Italie : les municipales confirment l'agonie du système politique

Par Romaric Godin  |   |  1561  mots
Les électeurs italiens ont envoyé un message d'avertissement à Matteo Renzi
Les élections municipales partielles de ce dimanche 5 juin ont confirmé le rejet du système politique traditionnel, avec de lourdes pertes pour le parti de Matteo Renzi et une poussée du Mouvement 5 Etoiles.

« C'est un résultat historique. Nous changeons tout. » Sur son blog, l'ancien comique Beppe Grillo ne manque pas d'enthousiasme au lendemain du premier tour des élections municipales partielles italiennes. 13 millions d'électeurs italiens étaient appelés aux urnes ce dimanche 5 juin, soit près de la moitié d'entre eux, pour un test important pour le président du conseil de centre-gauche Matteo Renzi. Et le grand vainqueur de cette journée est indubitablement le Mouvement 5 Etoiles (M5S), mouvement eurosceptique opposé au « vieux système » politique et fondé par Beppe Grillo qui confirme son ancrage - maintenant local - dans le paysage politique italien.

Le choc romain

Et le symbole de cette victoire, c'est la première place de Virginia Raggi, candidate M5S à Rome où elle a obtenu plus de 35 % des voix, soit près de dix points d'avance sur le candidat du parti démocrate (PD) de Matteo Renzi, Roberto Giacchetti, donné à 24,8 %. Aucun sondage ne donnait une telle distance, ni un tel score. Certes, le cas romain est très particulier, la ville fondée par Romulus est particulièrement mal gérée et ses différentes administrations ont été marquées par de nombreux scandales. Virginia Raggi s'est présentée et a été perçue comme une alternative crédible. Et c'est ce qui est intéressant : le M5S n'est plus qu'un simple parti de protestation, il peut être perçu comme une alternative de gouvernement. En 2013, lors des dernières municipales romaines, le M5S avait obtenu 12,8 % des voix seulement. Il a donc presque triplé en trois ans son audience.

Succès du Mouvement 5 Etoiles

Le résultat dans le reste de l'Italie semble confirmer ce scénario, dans un scrutin qui, selon les analystes, est assez défavorable au M5S, précisément parce que son vote serait un vote de protestation pur, plus propice aux élections générales qu'aux scrutins locaux. A Turin, par exemple, la candidate du M5S, Chiara Appendino, a obtenu 31 % des voix, alors que le M5S avait glané 25,6 % des voix lors des élections à la Chambre en 2013 et 5 % en 2011. Les « Grillistes » mettent en ballotage Piero Fassino, un cadre du PD, plusieurs fois ministre et cité dans plusieurs affaires troubles et qui a dû se contenter de 42 %, loin de 57 % d'il y a cinq ans. C'est le premier ballottage pour la gauche turinoise depuis 15 ans. Ailleurs, le M5S est moins implanté, mais il se renforce. A Milan, il arrive troisième avec plus de 10 % des voix. Même position à Bologne, bastion du PD, avec 17 % des voix ou à Trieste, où il obtient près de 20 % des voix.

Mauvaise journée pour le centre-gauche

Parallèlement, le scrutin permet de tirer d'autres conclusions. D'abord, le PD de Matteo Renzi est en grande difficulté. Le score des élections européennes de mai 2014, où le parti avait recueilli 42 % des voix, relève désormais de l'histoire. Cette fois, il a perdu 100.000 voix par rapport au scrutin de 2011. Et les succès sont rares ce dimanche. On peut citer la réélection de Massimo Zedda comme maire de Cagliari, en Sardaigne, dès la premier tour avec 50,91 % des voix soit 5 de plus qu'en 2011. Et certes, le parti est en position de l'emporter dans de nombreuses grandes villes. Mais c'est une piètre consolation. Dans ses bastions d'Emilie Romagne et de Toscane, le PD devra faire face à des ballottages, à la différence de 2011, notamment à Bologne et Ravenne. A Grosseto, en Toscane, région de Matteo Renzi, le centre-gauche arrive en deuxième position avec seulement 34,5 % des voix contre 45,8 % en 2011. A Naples, c'est la gauche radicale menée par l'ancien magistrat Luigi de Magistris qui est en tête avec 42,5 %, devant le centre-droit. Le PD n'arrive qu'en troisième position et est éliminé dans la capitale campanienne avec 21,25 % (ce qui était déjà le cas en 2011 où le centre-gauche avait obtenu 19 %).

A Milan, deuxième ville du pays, la déception est aussi au rendez-vous avec un quasi match nul entre le candidat du centre-gauche Giuseppe Sala qui a obtenu 41,7 % contre le candidat du centre-droit Stefano Parisi, donné à 40,8 % des voix. En 2011, le PD avait recueilli plus de 48 % des voix.

