Les banques françaises s'intéressent au modèle « asset light »

Par Christine Lejoux  |   |  815  mots
Afin d’éviter une reproduction de la grande crise de solvabilité de 2008, la réglementation dite de Bâle III impose aux banques de détenir davantage de fonds propres qu’avant, en face de leurs engagements jugés particulièrement risqués.
Les régulateurs exigeant des banques des ratios de solvabilité toujours plus élevés, celles-ci cherchent à développer des modèles moins consommateurs de capitaux propres.

Les banques et les groupes hôteliers ont au moins un point commun. Chacun de ces deux secteurs d'activité montre un intérêt croissant pour le modèle « asset light. » Depuis une bonne dizaine d'années déjà, les groupes hôteliers tendent à vendre la quasi-totalité de leurs murs, afin de les gérer en franchise ou en contrat de management, un modèle autrement moins gourmand en capital que l'exploitation d'hôtels détenus en pleine propriété. Si les banques s'intéressent à leur tour au modèle « asset light », c'est en raison des nouvelles contraintes réglementaires relatives au renforcement de leurs fonds propres. En effet, afin d'éviter une reproduction de la grande crise de solvabilité de 2008, la réglementation dite de Bâle III impose aux banques de détenir davantage de fonds propres qu'avant, en face de leurs engagements jugés particulièrement risqués, comme les crédits aux PME.

Par exemple, Banque Palatine, filiale du groupe BPCE (Banque Populaire Caisse d'Epargne), devra afficher un ratio de solvabilité global (capitaux propres sur engagements financiers) de 10,5%, en 2019, contre 9,6% à la fin de l'année 2015. Cette exigence réglementaire « nous obligera à aller chercher des fonds propres supplémentaires (sur les marchés), en 2017 et en 2018 », a indiqué Thierry Zaragoza, directeur général délégué en charge des finances, le 2 mars, lors de la présentation des résultats annuels de Banque Palatine.

Une partie du risque de crédit est transférée hors des bilans des banques

Or, depuis la crise financière de 2008, le capital est devenu une ressource rare et, donc, chère. Conséquence, « sur le plan stratégique, nous devons évoluer vers un modèle qui sera plus « asset light », moins consommateur de fonds propres », a expliqué Pierre-Yves Dréan, directeur général de Banque Palatine. Illustration de cette stratégie, la plateforme de syndication de crédits lancée par la banque. Jusqu'à présent, lorsque Banque Palatine octroyait un crédit à une entreprise, elle le gardait en totalité à son bilan durant toute sa durée, avec le risque associé. Un engagement en face duquel la banque devait placer des fonds propres bien supérieurs aux exigences d'avant la crise, Bâle III oblige. Ce qui pesait sur son ROE (return on equity, rentabilité des fonds propres).

Avec la plateforme de syndication, Banque Palatine ne garde plus à son bilan la totalité des crédits qu'elle consent, mais en place une portion auprès d'autres banques ou d'investisseurs, auxquels une partie des risques associés à ces prêts est donc transférée. « Très récemment, nous avons pris un gros ticket de 40 millions d'euros, que nous avons syndiqué à hauteur de 50% », indique Pierre-Yves Dréan. Une opération qui a non seulement permis de ne pas alourdir le bilan de Banque Palatine, mais qui a en outre rapporté à la filiale de BPCE une commission d'arrangement, pour le conseil apporté et pour son rôle dans le placement auprès des investisseurs.

Le modèle « asset light » profite de l'appétit des investisseurs et des entreprises

Ces derniers, en quête de rendement dans le contexte actuel de taux très bas, ne se font pas prier. « Dans la mise en place de cette stratégie « asset light », l'un des phénomènes les plus marquants est le fort appétit des assureurs-vie », précise Thierry Zaragoza. Banque Palatine, qui travaille actuellement avec deux partenaires principaux dans le cadre des opérations de syndication, dont « une banque filiale d'une compagnie d'assurance étrangère », n'aura donc pas de peine à en recruter d'autres. Les entreprises aussi se laissent volontiers convaincre de la pertinence du modèle « asset light » : « Il est facile à vendre aux entreprises, car celles-ci savent qu'il leur faut diversifier leurs sources de financement », poursuit Thierry Zaragoza. De fait, en Europe, les entreprises se financent encore à plus de 60% auprès des banques (par opposition aux marchés financiers).

« Le retard de l'Europe et de la France en matière de désintermédiation, couplé à une grande concentration de liquidités chez certains acteurs [les assureurs, en particulier ; Ndlr], est favorable au modèle asset light », insiste Pierre-Yves Dréan. Natixis, autre filiale de BPCE mais spécialisée, elle, dans la banque d'affaires, l'a bien compris, qui a fait du modèle « asset light » un axe prioritaire de son plan de développement 2014/2017, baptisé « New Frontier. » Dernière illustration en date de cette stratégie, le projet d'acquisition de 51% du capital de la banque d'affaires américaine Peter J. Solomon, annoncé le 10 février. Après le rachat de Leonardo & Co. France en février 2015, puis de 360 Corporate en Espagne au mois de novembre, cette nouvelle emplette permettra à Natixis de se renforcer sur le conseil en fusions-acquisitions, un métier qui ne consomme pas de fonds propres et qui rapporte de jolies commissions.