Complémentaire santé : les assureurs en passe de gagner la bataille

Par Ivan Best  |   |  724  mots
Bruno Lasserre, président de l'Autorité de la concurrence Copyright Reuters
Pour l'Autorité de la concurrence, il faut empêcher les partenaires sociaux d'imposer le choix d'une assurance complémentaire santé à toutes les entreprises d'une branche. Alors que le projet sera débattu à l'Assemblée nationale la semaine prochaine, le gouvernement pourra difficilement ne pas prendre en compte cet avis

 Les assureurs ont gagné une manche, voire plus, contre les partenaires sociaux, dans leur combat contre la «clause de désignation », qui pourrait enlever toute liberté aux entreprises dans le choix de l'assurance complémentaire santé, obligatoire à compter du premier janvier 2016. L'Autorité de la concurrence a rendu ce vendredi un avis remettant clairement en cause le projet de loi sur l'emploi, qui prévoit la possibilité pour les partenaires sociaux d'imposer à toutes les entreprises d'une branche le recours à tel ou tel organisme offrant une complémentaire. Un projet débattu à l'Assemblée nationale à compter du deux avril.

La nécessité d'une plus grande transparence

L'Autorité souligne que les accords de branche signés jusqu'à maintenant ont avantagé, dans ce domaine de la santé, les institutions de prévoyance, au détriment des assureurs. Mezzo vocce, tous les acteurs du secteur reconnaissent l'existence de liens entre les partenaires sociaux, qui négocient pour les branches, et les institutions de prévoyance (IP). Dans certains cas, les négociateurs sont mêmes les gestionnaires de ces IP...
Aussi l'Autorité insiste-t-elle sur la nécessité d'une plus grande transparence dans les recommandations ou les désignations d'organismes gestionnaires par les partenaires sociaux. « La loi doit imposer la mise en concurrence effective des opérateurs susceptibles d'être recommandés ou désignés » souligne l'avis.
Qui ajoute : « la procédure de mise en concurrence dans son ensemble devra répondre à des conditions de transparence strictes en termes de publicité et d'évaluation ».
L'autorité suggère même une rédaction de la future loi : celle-ci devrait prévoir des conditions de transparence définissant «les règles destinées à garantir l'impartialité de la procédure et prévenir les conflits d'intérêt de la part de ceux qui y participent» . En outre, la loi imposerait « la création d'un organisme ad hoc à l'échelle de la branche, composé en partie de personnalités indépendantes, auquel est confié la charge de l'organisation de la procédure (de choix de l'assureur) et de sa révision périodique (tous les trois ans) ».

La fin de la désignation d'un seul organisme
Surtout, l'autorité suggère fortement que la liberté de choix du futur opérateur de la complémentaire santé soit laissée aux entreprises. La désignation d'un organisme ne devrait pas être retenue, "parce qu'elle constitue la modalité la moins favorable au dynamisme de la concurrence" souligne l'avis. Si, au niveau de la branche, les partenaires sociaux voulaient malgré tout y avoir recours, pour favoriser la mutualisation, ce choix de la désignation devrait "reposer sur de solides justifications". Et en aucun cas, les partenaires sociaux ne pourraient désigner, autrement dit imposer aux entreprises, un seul organisme. Il faudrait alors laisser le choix aux entreprises entre au moins deux opérateurs. Ceux-ci devraient relever de deux sphères différentes (institutions de prévoyance et assureurs). « Les accords (de branche) ne peuvent emporter ni la recommandation ni la désignation d'un organisme unique » : cette phrase, qui devrait figurer dans la future loi, selon l'Autorité de la concurrence, satisfait bien sûr les assureurs, en mettant fin à la clause de désignation pure et dure. Le "gendarme de la concurrence" veut éviter en outre des accords de partage du marché par plusieurs organismes, qui seraient prohibés. 

Les assureurs satisfaits

« Il y aura un avant et un après l'Autorité de la concurrence », estime Patrick Petitjean, Président de l'APAC (association pour la promotion de l'assurance collective, qui représente notamment des courtiers), dans un communiqué. « Par sa décision, elle met le doigt sur les dysfonctionnements de la situation actuelle, son opacité en premier lieu. Les principes de désignation de l'organisme assureur sont battus en brèche au profit du droit de la concurrence et du libre choix de l'employeur. Cet avis va amorcer une révolution sur le marché de l'assurance collective. C'est la fin annoncée des clauses de désignation ».
De fait, on voit mal le gouvernement ne pas tenir compte de l'avis de l'Autorité de la concurrence.
« Avant les parlementaires, le gouvernement devrait lui-même proposer un amendement afin de tenir compte de cet avis, car si la loi n'e ntenait pas compte, cette situation ouvrirait inévitablement la voie à denombreux contentieux », estime Laurent Ouazana, vice-président de l'APAC.