Une défaite pour la droite

Reste que ces élections sont décevantes également pour le centre-droit. La droite modérée berlusconienne s'est effondrée comme prévu, mais la droite eurosceptique inspirée du Front National, menée par le chef de la Ligue du Nord Matteo Salvini et par le parti néo-fasciste Fratelli d'Italia, semble incapable, par elle-même, d'atteindre le second tour. A Rome, où Silvio Berlusconi avait présenté un candidat, Alfio Marchini, contre Giorgia Meloni, la candidate de l'alliance Ligue du Nord-Fratelli d'Italia, la droite est éliminée. Giorgia Meloni a obtenu 21 % contre 11 % pour Alfio Marchini. Unis, les deux partis auraient talonné Virginia Raggi et éliminé le PD... Le centre-droit italien doit donc désormais définir une stratégie avant les prochaines élections législatives, prévues en 2018, si elle veut faire davantage que de la figuration. L'ennui, c'est que les positions entre les modérés jadis proche de Berlusconi et la Ligue du Nord et ses alliés néofascistes ne cessent de se creuser. Du coup, dans un cadre national, le M5S pourrait apparaître comme le vrai « vote utile » anti-Renzi.

Des seconds tours à fort enjeu

Le second tour sera crucial pour l'analyse au niveau national du scrutin. La nouvelle loi électorale italienne pour les élections législatives prévoit, en effet, un système de ballottage entre les deux listes arrivées en tête si personne n'obtient 40 % au premier tour. Le vainqueur de ce second tour obtiendra automatiquement la majorité absolue des sièges à la chambre. Dès lors, les regards se tourneront dans deux semaines vers deux duels importants pour analyser les reports futurs possibles : Rome et Milan. La question principale sera de connaître le comportement au second tour des électeurs des partis éliminés. La volonté de « punir » Matteo Renzi et le PD provoquera-t-elle une union entre le M5S et le centre-droit ? Dans ce cas, le PD pourrait perdre Rome et Milan et ce serait très inquiétant pour 2018. Pire même, ce pourrait avoir un effet sur le référendum constitutionnel d'octobre. Matteo Renzi a indiqué qu'il quitterait la vie politique en cas de défaite à cette consultation qui porte sur sa réforme constitutionnelle. On aurait alors sans doute des élections législatives anticipées que le PD aura bien du mal à gagner face à la possibilité d'une alliance anti-Renzi et eurosceptique au second tour.

Ces élections municipales confirment donc l'ancrage du M5S et l'établissement d'un tripartisme imparfait et complexe. Le système politique italien est, comme d'autres, sorti en miettes de la politique d'austérité portée par la « grande coalition » de Mario Monti de 2011 à 2013. Depuis, il ne s'en est jamais remis et les difficultés s'amoncellent encore. Le désaveu de la politique dans un pays où, traditionnellement, on vote beaucoup, a été encore très clair ce dimanche. L'abstention a atteint 37,8 %, soit cinq points de plus qu'en 2011. La participation a certes augmenté à Rome de 4,5 points, mais elle a reculé de 13 points à Milan, de 11 à Bologne ou à Cagliari...

Désaveu du discours triomphant de Matteo Renzi

Pour Matteo Renzi, il s'agit du désaveu du discours qu'il tient depuis des mois : celui du redressement économique et de la reprise. La crédibilité de ce discours est désormais clairement sur la table. La reprise italienne est faible et, le dernier chiffre de l'indice PMI du climat des affaires, souligne une nouvelle dégradation. La baisse du chômage est, malgré les embauches (largement subventionnées par l'Etat) de 2015, insuffisante. Les CDI créés sont précaires et souvent à des salaires jugés trop faibles. La banque d'Italie a révisé à la baisse de 1,5 % à 1,1, % la croissance pour 2016. L'Italie continue à mal se porter sur le plan économique, le pays semble incapable de produire une croissance durable et solide. Depuis son entrée dans l'euro en 1999, c'est le seul pays avec la Grèce à n'avoir pratiquement pas connu de croissance de son PIB par habitant. Et le sentiment dominant est que la politique de Matteo Renzi n'y a rien changé. D'où l'option grandissante d'un rejet du système des partis traditionnels et de l'euro.

Comme en 1992 ?

La situation n'est donc pas sans rappeler celle de 1992 lorsque le vieux système de la « première république », dominée par l'opposition entre la Démocratie chrétienne et le Parti communiste s'est effondré sous le coup de la chute de l'URSS et des scandales de corruption. Un nouveau système politique, guère plus stable, était sorti de cette crise, dominé notamment par Silvio Berlusconi et par une alternance entre les « deux centres ». C'est ce système qui agonise aujourd'hui en Italie. Mais l'évolution pourrait, cette fois, être plus profonde. Car la demande de renouvellement va plus loin qu'un simple rejet des partis. C'est aussi une demande de changement des politiques, notamment économiques. Le pari de Matteo Renzi était qu'en « réformant », il pourrait dominer l'après-Berlusconi. C'est ce pari qu'il est sur le point de perdre : car les « réformes » menées depuis 2011 ont aggravé la situation et ne l'ont pas amélioré. Le discours ne peut donc plus prendre sur les Italiens.