Un duo franco-allemand encore à bâtir

Par Florence Autret, à Bruxelles  |   |  870  mots
La confiance reste à construire entre un président de République tenté par un directoire franco-allemand et une chancelière habituée à une diplomatie plus subtile.
Première vitrine de la relance franco-allemande de la construction européenne qu'Emmanuel Macron a promise pendant sa campagne, le sommet de cette semaine à Bruxelles renvoie le président de la République à la nécessité de commencer par faire ses preuves.

C'était une surprise. Pas divine. Mais une surprise quand même. La chancelière allemande et le président de la République ont fait longuement patienter la presse vendredi après-midi avant leur conférence de presse commune. Celle-ci n'avait pas été programmée. Elle s'est tenue dans la salle de presse française, « parce qu'il y a plus de place », a tenu à préciser Emmanuel Macron. La France et l'Allemagne de retour, sur un pied d'égalité, tel était le symbole. Mais au-delà du souhait de coopérer, les différences de style, de méthode et de fond persistent.

Protection versus réciprocité

Le principal résultat substantiel de ce sommet aura été le souhait, affiché franchement pour la première fois, de lancer une « coopération structurée », à quelques uns en matière de défense. Rien n'est décidé. Mais les chefs d'Etat français et allemand sont désormais comptables, devant l'opinion, de cet engagement. L'annonce d'un renforcement de la coopération avec les pays d'origine des migrants, et du renforcement des frontières externes, renouvelés lors de cette rencontre, sont, eux, sur l'agenda depuis longtemps.

En matière commerciale, les nuances persistent, pour le moins. « L'Europe est notre meilleure protection face à la mondialisation », a expliqué le président Macron. La chancelière a, de son côté, salué « la position claire du Conseil pour un commerce libre et encadré à une époque où le protectionnisme est très présent dans le débat ». Interrogée sur le "Buy European Act", elle a éludé.

« On a déjà beaucoup parlé de questions commerciales. La bonne réponse, c'est la réciprocité », a-t-elle dit, mentionnant les marchés publics américains où « il faut réfléchir à une réponse européenne adéquate » si les Européens ont un accès plus restreint que les entreprises américaines aux marchés publics européens.

Les diatribes d'Emmanuel Macron contre les abus du travail détaché ont créé un malaise. Alors que la campagne électorale française battait son plein, les ministres des Vingt-Sept étaient proches d'arriver à un compromis qui posait clairement le principe d'un même salaire pour un même lieu de travail pour les autochtones et les « détachés ». Le président français a tenu à relancer le débat au niveau des chefs d'Etat, pour d'évidentes raisons de politique interne. Désormais, le chemin vers un compromis semble moins clair.

La critique de l'égoïsme de l'Europe centrale, grande bénéficiaire des fonds européens, au sujet de sa réticence à accueillir des migrants a appelé une autre critique, celle de leur stigmatisation.

« Il faut parler les uns avec les autres, plutôt que les uns des autres », a dit la chancelière en réponse à une question sur les critiques formulées par le président français à l'égard de ceux qui prendraient l'Union européenne pour « un supermarché ».

Différence de méthode

Angela Merkel a appris à traiter le Conseil européen - l'assemblée des vingt-huit chefs d'Etat et de gouvernement européens - comme un mini-parlement avec « cette particularité qu'il travaille à l'unanimité » de ses membres, a-t-elle dit vendredi. De son homologue français, elle voudrait faire un allié de coalition chargé de convaincre ses alliés naturels, plutôt qu'un vice-consul.

« Nous sommes ensemble résolus à concourir à des solutions... (mais) les choses ont changé depuis l'Union européenne à 6 ou à 13... Quand nous avons des positions communes, on peut se partager les tâches, décider qui parle avec qui », a-t-elle dit.

L'Europe façon Merkel est un agrandissement à l'échelle de l'Union de son art, à elle, de gouverner l'Allemagne, fait de négociations permanentes.

« Il faut qu'un jour je me mette à la place d'un Premier ministre grec ou d'un président du Conseil italien... il faut vraiment se mettre à la place de l'autre, à la place des autres, si on veut arriver à des compromis », a-t-elle expliqué.

Lui se contente de dire que l'entente entre Paris et Berlin est une « condition nécessaire mais pas suffisante » pour avancer. Elle estime que « peut-être la préparation commune (de ce sommet) a aidé » à obtenir des résultats.

Elle justifie le secret des négociations entre les deux capitales par un : « il ne faut pas promettre quelque chose que nous ne ferons pas ».

Sur l'Union monétaire, les discussions sur des réformes qui, à coup sûr, justifieront une réforme des traités, commencent à peine. Or pour l'un comme pour l'autre, hier, « la révision du traité n'était pas une fin en soi ». Ce qui peut se lire comme : nous sommes loin d'un accord.

Comme pour signifier que les éternels différends entre les deux premières puissances européennes n'étaient pas résolus, le président a fini par un : « on a tout fait pour ne pas parler de la Grèce aujourd'hui ».

En définitive, Emmanuel Macron doit reprendre l'ouvrage là où l'ont laissé ses prédécesseurs, en position de faiblesse et avec pour arme principale de soulager l'Allemagne d'un leadership auquel elle répugne. Lui l'appelle « Angela »,elle se contente d'un « Emmanuel Macron ». La confiance reste à conquérir.