Turquie : Recep Tayyip Erdoğan menace l'Europe "d'ouvrir les frontières"

Par Romaric Godin  |   |  826  mots
Le président turc menace l'Union européenne.
Le président turc n'a pas apprécié le vote du parlement européen appelant à suspendre les négociations d'adhésion avec la Turquie. Il rappelle à l'Europe qu'il détient un moyen de pression immense : les réfugiés.

Au lendemain du vote du parlement européen demandant un gel temporaire des négociations d'adhésion de la Turquie à l'UE, le président turc Recep Tayyip Erdoğan, a menacé vendredi 25 novembre les Etats européens d'ouvrir ses frontières aux réfugiés. « Si cela continue, les frontières seront ouvertes », a martelé le chef de l'Etat turc dans un discours prononcé devant une organisation de femmes à Istanbul. Dès jeudi, le premier ministre Binali Yıldırım avait déjà évoqué de telles menaces : « Nous sommes un des facteurs de protection de l'Europe. Si les réfugiés passent, l'Europe sera débordée ».

Le poids de l'accord de février

Avec ces propos, Ankara rappelle qu'elle détient un moyen de pression immense sur l'Union européenne : les quelques 2,7 millions de réfugiés syriens qui résident actuellement sur son sol. L'accord passé avec les autorités européennes en février prévoit une meilleure maîtrise des frontières turques et un mécanisme de retour des réfugiés ayant passé la frontière vers la Turquie. Ce mécanisme a été accepté par la Turquie moyennant d'importantes concessions de l'UE : relance du processus d'adhésion, suppression des visas pour les ressortissants turcs et versement d'une aide de 6 milliards d'euros.

Cet accord n'a pas résolu le problème des réfugiés entièrement. Les flux se sont en partie tournés vers l'Italie et les passages entre la côte turque et les îles grecques n'ont pas cessé. Les camps de réfugiés en Grèce sont en état de saturation, alors même que l'accord oblige désormais à retenir les réfugiés arrivés dans de tels camps. Ce 25 novembre, à Moria, sur l'île de Lesbos, l'explosion d'un réchaud de fortune a provoqué la mort de deux personnes, une femme et un enfant, et a provoqué un incendie dans le camp.

Angela Merkel a besoin de Recep Tayyip Erdoğan

Mais avec cet accord et la fermeture de la route des Balkans a permis de tarir presque entièrement le flux de réfugiés vers l'Allemagne. Or, pour Angela Merkel, la chancelière allemande qui a négocié l'accord avec la Turquie, c'était là l'essentiel. La chute vertigineuse de sa popularité au début de 2016 a fait comprendre à la chancelière que, tout en maintenant un discours de forme d'ouverture, il lui fallait parvenir à une cessation de fait des entrées de réfugiés en Allemagne. Après les deux lourdes défaites électorales à Berlin et en Mecklembourg en septembre, la CDU a, du reste, insisté davantage sur la fin de ces arrivées pour ramener dans son giron l'électorat conservateur, mais aussi pour désamorcer le conflit sur la « limite haute » des arrivées avec la CSU bavaroise. Angela Merkel entend en effet prouver à ses alliés bavarois que leur demande de limite fixe est inopérante quand les flux ont cessé.

Alors que la chancelière vient d'annoncer sa candidature à un quatrième mandat, elle ne peut donc se permettre la fin de l'accord avec la Turquie. Certes, la fermeture de la route des Balkans offre une « deuxième barrière » aux réfugiés en les maintenant en Grèce, mais ce pays ne saurait maintenir sur son territoire un afflux de personnes. Une unité européenne ne résisterait pas à une nouvelle vague migratoire. Angela Merkel sait qu'elle n'a pas réussi à « partager le fardeau » avec ses « partenaires ». L'Allemagne serait donc la destination principale des réfugiés. Dans les faits, Recep Tayyip Erdoğan est donc un allié objectif et essentiel d'Angela Merkel dans sa course à la réélection où elle a promis d'incarner la « stabilité ». Il le sait et il peut ainsi jouer sur la menace.

Ankara place une pierre dans le jardin d'Angela Merkel

Angela Merkel doit cependant prendre garde. Elle doit ménager son centre et, ainsi, dénoncer les atteintes aux droits de l'homme commises en Turquie depuis le coup d'Etat avorté le 19 juillet dernier. Sans néanmoins que ces dénonciations aient de conséquences concrètes. Aussi la CDU n'a-t-elle pas empêché le vote du parlement européen de jeudi, qui est purement consultatif et ne saurait avoir de conséquences puisqu'il suppose à la fois que la proposition soit reprise par la Commission et qu'elle soit ensuite soutenue par 16 des 28 Etats membres de l'UE, deux conditions peu probables. Mais Ankara accepte de moins en moins ce subtil équilibre entre un discours de condamnation et une réalité de dépendance. Recep Tayyip Erdoğan refuse les leçons d'une Europe qu'il sait tenir à sa merci. Il demande donc que les condamnations cessent. C'est un défi pour Angela Merkel qui doit absolument tenir l'équilibre décrit plus haut, mais la Turquie pourrait bien utiliser la campagne électorale allemande pour renforcer la pression sur l'Europe.