Qu'est-ce qu'un patron de banque française ? Un canard à la tête coupée, dixit le PDG de la Société Générale

Par Christine Lejoux  |   |  627  mots
Frédéric Oudéa, PDG de la Société générale, est "extrêmement soucieux à l'idée que les banques américaines n'appliquent pas Bâle III." Copyright Reuters
Bâle III, projet de séparation des activités bancaires... Frédéric Oudéa redoute que cette "multitude de réformes" ne fasse des banques européennes des "canards à la tête coupée, qui ne pourront même plus courir."

Les grands banquiers sortent rarement de leurs gonds. Ils sont trop posés pour cela, ce n'est pas le style de la profession. Mais, lorsque ces dignes messieurs en costume-cravate se lâchent, ceux qui sont l'objet de leurs foudres peuvent numéroter leurs abattis. Frédéric Oudéa, PDG de la Société générale, et Baudouin Prot, président de BNP Paribas, ont dit tout le mal qu'ils pensaient de la future réglementation dite de Bâle III, jeudi, lors des entretiens de l'AMF (Autorité des marchés financiers), qui étaient consacrés au rôle des banques et des marchés dans le financement de l'économie. Pas plus Frédéric Oudéa que Baudouin Prot ne digère que l'Europe persiste dans sa volonté d'appliquer à partir de 2013 la réglementation Bâle III relative au renforcement des fonds propres des banques, alors que les Etats-Unis ont décidé vendredi dernier de reporter sa mise en œuvre aux calendes grecques.

Le paradoxe de Bâle III

"Michel Barnier avait dit qu'il n'appliquerait pas Bâle III tant que les Américains ne la mettraient pas en oeuvre", n'a pas manqué de rappeler un Baudouin Prot très nerveux. "Je voudrais savoir ce que va faire M. Barnier, maintenant", a grincé le président de BNP Paribas, lançant une sorte de défi au commissaire européen aux Services financiers. Tout aussi mordant, Frédéric Oudéa souligne que, "paradoxalement, Bâle III semble ne pas devoir être appliquée dans la zone d'où est partie la crise, suivez mon regard." Un regard qui cible bien sûr les Etats-Unis, épicentre de la crise financière avec la faillite de la banque Lehman Brothers, en septembre 2008.

Des canards à la tête coupée

Or "les banques de la zone euro, et tout particulièrement les banques françaises, ont bien résisté à la crise, elles", a insisté Frédéric Oudéa. Alors pourquoi, entre Bâle III et le projet de séparation de leurs activités de dépôt de celles de marché, assommer les banques européennes "d'une multitude de réformes" qui, selon le PDG de la Société Générale, feront d'elles des "canards à la tête coupée, lesquels finiront par ne plus pouvoir courir" ? "Les Américains se sont rendus compte que c'était un petit peu compliqué et ils ont décidé de prendre leur temps", s'est efforcé de tempérer Gérard Rameix, président de l'AMF. En vain : "S'il ne s'agit que des Etats-Unis, ce n'est pas grave, ils représentent juste la moitié de l'industrie bancaire mondiale", a persiflé Baudouin Prot.

Une "tentation suicidaire"

Car, derrière ce décalage d'application de Bâle III entre la zone euro et les Etats-Unis, c'est un risque de distorsion de concurrence entre les banques européennes et leurs rivales américaines qui se profile. "Serons-nous capables de continuer à faire notre travail (de financement de l'économie) de façon compétitive ?", s'interroge Frédéric Oudéa, qui se dit "extrêmement soucieux à l'idée que les banques américaines n'appliquent pas Bâle III. " De fait, les exigences de Bâle III en matière de renforcement des ratios de fonds propres et de liquidités sont telles qu'elles pèseront inévitablement sur la capacité des banques européennes à accorder des crédits aux entreprises. Ces dernières, tout au moins les grands groupes, iront donc chercher de l'argent ailleurs, auprès des banques américaines, notamment. Conséquence, appliquer Bâle III alors que les Etats-Unis refusent de jouer le jeu, le PDG de la Société générale "ne partagepas cette tentation suicidaire."