L’histoire des banques françaises, un éternel recommencement : le krach de l’Union générale désavoue la "banque à tout faire" (1/5)

Par Christine Lejoux  |   |  995  mots
Le krach de l'Union générale, en 1882, entraîne toute la Bourse dans sa chute, provoquant une panique bancaire chez les déposants.
Il y a un an, le 26 juillet 2013, la loi de séparation des activités bancaires était promulguée en France, avec pour objectif d’isoler les activités les plus spéculatives des banques. Une leçon tirée de la crise financière de 2008, mais, en réalité, toute l’histoire des banques françaises depuis le 19ème siècle s’est construite autour de ce dilemme de la spécialisation – ou non – des activités bancaires. Un débat au centre duquel se trouve le financement de l’économie. Premier volet de notre série : le krach de l’Union générale, en 1882.

"Ne nous laissons pas aveugler : nonobstant ses problèmes, le Crédit mobilier est le modèle des banques de demain. (...)

Les banques traditionnelles, dont notre maison, pratiquent les opérations de placement à commission et le change, mais nous n'accordons que très accessoirement des crédits (...).

Les Pereire ont trouvé le moyen de mobiliser l'épargne, aussi modeste soit-elle, pour financer l'industrie nouvelle et le commerce."

Cet éloge des frères Emile et Isaac Pereire - fondateurs en 1852 du Crédit mobilier - émane d'Alphonse de Rothschild, fils de James de Rothschild, le plus puissant des banquiers du 19ème siècle en France. Plus exactement, cette louange des Pereire est prononcée par un acteur jouant le rôle d'Alphonse de Rothschild, dans une émission télévisée non encore diffusée - "Dans l'ombre de l'Histoire" -, évoquée par Jean-Philippe Bidault dans son livre "Si la banque m'était contée", publié en mai dernier.

La Haute Banque n'est pas en mesure de financer l'essor industriel

Bien qu'imaginaires, ces propos reflètent parfaitement la mutation du secteur bancaire français sous le Second Empire. Un secteur jusqu'alors dominé par la Haute Banque, celle des Rothschild, des Mallet, des Hottinguer ou des Mirabaud, cette vingtaine de familles parisiennes qui financent le négoce international et placent les emprunts de l'Etat. Mais, sa clientèle se limitant aux grandes fortunes, la Haute Banque ne dispose pas de ressources suffisantes pour financer le formidable essor de l'industrie voulu par Napoléon III.

Les frères Pereire ont alors l'idée - esquissée en 1827 par le financier Jacques Laffitte - de créer une banque d'un genre nouveau, qui irait collecter la conséquente épargne dormant sous les matelas des Français, la seule à même de pouvoir répondre aux besoins de financement croissants des industries ferroviaire, minière et sidérurgique.

Des établissements créés sur le modèle de "la banque à tout faire"

Les Pereire fondent ainsi le Crédit mobilier en 1852, sur le modèle duquel seront édifiés le Crédit lyonnais en 1863, puis la Société Générale en 1864 et l'Union générale en 1878. L'Union générale créée par Paul Eugène Bontoux, et dont l'histoire a inspiré à Emile Zola son roman L'Argent, dans lequel le personnage de Saccard décrit ainsi à Madame Caroline la vocation de sa future Banque Universelle :

"Notre Banque Universelle, mon Dieu !, elle va être d'abord la maison classique qui traitera de toutes affaires de banque, de crédit et d'escompte, recevra des fonds en comptes courants, contractera, négociera ou émettra des emprunts. Seulement, l'outil que j'en veux faire surtout, c'est une machine à lancer les grands projets de votre frère (...). Elle est fondée, en somme, pour prêter son concours à des sociétés financières et industrielles, que nous établirons dans les pays étrangers, dont nous placerons les actions, qui (...) nous assureront la souveraineté."

Le mélange des genres, entre banque de détail et banque d'affaires, est on ne peut plus clair. "A leurs débuts, ces établissements de crédit ont utilisé hardiment les fonds centralisés sur les dépôts à vue [et donc susceptibles d'être retirés à tout instant par les clients ; Ndlr] dans des spéculations risquées, dans des prêts à long terme pour le financement d'investissements industriels. Ils se sont comportés comme de véritables banques à tout faire", confirme l'historien Alain Plessis, dans ses écrits.

Après le krach de l'Union générale, les déposants se ruent aux guichets

Le retour de bâton ne se fait pas attendre : l'Union générale fait faillite en février 1882, quatre ans après sa création. L'établissement de Paul Eugène Bontoux - en butte, notamment, à des investissements hasardeux dans la construction d'une ligne de chemin de fer reliant Vienne à Salonique via Belgrade - est emporté "par la hâte et la fièvre du gain, la légèreté des voies et moyens, les combinaisons boursières, les oppositions d'intérêts", dénonce l'historien Jean Bouvier.

 L'action de l'Union générale, qui valait plus de 3.000 francs en 1881, tombe à 500 francs le 31 janvier 1882, entraînant toute la Bourse dans sa chute. Affolés, les déposants se précipitent dans les banques pour en retirer leur argent. Un événement qui fit sur Henri Germain, fondateur emblématique du Crédit Lyonnais, "une très profonde et très durable impression", écrit Jean Bouvier, au point que l'homme ne cessera plus de vivre "dans la crainte profonde du "run", de la panique qui jette la clientèle aux guichets pour retirer ses fonds."

 La doctrine Germain sépare banque de dépôt et banque de marché

 Le choc est d'autant plus rude pour Henri Germain que son établissement n'avait pas ménagé son soutien à l'Union générale, notamment au travers de co-investissements dans des entreprises industrielles, si bien que le krach de la banque de Paul Eugène Bontoux a failli emporter le Lyonnais. Le vent du boulet est passé si près qu'Henri Germain basera désormais la gestion du Crédit lyonnais sur le principe d'une stricte séparation entre banque de dépôt et banque d'affaires.

 L'idée étant que les banques recevant les dépôts à vue des particuliers, comme le Crédit Lyonnais, doivent se cantonner à des engagements de court terme, afin d'être toujours en mesure de rendre leur argent aux clients souhaitant le retirer. Selon la doctrine Germain, le financement des grands projets industriels et autres engagements de long terme est donc du ressort d'une autre catégorie d'établissement, celle des banques d'affaires. Il y aura donc un avant et un après "1882" dans le fonctionnement du Crédit Lyonnais. Et dans celui de l'ensemble du secteur bancaire français.

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