L'Autriche en plein marasme économique

Par Romaric Godin  |   |  1212  mots
L'économie autrichienne semble à l'arrêt.
L'Autriche ne connaît plus de croissance depuis début 2014. Outre le problème de ses banques, le pays subit de plein fouet les conséquences de la course à la compétitivité prix dans la zone euro.

Après la Finlande, l'Autriche pourrait-elle être la deuxième économie du « cœur de la zone euro » à vaciller ? En tout cas, les signes en provenance de la république alpine sont préoccupants. Ce jeudi 28 mai, le pays est tombé dans le classement IMD de la compétitivité de quatre places en un an, à la 26ème place, son plus bas niveau historique. Mais si ce classement a beaucoup ému la presse viennoise, il y a plus inquiétant.

Des chiffres inquiétants

Si elle a évité la récession dans laquelle a plongé la Finlande au premier trimestre, l'économie autrichienne est à l'arrêt depuis près de cinq trimestres. Le PIB n'a pas bougé durant les quatre trimestres de 2014 et il n'a progressé que de 0,1 % lors des trois premiers mois de 2015. En trois ans, le PIB autrichien n'a pas connu de croissance trimestrielle supérieure à 0,3 %. En données annuelles, la croissance autrichienne a été de 0,2 % en 2013 et de 0,3 % en 2014. La Commission européenne promet 0,8 % en 2015. Autrement dit, l'Autriche fait non seulement pire que la moyenne de la zone euro, mais aussi clairement pire que la France qui, après 0,3 % et 0,4 % pourrait connaître en 2015 une croissance de 1,1 %. A moyen terme, aucune amélioration notable n'est en vue. Selon l'institut viennois Wifo, la croissance ne devrait pas dépasser 1,1 % par an entre 2015 et 2019.

Le temps semble donc loin où, fin 2000, le quotidien conservateur allemand FAZ pouvait vanter avec envie « la croissance saine » de l'Autriche. Même la baisse de l'euro et la faiblesse du prix des matières premières n'a pas été en mesure de donner au pays une impulsion positive. Que se passe-t-il donc au pays de Mozart ? Jusqu'à la crise de 2008, la croissance autrichienne était principalement tirée par deux phénomènes : les exportations et la finance. Entre 1995 et 2010, les exportations ont progressé de 54,6 %, tandis que la valeur ajoutée du secteur financier a bondi de 54,3 %. Sur la même période, le PIB a gagné 35,8 %. Ces deux moteurs s'appuyaient principalement sur la croissance des pays d'Europe centrale et orientale et, à partir du milieu des années 2000, sur la reprise allemande.

Le ralentissement du secteur financier

Ce modèle a désormais du plomb dans l'aile. Si le secteur financier autrichien semble peser assez peu dans le PIB (4,5 % du total), son ralentissement à partir de 2008 a conduit à un ralentissement général de l'économie. Or, les banques autrichiennes restent en difficulté. La crise ukrainienne et russe et la moindre croissance ailleurs en Europe centrale a pesé lourd et a conduit à de sévères restructurations. Le secteur bancaire autrichien est également impacté par le scandale de la faillite de la banque Hypo Alpe Adria (HAA) et par l'abandon de la part de l'Etat fédéral d'une partie des garanties accordées à cette dernière. Ceci a conduit les agences de notation à revoir à la baisse la notation du secteur financier autrichien. Au final, les banques ont réduit leur exposition aux risques, conduisant notamment à un effondrement du secteur de la construction et à une baisse des investissements. La valeur ajoutée du secteur de la construction a reculé en termes réels de 6,7 % entre 2010 et 2014.

Cette crise n'est pas encore terminée. En mars, l'Etat fédéral a refusé de combler les pertes de Heta, la structure de défaisance de HAA et a instauré un moratoire sur les paiements, y compris sur les dettes garanties par le Land de Carinthie. Le risque d'un défaut de cet Etat régional reste entier et il est encore difficile d'en évaluer les conséquences non seulement pour la croissance autrichienne, mais aussi pour la crédibilité de l'Etat fédéral et pour le secteur financier. Dans le contexte de ralentissement de la croissance, ce serait une mauvaise nouvelle pour le pays.

Le recul de la compétitivité externe

Mais le principal problème de l'Autriche est désormais sa compétitivité externe. Les exportations autrichiennes ont certes continué de progresser. Mais depuis 2012, leur croissance est très faible : 1,3 % en 2012, 1,4 % en 2013 et 1,7 % en 2014. Pas assez pour tirer l'économie. Les exportations autrichiennes dépendent pour près de 30 % du voisin allemand. En 2014, les livraisons à l'Allemagne n'ont progressé que de 0,5 %. Il existe certes un effet conjoncturel : la croissance allemande en 2014 est faible et sans doute y aura-t-il une accélération en 2015. Mais en réalité, les produits autrichiens sont soumis à une concurrence sévère sur ce marché clé. La raison en est simple : l'Autriche est victime des dévaluations internes des autres pays de la zone, Allemagne y compris. Le taux de change réel du pays face à ses partenaires de la zone euro, calculé par Eurostat, s'est apprécié de 1,6 % en moyenne au cours de la période 2012-2014. Seules la Finlande et l'Estonie ont connu une appréciation supérieure.

Les politiques de baisses du coût du travail dans les pays périphériques et la poursuite de la dévaluation interne de l'Allemagne sur cette période (le taux de change réel allemand a reculé de 0,1 % entre 2012 et 2014) ont ainsi mis sous pression des pays comme l'Autriche et la Finlande. Dans ces pays, les salaires ont en effet continué de progresser à un rythme plus soutenu que beaucoup de leurs « partenaires », autour de 2 %. Dès lors, la compétitivité prix de l'Autriche a commencé à se dégrader. Or, le pays a connu un fort désinvestissement à partir de 2010. L'investissement des entreprises a ainsi reculé depuis 2011 de 4,85 %. L'Autriche a donc plus de difficulté à compenser ses prix élevés par des avantages hors-coûts. S'ajoute à cela un ralentissement de la croissance dans les pays émergents qui rend encore les gains de part de marché plus difficiles pour les entreprises autrichiennes. Dès lors, la croissance de ses exportations demeure structurellement plus faible.

Quelle politique pour sortir de l'ornière ?

L'Autriche semble certes plus solide que la Finlande, ne serait-ce que parce qu'elle est plus liée à la croissance allemande, mais aussi parce qu'elle dispose d'un taux de chômage qui, même s'il s'est un peu tendu, demeure très faible (à 5,6 % en mars selon Eurostat contre 4,6 % trois ans plus tôt). Mais son modèle économique est clairement sous pression. Et les années qui viennent présentent plusieurs risques importants. Si le pays réduit ses coûts en pratiquant la modération salariale, le seul moteur de la croissance actuelle, la demande intérieure, risque de marquer le pas. Un scénario à la finlandaise ne serait alors pas à exclure. Le gouvernement viennois de grande coalition entre sociaux-démocrates et conservateurs a donc opté pour des baisses d'impôts de 5,2 milliards d'euros, soit 1,5 % du PIB, principalement centrées sur l'impôt sur le revenu et compensées par une baisse des subventions et la lutte contre la fraude fiscale. De sorte que Vienne prévoit une baisse du déficit public qui était passé, en raison de la crise bancaire, à 2,4 % en 2014 et qui est attendu à 2 % du PIB en 2015. Mais le gouvernement fait donc le pari d'une relance de la demande intérieure, principalement de la consommation. Mais sera-ce suffisant ? Sous la pression de la course à la compétitivité coût lancée dans la zone euro, l'Autriche est désormais en position de faiblesse.