Affaire Kerviel : la prison, mais pas de "mort civile" pour l’ancien trader de la Société générale

Par Christine Lejoux  |   |  826  mots
Jérôme Kerviel, qui marche de Rome à Paris, n'était pas présent à la lecture de la décision de la Cour de cassation, le 19 mars. REUTERS.
Mercredi 19 mars, la Cour de cassation a cassé les dispositions civiles de l’arrêt de la cour d’appel de Paris, qui condamnaient Jérôme Kerviel à verser 4,9 milliards d’euros de dommages et intérêts à la Société générale. L'ancien trader ne devrait en revanche pas échapper à la prison.

Le principal intéressé n'était pas là, mais c'était presque la foule des grands jours du procès Kerviel de 2012, ce mercredi 19 mars, au Palais de justice de Paris, le public et les journalistes jouant des coudes pour pénétrer au sein de la Chambre criminelle de la Cour de cassation.

C'est à 14 heures très précises que s'est ouverte l'audience au cours de laquelle la plus haute juridiction française devait statuer sur le pourvoi de Jérôme Kerviel, condamné en octobre 2012 par la cour d'appel de Paris à cinq ans de prison, dont trois ferme, et au versement de… 4,9 milliards d'euros de dommages et intérêts à la Société générale. Laquelle accuse depuis 2008 son ancien trader de lui avoir fait perdre cette même somme colossale, en prenant des positions énormes et non autorisées sur les marchés financiers. Jérôme Kerviel a toujours maintenu que la banque ne pouvait pas ignorer ses agissements.

 Jérôme Kerviel demeure condamné à trois ans de prison ferme

 Siégeant sous les deux imposants lustres suspendus aux dorures du plafond de la Chambre criminelle, la Cour de cassation a commencé par déclarer avoir "rejeté le pourvoi de M. Kerviel concernant les dispositions pénales de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 24 octobre 2012." Comprendre, Jérôme Kerviel demeure condamné à trois ans de prison ferme pour abus de confiance, manipulations informatiques, faux et usage de faux. L'ancien trader, qui a entamé une marche de Rome à Paris depuis sa rencontre avec le pape François, il y a près d'un mois, devrait donc être incarcéré d'ici quinze jours à un mois, la condamnation à la prison devenant exécutoire dès que la décision de la Cour de cassation lui aura été notifiée.

 "Nous allons prendre attache au plus tôt avec le parquet", afin de savoir quand et comment Jérôme Kerviel devra purger sa peine, a précisé l'un de ses avocats, Patrice Spinosi. Pour autant, "il semble pour le moins surprenant d'incarcérer Jérôme Kerviel alors même que vient d'être reconnue l'existence de manquements significatifs de son employeur, et des conséquences de ces manquements dans les faits qui lui sont reprochés", a ajouté l'avocat.

 La Cour de cassation a modifié sa jurisprudence

 En revanche, coup de théâtre, la Cour "a cassé les dispositions civiles de cet arrêt", dispositions selon lesquelles Jérôme Kerviel devait payer près de 5 milliards d'euros de dommages et intérêts à la Société générale. Une somme que Maître Spinosi avait précédemment qualifiée de "mort civile" pour le jeune homme de 37 ans. Si la Cour de cassation a cassé la condamnation aux 5 milliards de dommages, c'est parce qu'il lui est apparu que la cour d'appel de Paris, tout en ayant "relevé l'existence de fautes commises par la Société générale (et) ayant concouru au développement de la fraude (de Jérôme Kerviel)", "n'avait pas tenu compte de ces fautes pour évaluer la réparation du dommage à la charge du prévenu."

 Autrement dit, puisque la Société générale est elle aussi en partie fautive dans l'affaire, Jérôme Kerviel n'a pas à réparer l'intégralité du préjudice subi par la banque. La Cour de cassation - qui a ainsi fait évoluer sa jurisprudence en la matière, puisque le principe de partage des responsabilités n'était jusque là pas pris en compte dans le cas d'infractions aux biens - a donc renvoyé ce volet civil de l'affaire devant la cour d'appel de Versailles, afin de rejuger le préjudice financier de la Société générale.

 "Une victoire" pour les avocats de Jérôme Kerviel

 "C'est une première victoire. La décision de la cour d'appel de Paris de ne pas retenir de faute contre la Société générale a été cassée", s'est félicité Maître Spinosi. Pour qui "les fautes de la Société générale seront au cœur du nouveau procès, qui s'ouvrira devant la cour d'appel de Versailles."

"C'est une victoire pour Jérôme Kerviel, c'est la fin de l'affaire Kerviel et le début d'une affaire Société générale", a renchéri David Koubbi, autre avocat de l'ancien trader. Tel n'est pas l'avis de Jean Veil, avocat de la banque, qui soutient que "Jérôme Kerviel a perdu son procès, et que la Société générale a gagné (le sien)." De son côté, la banque a déclaré  "prendre acte de la décision rendue ce jour par la Cour de cassation, qui confirme la responsabilité pénale de Jérôme Kerviel. L'arrêt de la Cour de cassation clôt ainsi ce dossier sur le plan pénal."