Macron et Merkel admettent que l'Europe vit "un moment critique"

Par Florence Autret, à Bruxelles  |   |  1055  mots
Emmanuel Macron et Angela Merkel, lundi 15 mai, à Berlin.
Lors de leur première rencontre officielle à Berlin, les deux dirigeants ont dit vouloir faire mieux "fonctionner" l'Union européenne mais aussi reconnu que leurs opinions publiques respectives n'avaient "pas la même sensibilité". Leur duo sera aussi un duel.

Lundi soir à Berlin, Emmanuel Macron, 39 ans, et Angela Merkel, 63 ans en juillet, ont rejoué la partition de l'"amitié franco-allemande", cherchant à convaincre qu'un nouveau départ était sur le point d'être pris, esquissant les grandes lignes des initiatives à venir et laissant habilement poindre les possibles différends, dans une atmosphère de prudent optimisme.

"Et tout début recèle une magie!"

Devant la chancellerie fédérale, une foule nombreuse était venue accueillir le nouveau président français. Il s'est dit "très ému" de cet accueil que les Berlinois n'avaient jusqu'alors réservé qu'au président Obama. "L'Europe vit de cet enthousiasme", a expliqué le Français, ajoutant que si ce dernier l'"obligeait", la chancelière avait le "même devoir" face à la montée du sentiment antilibéral et antieuropéen. "Tout début recèle une magie", a-t-elle dit , citant Hermann Hesse. Puis d'ajouter : "Mais nous savons que cette magie ne tient que si les résultats viennent".

En 2007, le "couple" Merkel-Sarkozy avait fait ses premiers pas dans un climat de crise qui interdisait d'invoquer l'auteur de Siddhartha. Il s'agissait de "réparer" l'échec des référendums néerlandais et français de 2005 sur le traité constitutionnel. Une tâche accomplie promptement et qui déboucha sur le traité de Lisbonne. Puis, très vite, avec la crise de 2008, les différends étaient réapparus : sur l'opportunité de traiter ensemble la crise bancaire (ce que souhaitait la France mais pas l'Allemagne) et, par la suite, de voler au secours de la Grèce.

Dix ans plus tard, alors que l'euroscepticisme n'a fait que croître, c'est toutefois sur un "oui" à la ligne pro-européenne d'Emmanuel Macron que le nouveau duo se met au travail. La popularité en Allemagne du nouveau président tient également au fait que les Allemands, se sentent soulagés d'avoir face à eux un homme qui ne leur fait pas le reproche de leur rôle dominant en Europe.

Du Merkel en Macron

En dépit de la différence d'âge, la chancelière et le président ont en commun l'expérience d'une ascension politique fulgurante, portée par le sens du risque et l'art de la rupture. Plus important, ils manifestent une même aversion pour les clivages idéologiques. Un des secrets de la longévité de la chancelière réside dans une sorte d'"extrême centrisme" enrobé de convictions libérales, un pragmatisme acharné qui lui a permis de conduire des coalitions variées sur les eaux agitées de la crise de l'euro ou des réfugiés.

Il y a de cela dans le "ni droite ni gauche" d'Emmanuel Macron, dans sa volonté affichée de chercher des solutions pragmatiques, quitte à laisser planer un certain flou sur leurs détails. S'il est incertain qu'il parvienne à poursuivre sur la même ligne "a-idéologique" en tant que président, la chancelière semble prête à lui accorder le bénéfice du doute et lui fait le cadeau d'admettre une coresponsabilité allemande dans la crise de confiance actuelle dans la construction européenne.

"Les élections en France et aux Pays-Bas nous ont montré, à nous Allemands, quel trésor était l'Europe", a-t-elle dit.

François Hollande s'était, lui, immédiatement heurté à un mur quand il avait invoqué le besoin d'infléchir le cours de la construction européenne . A présent la chancelière admet : "Peut-être avons-nous aussi quelque chose à apprendre de la France", tout en rappelant qu'elle défendrait les intérêts des Allemands, tout comme son nouvel interlocuteur celui des Français.

"Besoin de résultats concrets"

A brève échéance, Paris et Berlin chercheront à débloquer quelques dossiers enlisés  : la lutte contre les abus au travail détaché, l'harmonisation de la politique d'asile et la "réciprocité" dans les relations commerciales entre l'Union européenne et le reste du monde.

"Notre relation a besoin de plus de confiance et de résultats  concrets", a expliqué le président français. Et d'appeler à "beaucoup de pragmatisme à court terme".

Les réformes de fond de l'Union économique et monétaire pourraient, elles, attendre un peu. Quand le président français estime que la zone euro a besoin d' "argent frais", autrement dit d'un budget qui "n'a rien à voir avec le Plan Juncker" le plan d'investissement voulu par le président Hollande et transformé, à la demande du gouvernement Merkel, en simple instrument de garantie destiné à étendre les activités de la Banque européenne d'investissement, la chancelière ne réagit pas.

Inviter à s'exprimer sur les "eurobonds", autrement des émissions de dettes communes pour les pays des la zone euro, un véritable serpent de mer du débat sur l'euro, il rappelle prudemment qu' "il n'est pas pour la communautarisation des vieilles dettes qui mène à une politique d'irresponsabilité" mais souligne qu'il faut tout de même pouvoir "investir pour l'avenir". Là encore, la chancelière n'approuve, ni ne réprouve.

La fin du tabou de la réforme des traités

En admettant, de part et d'autre, que la possibilité d'une réforme des traités est désormais ouverte, les deux dirigeants sont convenus lundi d'élargir le champ des solutions possibles, qu'il s'agisse de transferts financiers ou d'un contrôle parlementaire de l'Eurogroupe. "Le monde change", a expliqué la chancelière, et interdit de maintenir le tabou - français - d'une telle réforme, quitte à prendre le risque d'ouvrir la boîte de Pandore.

On est encore très loin d'un quelconque pacte. C'est au mieux une lutte fructueuse qui se profile.

Elle sait que les marges de manoeuvre du président Macron dépendront de la force de sa majorité parlementaire et de sa capacité à gérer la fronde sociale. Celle que la nomination d'un Premier ministre de droit proche d'Alain Juppé, une figure rassurante outre-Rhin, a dû rassurer, s'est bien gardé de prendre parti dans la campagne législative française. Alors que l'homme fort de son parti au parlement européen Manfred Weber a dit espérer la victoire des Républicains, elle s'est contenté de souhaiter "bonne chance" au nouvel hôtel de l'Elysée, le quatrième depuis qu'elle a été élue chancelière pour la première fois, en 2005.