"En cas de Brexit, la zone euro devra prendre ses responsabilités ! "

Par Propos recueillis par Philippe Mabille et Dominique Pialot  |   |  1719  mots
Gérard Mestrallet, Président de Paris Europlace
Quelle que soit l'issue du référendum britannique du 23 juin, c'est pour Paris Europlace l'occasion de rappeler aux politiques français les enjeux d'une place financière attractive. Avec des milliers d'emplois en jeu, souligne le président de Paris Europlace, selon lequel « il y a une bonne finance, essentielle pour notre souveraineté économique ». Face au risque de Brexit, la France doit se préparer à toute éventualité, recommande-t-il.

LA TRIBUNE - L'association Paris Europlace, associée à Paris Île-de-France Capitale économique et Euronext, organise le 8 juin une conférence sur la place financière de Paris, avec le soutien de la Région Île-de-France et la Ville de Paris. C'est un signe d'une évolution des esprits chez les politiques ?

GÉRARD MESTRALLET - La Région Île-de-France et la Ville de Paris ont toujours fait partie du conseil de Paris Europlace. Ce qui est effectivement nouveau, c'est qu'elles acceptent désormais de s'afficher en pleine lumière pour défendre avec tous les acteurs concernés l'importance d'une place financière dynamique. Je me félicite de cette convergence parce que chez Europlace, nous disons depuis toujours que la finance est l'amie des entreprises, qu'il y a une « bonne finance » essentielle pour la souveraineté économique de notre pays. La place de Paris, cela représente stricto sensu 150.000 emplois, mais si on considère la Région Île-de-France, plus de 300.000 personnes, soit 6,5 % des emplois. Et si on prend pour référence le cadre national, plus de 1,2 million d'emplois relèvent du secteur financier. Ce n'est pas rien.

Organiser un débat intitulé « Welcome to Europe » à deux semaines du référendum britannique, c'est dire que Paris déroulera le « tapis rouge » aux banques de la City en cas de Brexit ?

Soyons clairs. Tous, ici, nous sommes profondément européens et très attachés au maintien du Royaume-Uni au sein de l'Europe. Paris Europlace a toujours défendu la construction d'un marché européen intégré. Et chacun sait qu'un Brexit le 23 juin ouvrira la porte à un affaiblissement du projet européen. Si nous commençons à défaire ce que l'on a bâti, chaque pays va réclamer son propre régime dérogatoire avec un chantage au départ. Ce n'est pas ma vision de la construction européenne. Je préfère dire que cette crise est une occasion de refaire ou de mieux faire l'Europe.

Quel que soit le résultat du vote britannique, Brexit ou non, ce référendum va provoquer un choc et obliger l'Europe à bouger. Notre responsabilité, en France, c'est de nous préparer à toutes les éventualités.

Avec ou sans les Britanniques, l'Europe est à un tournant de son histoire et doit se réformer pour progresser. En cas de Brexit, la zone euro devra prendre ses responsabilités : les pays membres de la zone euro n'accepteront pas de négocier des accords contraires à leur souveraineté financière. En clair, je le dis à nos amis anglais, on ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre ! Si une nation quitte l'Union, elle ne peut pas espérer en conserver les avantages. Si le Royaume-Uni sort, il ne pourra pas garder la position privilégiée et influente dont il dispose à Bruxelles et participer aux discussions sur la régulation du système financier. En cas de Brexit, la Grande-Bretagne perdra aussi l'accès au passeport européen, ce qui signifie que les banques et les sociétés d'investissement qui n'ont pas de filiales en zone euro ne pourront plus y distribuer leurs produits financiers.

Certains banquiers de la City ont prévenu qu'ils envisagent de basculer sur le continent une partie de leurs activités, afin de sécuriser leurs positions. Pour les responsables politiques en France, ce sera forcément un stimulant pour avancer plus vite, pour renforcer la compétitivité de notre place financière. En 2017, cela peut changer la donne dans la compétition mondiale des places financières.

La City de Londres a gagné la bataille, pour l'instant. Quelle est la stratégie de la place de Paris pour devenir plus attractive, quel que soit le scénario du référendum du 23 juin ?

La place de Paris, malgré de nombreux vents contraires, ne s'est pas si mal défendue que cela. Londres est dominant, mais nous avons conservé de nombreux atouts, à commencer par la ville de Paris, qui joue dans la cour des grandes métropoles internationales, et la France est la sixième économie mondiale, avec comme particularité la présence de très nombreuses grandes entreprises internationales, très actives sur les marchés financiers. Paris, pour le monde de la fi nance, c'est la ville où se trouve la plus grande concentration de clients grandes entreprises en Europe.

C'est aussi une place leader dans la gestion d'actifs, avec plus de 3000 milliards d'euros à investir.

