Baudouin Prot : "la crise nous a changés"

Par propos recueillis par Benjamin Jullien et Muriel Motte  |   |  1624  mots
Dans une interview, Baudoin Prot, administrateur directeur général de BNP Paribas estime que la banque de la rue d'Antin a "changé de dimension" avec l'acquisition du belge Fortis. Que de chemin parcouru pour l'ancienne Banque Nationale de Paris, dix ans après son raid victorieux sur Paribas au nez et à la barbe de Société Générale. Retrouvez l'intégralité de l'interview de Baudouin Prot parue ce mercredi dans les colonnes de "La Tribune".

Vous annoncez des résultats trimestriels en hausse. Pour BNP Paribas, la crise financière est-elle de l'histoire ancienne ?

L'activité est en cours de normalisation sur l'ensemble des marchés financiers. Pour ce qui nous concerne, nous avons fortement réduit nos positions de marché comme nous nous étions engagés à le faire mi-décembre. Notre indicateur de "valeur en risque" [VaR, montant des pertes potentielles sur une journée] est passé de 111 millions d'euros en moyenne au dernier trimestre 2008, à 69 millions au premier trimestre 2009 puis 52 millions au deuxième. Cette évolution s'explique par la réduction de nos positions, mais aussi par la détente des paramètres de marché. Nous nous sommes par ailleurs concentrés sur l'activité pour le compte de la clientèle, qui a été très forte. Nous sommes pour le deuxième trimestre consécutif n° 1 mondial sur les émissions obligataires en euros. En matière de dérivés actions, nous avons enregistré au deuxième trimestre une activité beaucoup plus normale, ce qui nous a permis de revenir à un niveau de revenus quasiment équivalent au deuxième trimestre 2008.

Aujourd'hui, votre préoccupation est donc plutôt la crise économique ?

Il est clair que depuis le troisième trimestre 2008, le coût du risque est élevé. Mais sa composition a changé. Le risque était concentré sur les activités de marché l'an dernier, domaine dans lequel il s'est fortement réduit depuis le début 2009 et où il devrait continuer à reculer. Mais progressivement l'impact de la crise économique s'est fait sentir sur les activités bancaires classiques, notamment sur les crédits aux entreprises et à la consommation. En France et en Italie, ce coût du risque reste mesuré. Nous enregistrons en revanche des pointes dans notre filiale américaine BancWest et en Ukraine, où la crise est particulièrement violente. Bancwest est d'ailleurs en perte de 70 millions d'euros au deuxième trimestre, mais le risque de crédit semble s'y stabiliser.

Et sur vos métiers de financement ?

Outre deux provisions importantes dans le Golfe, nous avons passé 109 millions d'euros de provisions sur des prêts LBO. Ceci dit, dans cette activité nous sommes plutôt moins exposés que nos concurrents. Nous avons un portefeuille de 8,6 milliards d'euros partagé entre 400 opérations, sur lequel nous avons un stock de provisions de 1 milliard.

L'abaissement de la note de crédit du rehausseur de crédit Ambac risque-t-il de vous affecter ?

Avec le repli des primes de risque sur les obligations d'entreprises, pour lesquelles les « monolines » nous assurent, le montant potentiel des primes que nous pourrions toucher s'est réduit de 3,4 à 2,5 milliards. Et avec les provisions et couvertures que nous avons mises en place, nous avons réduit notre exposition nette aux monolines à 380 millions d'euros, contre 680 millions au premier trimestre. Quant à Ambac, nous avions déjà passé les provisions nécessaires sur les couvertures qu'il nous offre, car nous savions qu'il présentait des risques. Sa dégradation ne change donc pas grand-chose pour nous.

En quoi BNP Paribas a-t-il changé depuis le début de la crise?

BNP Paribas a vraiment changé de dimension. Notre solidité dans la crise nous a permis à la fois de gagner des parts de marché et de faire l'opération Fortis. Dans les activités historiques de BNP Paribas, notre dynamique commerciale est très forte. En banque de détail, nous progressons en France sur les dépôts et les crédits. En Italie, nous avons gagné 34.000 nouveaux comptes au premier semestre, contre 47.000 sur toute l'année dernière. Dans les activités de marché, outre notre position de leader sur les émissions obligataires en euros, nous sommes numéro 7 sur les fusions acquisitions en Europe. Dans la gestion d'actifs, notre collecte nette a atteint 20 milliards d'euros au premier semestre, dont 6,5 milliards au deuxième trimestre. C'est un chiffre considérable, une progression par exemple supérieure à celle de Crédit Suisse.

Où en êtes-vous dans l'intégration de Fortis ?

