L'ardoise grecque : pourquoi 53,5% de décote = 75% de dépréciation pour les banques ?

Par Séverine Sollier  |   |  1434  mots
Le plan global d'aide à la Grèce a pour objectif de réduire l'endettement de la Grèce à 120% du produit intérieur brut contre 160% actuellement. Copyright Reuters
Les banques et autres créanciers privés qui possèdent des obligations d'État grecques ont accepté de réduire leur valeur afin d'alléger la dette de la Grèce de 107 milliards. La décote prévue est de 53,5% mais les établissements financiers déprécient leurs portefeuilles d'obligations grecques de 70% ou davantage. Explications.

La facture est plus salée qu'il n'y paraît pour les créanciers privés de la Grèce. Les banques, assureurs et fonds d'investissements ont accepté une décote des obligations d'Etat grecques qu'ils détiennent dans l'accord dit PSI (private sector involvement) signé mardi 21 février entre les représentants officiels de la Grèce et les membres du comité des créanciers privés, représentés lors des négociations par le président de l'Institut de la finance internationale (IFI), Charles dallara et Jean Lemierre de BNP Paribas. Cette décote s'élève à 53,5% mais en réalité, cela va coûter beaucoup plus cher.

Pourquoi la décote est-elle de 53,5%

Pour quoi le chiffre est-il fixé à 53,5% ? "Pour faire économiser à la Grèce 107 milliards de dette, il faut retirer 53,5% au quelque 200 milliards d'obligations souveraines grecques détenues par les créanciers, en dehors des banques centrales et de la Banque centrale européenne", explique Patrick Jacq, stratégiste marchés obligataires chez BNP Paribas. Le plan global d'aide à la Grèce a en effet pour objectif de réduire l'endettement de la Grèce à 120% du produit intérieur brut contre 160% actuellement. Pour y parvenir, ce plan prévoit un soutien financier de 237 Milliards dont 130 milliards apportés en plusieurs tranches par le secteur public à commencer par les Etats membres de l'Union euroépenne et le Fonds monétaire international (FMI). Les 107 milliards restants doivent être apportés par le secteur privé grâce à un abandon de dette par les créanciers privés. Pour atteindre le montant de 107 milliards, il faut faire "disparaître" 53,5% du total des obligations détenues par les créanciers , principalement des investisseurs institutionnels. Donc, les obligations grecques ne vaudront plus que 46,5% de leur valeur initiale.

Une perte de plus de 70% pour les banquiers et assureurs

Plusieurs banques et compagnies d'assurance français ont déjà annoncé, à l'occasion de la publication de leurs résultats annuels, un montant de perte supérieur à 70%, passé dans leurs comptes 2011, en raison de la décote des obligations grecques. BNP Paribas a ainsi prévu une perte de 75% comme Société Générale. Axa, pour sa part, a déprécié son portefeuille d'obligations souveraines grecques de 78% soit au total 387 millions d'euros au titre de l'ensemble de l'année 2011. Quant à CNP Assurances, qui publiait ses résultats mercredi 22 février, il a déprécié ses obligations souveraines grecques à 70% du nominal, ce qui représente une perte de 60 millions d'euros. Globalement, les pertes comptabilisées par les créanciers privés seront égales ou supérieures à 70%.

L'opération de décote consiste en fait en un échange de titres. Pour chaque obligation, les créanciers recevront des nouveaux titres obligataires de l'Etat grec pour 31,5% de la valeur initiale. Il recevront aussi des titres à court terme émis par le Fonds européen de stabilité (FESF) pour 15%. Ce qui reste, c'est-à-dire 53,5% du prix initial, sera donc définitivement perdu. C'est le sens de la "décote".

Des obligations nouvelles moins rémunérées et plus longues

La durée des nouvelles obligations souveraines grecques sera variable, de 11 à 30 ans, et les taux d'intérêt évolueront : les trois premières années, la rémunération annuelle sera de 2%, puis de 3% sur les 5 années suivantes et de 4,3% ensuite, jusqu'à 30 ans. Le taux proposé sera en moyenne de 3,65%, donc inférieur à la rémunération octroyée jusqu'alors. "Le coupon moyen de la dette grecque actuelle est plus élevé et sa maturité plus courte que les coupons des nouvelles obligations grecques dont le taux d'intérêt est plus faible et la duration plus longue. Cela se traduit par une perte en valeur actualisée nette des portefeuilles", précise René Defossez, stratégiste obligataire chez Natixis à Londres.

Comment passe-t-on de 53,5% de décote à plus 70% de dépréciation ?