Pour conforter nos positions, il faut maintenant que les politiques cultivent cet écosystème. L'un des principaux obstacles est notre système fiscal. Il détourne l'épargne de l'investissement productif, pénalise le marché des actions, et pèse sur la compétitivité et les marges des entreprises. Une place financière est au service de l'économie. Nous avons remis à Michel Sapin un rapport sur la fiscalité dans le cadre du Comité 2020. Pour rendre notre place plus attractive, le rapport Delmas-Marsalet fait des propositions fortes : alléger l'impôt sur les sociétés qui, rappelons-le, est la principale raison de la délocalisation à Londres du siège de Technip ; revoir en baisse la surimposition du capital et des dividendes ; développer l'épargne-retraite (Perp, Perco) et relever le plafond du PEA-PME ; supprimer la taxe sur les salaires. Fondamentalement, ce qui manque le plus à la France, ce sont de puissants fonds de pension par capitalisation, qui permettraient d'orienter l'épargne longue vers les PME et les ETI.

La menace d'une taxe sur les transactions financières a-t-elle disparu ?

Elle n'est pas officiellement enterrée. Nous nous sommes battus contre cette fausse bonne idée, jusqu'à présent avec succès. Certains veulent en faire un instrument pour financer la transition énergétique, mais c'est un leurre. Limitée à quelques pays et au champ européen, il n'y aura jamais de recettes car les transactions financières, c'est ce qu'il y a de plus facile à déplacer. Et une fois parties, c'est terminé. Dans le périmètre européen, c'est une machine à délocaliser les activités financières à Londres, Genève, mais aussi au Luxembourg ou aux Pays-Bas, qui ne veulent pas en entendre parler. Pour la France, ce serait un nouveau frein à sa compétitivité, ce dont elle n'a vraiment pas besoin.

Il y a un domaine où Paris est bien dans le match, c'est la finance verte...

Oui, c'est une activité nouvelle dans laquelle notre position relative est forte. Et, plus largement, dans la « smart finance », ainsi que cela a été souligné par le Comité Place financière de Paris 2020, présidé par le ministre Michel Sapin, réuni lundi 30 mai. La France a été le premier émetteur d'obligations « vertes » (« Green bonds ») en 2015, et sur les premiers mois de 2016, nous talonnons les États-Unis avec 13 % de part de marché, contre 15 % pour les Américains. Le fait que l'État français puisse émettre directement sur ce marché devrait conforter ce leadership. Engie l'a fait en émettant un Green bond de 2,5 milliards d'euros, le plus important à ce jour.

Concrètement, la France a pris les devants sur la finance climatique à l'occasion de la présidence de la COP21, au cours de laquelle le monde de l'entreprise a joué un rôle décisif. Paris Europlace est très impliqué dans ce leadership, puisque nous avons organisé, avec la CDC et la BEI, le « Climate Finance Day ». Cela a permis de faire évoluer les esprits dans le monde de l'investissement pour sortir du charbon et réduire l'exposition au CO2. Il faut aller plus loin : nous organiserons le 4 novembre au Maroc notre deuxième « Climate Finance Day », juste avant l'ouverture de la COP 22, en partenariat avec la place financière de Casablanca. Le Maroc veut en effet axer la COP 22 sur le carbone, et ce sera la COP de l'action, de l'Afrique et de l'accès à l'énergie pour tous.

La place de Paris met l'accent sur l'innovation. Mais soutient-elle assez les fintech, qui veulent s'attaquer aux rentes bancaires ?

En créant en 2008 Finance Innovation, le pôle de compétitivité mondial de la place de Paris, avec le soutien du président de la République, Paris Europlace a fait de l'innovation un de ses axes stratégiques. Le pôle accompagne en capital investissement l'innovation et la recherche dans les nouvelles technologies, comme le financement participatif ou la blockchain. Le dynamisme de la scène fintech française est reconnu et les banques comme les compagnies d'assurance ont pris conscience du caractère irréversible des mutations en cours avec le numérique. Elles n'ont pas d'autre choix que de s'y adapter. Et elles le font bien.

Avec la fusion en cours entre la Bourse allemande Deutsche Börse et la britannique LSE, Euronext ne risque-t-elle pas d'être marginalisée, voire de disparaître ?

La place de Paris, ce n'est pas que la Bourse de Paris. Mais sans doute faut-il regretter que les acteurs français n'aient pas pris conscience, dans le passé, du caractère vital, en termes de souveraineté économique et de dialogue avec les régulateurs, de notre Bourse. Nous sommes clairement opposés à cette fusion en l'état et le conseil de Paris Europlace l'a fait savoir aux autorités de la concurrence à Bruxelles. Comme clients émetteurs en particulier, nous sommes préoccupés des conséquences tarifaires de cette concentration vertigineuse qui va créer une position dominante et des silos verticaux sur plusieurs segments des marchés : cotation (listing) et règlement-livraison (clearing).

Les plateformes géantes de cotation et de règlement-livraison ont une dimension de service public et d'intérêt général. Elles ne peuvent pas relever de la seule logique des actionnaires. Les régulateurs doivent s'en emparer. Il faut maintenir la transparence sur le niveau des prix des services financiers. Nous attendons de l'examen de la fusion entre LSE et DB par la commission de Bruxelles que les règles de concurrence soient respectées. Il faut maintenir en France une Bourse de proximité et compétitive, et c'est pour cela que Total, Orange et Engie étaient symboliquement entrées au capital de la nouvellle Euronext à l'occasion de son introduction en Bourse, afin de conforter l'alternative que constitue l'alliance des plateformes boursières de Paris, Amsterdam, Bruxelles et Lisbonne.