaise issue du parti nationaliste PiS, Beate Sydlo.

Mais ce conflit interne au conseil européen n'épuise pas toutes les oppositions possibles. Tout à l'ambition de rendre à la France sa place dans le concert européen, d'en faire un moteur, il s'est abstenu jusqu'à présent de préciser les points sur lesquels les intérêts français pourraient s'opposer à ceux de l'Allemagne et de ses autres alliés. Or il part avec comme principal handicap... la faiblesse de ses propres contre-pouvoirs en France.

Angela Merkel n'a pas tant construit son autorité au sein du Conseil européen sur sa capacité de proposition que sur celle de dire "non". Comment ? En invoquant les contraintes de sa propre majorité de gouvernement composée de chrétiens-démocrates et de sociaux-démocrates. Avant et après chaque sommet, la chancelière se présente devant ses députés au Bundestag, écoute, explique, justifie. Et entre deux sommets, elle mène une diplomatie continue en direction de ses partenaires.

Aux Pays-Bas, par exemple, le contrôle du Parlement s'est avéré à la fois une contrainte et une arme dans le dossier de l'accord de libre échange avec l'Ukraine que les Européens ont du ajuster pour tenir compte des réserves de l'opinion néerlandaise relayées par le Premier ministre libéral récemment reconduit Mark Rutte.

Le problème (français) irrésolu de la légitimation

Emmanuel Macron a, lui, un "mandat" européen à la fois général, généreux et fragile si l'on tient compte de l'importance du vote eurosceptique. N'étant pas responsable devant le Parlement, il ne pourra pas le préciser et le renouveler au fur et à mesure de son mandat en fonction des circonstances. Or l'expérience a montré que faire reposer toute la force de la parole française sur un suffrage universel est risqué. On se souvient que le célèbre "retour de la France en Europe" annoncé par le président Sarkozy après son élection en 2007 n'avait pas trouvé matière à se concrétiser, ainsi que des promesses non tenues de renégociation de traité et de plan de relance faites par François Hollande.

De ce point de vue, l'idée, entendue pendant la campagne, de faire appel à des "experts" pour améliorer les traités commerciaux de façon à ce qu'ils soient mieux acceptés par l'opinion, laisse songeur. En réalité les parlements nationaux et régionaux, comme on l'a vu pour le traité CETA avec le Canada, se sont déjà emparés d'un rôle de contre-pouvoir à la Commission européenne qui mise, justement, sur l'expertise pour préserver ses prérogatives.

Au Parlement, les libéraux, seuls alliés naturels

Dimanche soir, Manfred Weber, président du groupe PPE (centre-droit), le premier groupe au parlement européen, se réjouissait que "les Français aient voté pour l'Europe, pour les réformes et pour l'avenir". Mais aussitôt le député CSU appelait de ses voeux une victoire des... Républicains aux élections législatives et la mise en oeuvre d'un agenda hardi de réformes. "Les problèmes de la France ne devraient pas être d'abord réglés à Bruxelles mais en France", déclarait-il lundi matin à la chaîne ZDF.

Son homologue du Parti socialiste européen, Gianni Pittella s'est dit "soulagé", avant de lancer cet avertissement : "nous appelons également le nouveau président à répondre aux doutes exprimés par des millions de Français sur l'Europe et sur son programme".

Dans les rangs écologistes, aucun député français n'a apporté son soutien à En Marche!, ce qui est logique compte tenu de l'alliance entre Benoît Hamon et Yannick Jadot. En revanche, de nombreux élus verts d'autres pays voient dans l'élection d'Emmanuel Macron une chance de faire levier contre les politiques chrétiennes-démocrates et le poids de Berlin. "Il ne faut plus cacher que l'emprise allemande sur l'UE renforce la frustration vis-à-vis de l'Europe dans beaucoup de pays" et explique le succès de Marine Le Pen, souligne une pétition mis en ligne entre les deux tours de l'élection française par le député allemand Sven Giegold, qui reprend les propositions de réforme de la zone euro portées par le président français.

Les seules forces susceptibles d'apporter un soutien indéfectible au nouveau président se trouvent dans les rangs des libéraux. Six des sept députés français du groupe ont explicitement rejoint les rangs de En Marche! Parmi eux Sylvie Goulard, dont le nom circule pour entrer au gouvernement, et Jean Arthuis, élus respectivement sur des listes Modem et UDI. L'influent président du groupe ALDE, le Belge Guy Verhofstadt, chargé de suivre les négociations du Brexit pour le Parlement, a aussi été un soutien de la première heure. Mais fort de 68 élus sur 751, l'ALDE ne peut jouer qu'un rôle d'appoint dans d'éventuelles coalitions.

Il faudra attendre de connaître la composition de la majorité de gouvernement en France pour voir sur quoi pourrait reposer son assise partisane au sein de l'Assemblée européenne laquelle amende et vote directives, règlements, budgets. La question sera cruciale pour "délivrer" sur quelques sujets clés comme la politique commerciale, les perturbateurs endocriniens ou l'environnement. Dans le passé, le gouvernement fédéral allemand s'est souvent appuyé sur l'alliance entre PPE et PSE qui fait miroir à la coalition en place au Bundestag, quand il s'est agi par exemple de défendre Volkswagen dans le dieselgate ou sur les émissions de CO2.

Emmanuel Macron est très loin de pouvoir prétendre à cela. S'il veut réussir, il lui faudra faire passer la politique européenne de "hobby" du Président de la République à une véritable politique nationale. Une vraie révolution, dont rien ne dit qu'il soit possible de la mener dans le cadre des institutions de Cinquième République.

Selon nos confrères du quotidien belge Le Soir, le mouvement La République en Marche! et Emmanuel Macron rejoindraient l'Alliance démocrate et libérale européenne (ALDE), dont est notamment membre le Premier ministre néerlandais Mark Rutte, l'ancien Premier Ministre belge Guy Verhofstadt et la commissaire à la concurrence Margrethe Vestager. « Cela dépendra sans doute de la coalition qu'Emmanuel Macron nouera après les élections législatives », a précisé la source du quotidien belge.

Mis à jour le 8 mai 2017, à 20h19