"Pour calculer la valeur actuelle de leurs portefeuilles obligataires, les banques appliquent un taux d'escompte", explique Patrick Jacq de BNP Paribas avant d'ajouter, "lors de la précédente décote en juillet, ce taux était de 9%, aujourd'hui il est de plus proche de 12%". Et de préciser, "le taux d'escompte est une hypothèse sur un niveau de taux d'intérêt moyen. C'est un taux théorique mais il s'imposera à tout le monde afin de formaliser le calcul".

Il s'agit d'une véritable restructuration de la dette détenue au bilan de chaque établissement. La perte consécutive pour chaque portefeuille dépend des caractéristiques des titres actuels, en termes de rémunération (taux d'intérêt) et de maturité (date de l'échéance), et des caractéristiques des nouveaux titres qui seront reçus lors de l'échange.

Chaque enseigne est en principe libre de participer à cette opération de re-souscription de titres ("roll over"). Mais pour être efficace, c'est-à-dire pour permettre l'effacement du montant souhaité de dette de la Grèce, elle suppose que la quasi-totalité des créanciers y participe. 

Que se passerait-il si des hedge funds refusaient l'échange ?

Depuis plusieurs mois, des rumeurs affirment que certains hedge funds détenteurs d'obligations grecques ne participeraient pas à l'échange, avec l'objectif de faire capoter l'accord PSI (private sector involvement) et d'obtenir la mis en oeuvre des CDS (Credit Default Swap), ces assurances qui jouent en cas de défaut d'un émetteur.

Une éventualité que la plupart des spécialistes considèrent aujourd'hui comme très improbable, en raison notamment du faible montant des encours nets des CDS sur la dette grecque. "Pour ceux qui ne participeront pas à l'échange, les titres seront remboursés à l'échéance. Mais en deça d'un certain seuil de participation, la Grèce peut se réserver le droit de prendre des mesures plus incitatives, le but étant de ne pas en arriver là et de rester dans le cadre du volontariat", indique Patrick Jacq. Pour sa part, René Defossez de Natixis est plus catégorique : "La Grèce pourrait obliger les créanciers en faisant jouer la CAC [clause d'action collective], d'ailleurs elle a prévenu qu'elle le ferait si besoin". Le parlement grec doit en effet examiner jeudi 23 février le texte de loi sur toute l'opération d'échange d'obligations qui comprend une clause d'action collective. Le gouvernement pourrait la déclencher si moins de 66% des créanciers privés participaient à l'échange.

L'échange d'obligations prévu le 12 mars

La réponse sur le taux de partipation à l'échange d'obligation sera de toute façon bientôt connue puisque l'opération d'échange entre l'État grec et ses établissement créanciers doit avoir lieu le 12 mars.

Et après, les banques conserveront-elles les nouvelles obligations ?

« Les détenteurs d'obligations grecques seront incité à les conserver car il y aura une indexation d'une partie des titres sur la croissance économique de la Grèce ce qui permettra d'avoir un rendement supplémentaire", estime Patrick Jacq de BNP Paribas. Des titres dont le rendement sera indexé sur la croissance de la Grèce seront en effet proposés aux créanciers privés. L'idée est d'offrir une rémunération supplémentaire si l'économie grecque se redresse plus rapidement que prévu. Certains économistes considèrent cependant que les prévisions de croissance de 3% pour la Grèce à compter de 2015 sont exagérement optimistes.

Les banques et créanciers ont un autre motif de conserver les nouveaux titres de dette grecque selon Patrick Jacq : " si la Grèce ne fait pas défaut, il y aura une appréciation des papiers [titres obligataires, ndlr]". Le stratégiste obligataire ajoute néanmoins que "chacun restera libre de conserver ses obligations ou pas".

Que se passera-t-il si la Grèce ne respecte pas ses engagements ?

Si la Grèce ne respectait pas ses engagements de réduction du déficit public, si elle ne versait pas les coupons prévus pour les nouvelles obligations...les créanciers devraient à nouveau restructurer leur dette. L'accord PSI a au moins le mérite de faire gagner du temps ou plutôt de repousser les problèmes à plus tard.

"Le marché est loin d'être rassuré", observe cependant Rene Defossez de Natixis. "Un des risques les plus importants reste le risque de contagion", ajoute-t-il en soulignant que mardi 21 février, jour de l'accord, le seul spread (écart de taux) qui s'agrandissait était le rendement des obligation portugaises contre les obligations allemandes (Bund) avec un écart de plus de dix points de base. Marquant ainsi le déplacement des craintes de la Grèce vers le Portugal.