Faut-il avoir peur du nouveau contrat à terme sur la dette française ?

Par Sophie Rolland  |   |  660  mots
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Simple outil de couverture pour les professionnels des marchés ou nouvelle arme de déstabilisation massive du marché de la dette française, le "future" sur les emprunts d'État français est extrêmement controversé et s'invite dans la campagne.

« Un nouveau coup de force de la finance contre notre pays », comme le prédit Jean-Luc Mélenchon, ou un simple instrument de couverture ? Le lancement, le 16 avril prochain du nouveau contrat à terme d'Eurex - le leader des marché à terme, devant le CME et le LIFFE - est en tout cas abondamment décrié, pour ne pas dire plus, par ceux qui redoutent une déstabilisation du marché de la dette française. Mais aussi par ceux qui peuvent trouver un intérêt financier à l'intense spéculation dont pourrait faire l'objet cet instrument. On sait à quel point les marchés sont sensibles aux prophéties auto-réalisatrices... Une chose est sûre : en novembre dernier, les contrats à terme sur les emprunts d'Etat italiens ont largement été utilisés pour spéculer à la baisse sur la dette de la péninsule.

Améliorer la liquidité de la dette de la France

La menace ? Un contrat à terme ou « future » sur les emprunts d'Etat français à long terme (OAT), dont la création a été annoncée par la filiale de Deutsche Boerse le 21 mars dernier. A l'image de ce qui existe déjà sur le pétrole, sur le CAC ou sur les emprunts d'Etat allemands - les produits phare d'Eurex -, le FOAT (future sur les Obligations Assimilables du Trésor) permettra de prendre l'engagement ferme d'acheter ou de vendre une quantité convenue d'OAT à un prix et à une date fixés à l'avance.

Pour les opérateurs de marché, il n'y a aucune raison d'avoir peur. Un tel produit existait autrefois sur le MATIF (le défunt marché à terme des instruments financiers) et sa création permettra d'améliorer la liquidité de la dette française, car les investisseurs disposeront d'un parfait outil de couverture sur ces emprunts.

Un nouvel instrument de spéculation
Pour un certain nombre de commentateurs, en revanche, le complot n'est pas loin. Dans un billet publié sur son site (monfinancier.com) le 23 mars dernier, Marc Fiorentino, le président d'Euroland Finance ironisait : « Quel hasard! Quelle coïncidence. Treize ans après la disparition du MATIF, une semaine avant les élections françaises, tous les spéculateurs du monde entier pourront facilement vendre à découvert de la dette française. Facilement. A coûts bas. Et avec un effet de levier maximum. Non, bien sûr, la "Finance" ne se prépare pas à la guerre contre François 2 ».

Un "faux problème"
De fait, comme la plupart des produits financiers, les contrats à terme peuvent être utilisés pour spéculer. Mais pour les professionnels du marché de la dette, c'est un faux problème. « Les investisseurs qui veulent spéculer contre la France ont déjà à leur disposition les CDS sur la dette souveraine (les credit default swaps, sorte d'assurance sur les défauts de paiement, ndlr), aux effets bien plus dévastateurs », explique l'un d'eux. En revanche, « la liquidité accrue pourrait attirer de nouveaux intervenants sur les OAT et l'Agence France Trésor [qui place ces emprunts auprès des investisseurs, ndlr] a tout à y gagner ».
De plus, un tel produit était réclamé depuis longtemps par les intervenants sur le marché de la dette. Jusqu'à maintenant, en l'absence de contrats à terme sur la dette française, ils devaient utiliser les futures sur la dette allemande pour se couvrir sur la dette française. Une stratégie qui n'a plus beaucoup de sens lorsque l'on parie sur une divergence des taux dans la zone euro.

Un risque trop important
Pour Pascal Canfin (EELV, Europe Ecologie Les Verts), spécialiste des questions financières à Bruxelles, le risque pris est trop important au regard des enjeux. « La décision, prise par l'Agence France Trésor, semble encore une fois avoir échappé au politique pour être confisqué par la sphère technique où tous les intervenants, acteurs privés et publics, partagent le même corpus de valeurs et le même dogme de la liquidité permanente », déplore-t-il.