Union bancaire : le fonds européen de garantie des dépôts fait débat

Par Christine Lejoux  |   |  1024  mots
En l'absence de son troisième pilier, l'union bancaire demeure inachevée, le cercle vicieux entre crises bancaires et crise des dettes souveraines n'est toujours pas brisé.
Troisième pilier de l’union bancaire, le projet de système européen de protection des dépôts est en train d’être âprement débattu au Parlement européen. Il en a été beaucoup question lors de l’audition sur l’union bancaire menée par la commission des Finances du Sénat, mercredi 23 mars.

Les auditions de financiers par des sénateurs ont la vertu de rappeler que des sujets en apparence ultra-techniques correspondent souvent à des réalités palpables par tout un chacun. C'était le cas mercredi 23 mars, lorsque la commission des Finances du Sénat a procédé à une audition sur le thème de l'union bancaire. Décidée par le Conseil européen en juin 2012, sur proposition de la Commission européenne, dans le sillage de la crise de la zone euro, la création de l'union bancaire vise à rompre le lien pernicieux entre crise bancaire et crise des dettes souveraines, en évitant que la faillite de grandes banques n'oblige les Etats - et donc les contribuables - à les renflouer, comme cela avait été le cas lors de la crise financière de 2008.

Cette union bancaire repose sur trois piliers. Le premier, le mécanisme de supervision unique (MSU), a confié la supervision directe des 130 principales banques de la zone euro à la seule Banque centrale européenne (BCE), le 4 novembre 2014. Le deuxième pilier, le mécanisme de résolution unique (MRU), est entré en vigueur le 1er janvier 2016, et prévoit qu'une banque en difficulté devra d'abord solliciter ses actionnaires, ses créanciers obligataires, ainsi que les déposants détenant plus de 100.000 euros dans ses livres, avant de se tourner éventuellement vers le fonds de résolution unique (FRU), abondé par le secteur bancaire européen. L'Etat n'intervenant, lui, qu'en dernier ressort, si nécessaire.

Un fonds européen de garantie des dépôts de 45 milliards d'euros en 2024

Troisième et dernier pilier de l'union bancaire, le fonds européen de garantie des dépôts. C'est de lui dont il a surtout été question durant cette audition de représentants de la communauté financière par les sénateurs. Et pour cause : présenté par la Commission européenne pas plus tard que le 24 novembre 2015, ce projet de fonds de garantie européen des dépôts bancaires est actuellement - et âprement - débattu par le Parlement européen. De quoi s'agit-il ? Ni plus ni moins, de remplacer progressivement les systèmes nationaux de protection des dépôts bancaires par un système européen unique, jusqu'à 100.000 euros par compte détenu. L'objectif étant que les déposants des quelque 6.000 banques de l'Union européenne aient confiance dans la sécurité de leurs avoirs, et ne se précipitent donc pas au guichet pour retirer leur argent si leur banque rencontre des difficultés, au risque d'aggraver ses problèmes de liquidité.

Concrètement, à partir de 2017 et jusqu'en 2020, le fonds européen de garantie des dépôts ne sera utilisé que si le système national de protection des dépôts n'était pas suffisant pour indemniser les déposants d'une banque en faillite. Ensuite, de 2020 à 2024, le fonds national de garantie des dépôts et le fonds européen seront appelés ensemble, dès le premier euro d'indemnisation. Enfin, à partir de 2024, les systèmes nationaux n'existeront plus, et seront remplacés par le fonds européen de garantie des dépôts. Lequel sera doté à cet horizon de 45 milliards d'euros, une somme qui lui aura été progressivement apportée par les banques européennes, sur la base d'une contribution représentant 0,8% de leurs dépôts.

Une union bancaire inachevée qui inquiète les investisseurs

« Compte tenu de leur taille, les banques françaises ne vont-elles pas payer pour celles d'autres pays ? Or qu'ont-elles à gagner exactement d'un système européen de garantie des dépôts ? », s'est interrogé Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des Finances du Sénat. Une inquiétude qui a trouvé un écho chez Benoît de la Chapelle Bizot, directeur général délégué à la Fédération bancaire française (FBF) : « Le fonds européen de garantie des dépôts ne servira pas en priorité aux Français, dont les dépôts n'ont jamais été aussi bien protégés qu'aujourd'hui, notamment parce que les fonds propres des banques françaises ont doublé depuis la crise. La crainte de payer pour d'autres est donc légitime. » Une crainte d'autant plus grande que la moitié seulement des 28 pays de l'Union européenne (UE) disposent d'un système national de protection des dépôts bancaires. Et que, sur les 14 pays restant, certains ont des systèmes de garantie qui affichent « des fonds négatifs, à la suite du renflouement de leurs banques », souligne Benoît de la Chapelle Bizot. Pour ce dernier, un système européen de garantie des dépôts pose donc « le problème de la mutualisation de fonds nationaux positifs avec des fonds nationaux négatifs. »

De fait, c'est bien parce qu'elle non plus ne veut pas payer pour les autres que l'Allemagne, comme les Pays-Bas et la Finlande, s'oppose au projet européen de garantie des dépôts, lequel est en revanche soutenu par la France et l'Italie. Des désaccords qui exaspèrent Laurence Scialom, professeure à l'Université Paris Ouest : « La proposition, par la Commission européenne, d'un système européen de garantie des dépôts est une excellente initiative, malheureusement plombée par le refus allemand. Les pays de l'UE n'avancent ensemble que lorsqu'ils se trouvent au bord du gouffre. Quand les choses semblent aller mieux, chacun retombe dans des discussions de marchands de tapis. » Des discussions qu'il conviendrait d'abréger car, en l'absence du troisième pilier, l'union bancaire demeure inachevée, le cercle vicieux entre crises bancaires et crise des dettes souveraines n'est toujours pas brisé, suscitant « la défiance des investisseurs quant à la capacité de l'union bancaire à protéger l'Europe de nouvelles crises bancaires », argumente Laurence Scialom. Pour qui la violente chute des cours de Bourse des banques européennes, en début d'année, résulte bien davantage des tergiversations européennes en matière d'union bancaire que des craintes d'un ralentissement de l'économie mondiale, de la faiblesse des taux d'intérêt ou de la baisse du prix du pétrole.