Avec cette opération le montant de nos dépôts est passé de 400 à 540 milliards d'euros, ce qui nous fait passer de la cinquième à la première place dans la zone euro. Le nombre de nos clients particuliers dans la zone euro a bondi de 9 à 13 millions, dont la moitié se situent hors de France.
L'opération Fortis Banque date du 12 mai et nous avons déjà une première vision du plan industriel qui sera finalisé cet automne et présenté comme prévu en détail le 1er décembre à Bruxelles. J'en profite pour confirmer que nous pourrons faire face en Belgique et au Luxembourg dans les prochaines années à l'évolution des effectifs sans départs contraints, ce qui est de nature à rassurer le corps social de BNP Paribas Fortis et de BGL, l'entité Luxembourgeoise. Par ailleurs, l'activité de la banque Fortis a commencé à s'améliorer dès que la perspective d'une reprise par BNP Paribas a pris corps. En matière de dépôts, la collecte nette, qui était négative jusqu'en mars, a été positive de 2,7 milliards au deuxième trimestre. La banque de détail repart bien, et la gestion d'actifs s'est stabilisée. C'est très encourageant.

BNP Paribas a aussi augmenté sensiblement ses fonds propres...

C'est le troisième aspect sur lequel nous avons changé de dimension. Nos fonds propres sont passés de 41,8 milliards d'euros fin 2008 à 60,3 milliards à fin juin. Notre ratio "tier one" atteint 9,3%, ce qui nous donne une marge de sécurité accrue. Mais le plus important, c'est d'avoir réussi tout cela en pleine crise. C'est parce que nos résultats ont très bien résisté que nous avons pu acquérir Fortis et changer ainsi de dimension.

Le remboursement de l'aide de l'Etat ne devrait donc pas être un problème ?

Nous allons attendre la fin de l'année pour faire le point sur l'évolution de la conjoncture et celle de nos résultats. En fonction de cela, nous déciderons éventuellement d'une première étape de remboursement en 2010 fondée sur notre capacité bénéficiaire.

Les banques se portent mieux que l'économie réelle. Certaines renouent avec d'anciennes pratiques en matière de rémunération notamment. La crise n'a-t-elle rien changé ?

Nos résultats sont satisfaisants mais nous portons les marques de la crise. La rentabilité de nos fonds propres qui était de l'ordre de 20% en 2007 se situe à 11,8% au 1er semestre 2009. Le coût du risque atteint 2 milliards au second trimestre, et nos encours de crédits en France augmentent de 3%: nous restons résolument acteurs de l'économie réelle. En matière de rémunération des opérateurs de marché, nous avons été l'une des premières banques mondiales à respecter scrupuleusement dès 2008 les recommandations du G20 qui prévoient par exemple l'étalement des bonus sur plusieurs années et leur corrélation aux résultats, non aux revenus. Nous allons également appliquer ces principes en 2009. Mais nous sommes inquiets du comportement de certains grands acteurs de Londres et New York, qui sont nos concurrents. Il est essentiel que les mêmes règles soient mises en ?uvre au même rythme sur l'ensemble des grandes places. La réunion du G20 de Pittsburgh le mois prochain doit aller dans ce sens. Le temps presse.

L'annonce du transfert de serveurs informatiques de la bourse Nyse-Euronext dans la banlieue de Londres pose des questions sur l'avenir de la Place de Paris. Les grandes banques en font-elles assez pour la défendre ?

BNP Paribas a toujours défendu une solution européenne pour la place de Paris. Par ailleurs, la décision de transférer des serveurs informatiques ne dépend pas des banquiers français, mais du conseil d'administration de Nyse-Euronext. En ce qui nous concerne nous allons installer, le 27 octobre, à Pantin le siège global de nos activités de conservation de titres avec 3.400 salariés. C'est assez symbolique, car nous sommes l'un des leaders mondiaux dans ce métier de service aux acteurs des marchés. Mais la défense de la compétitivité de Paris dépend de plusieurs facteurs: l'existence d'une concurrence loyale en matière de rémunération des opérateurs de marché, j'en ai déjà parlé; les normes comptables et les règles en matière de fonds propres. Dans ces domaines, des aménagements post-crise et une harmonisation mondiale sont nécessaires mais le risque existe que les Etats-Unis et l'Europe accentuent leurs divergences alors qu'il leur faudrait impérativement converger.

Il y a deux ans, la suspension par BNP Paribas de la cotation de 3 sicav était le révélateur de la crise du subprime en Europe. Quel regard portez-vous sur ces deux années ?

Je constate qu'aucune banque n'a évité tous les pièges de cette crise, mais que BNP Paribas fait partie de celles qui en sont sorties renforcées. En matière de gestion d'actifs notamment, nous sommes l'un des rares acteurs à avoir enregistré une collecte nette et à avoir été bénéficiaire, chaque trimestre depuis le déclenchement de la crise.

Il y a 10 ans, BNP se mariait avec Paribas. Depuis, vous êtes devenu européen. Quel est votre rêve aujourd'hui ?

En 10 ans, nous avons réussi à nous imposer comme la grande banque de l'euro. Nous sommes passés d'un groupe de 85 000 personnes et 2500 agences à un groupe de 210 000 salariés et 7 000 agences. Nous avons réussi à déployer en Europe notre modèle de banque intégrée, tournée vers la clientèle. Les 18 prochains mois seront consacrés à l'intégration de Fortis. La conjoncture reste difficile. Bien gérer le groupe dans son nouveau périmètre suffira à nous occuper.