Les arnaques financières sur Internet, un hold-up à 4,5 milliards d’euros

Par Christine Lejoux  |   |  1308  mots
L’AMF répertorie aujourd’hui pas moins de 360 sites non autorisés de trading sur le « forex » (marché des changes) et sur les options binaires, en France, contre 4 seulement en 2010.
Selon le Parquet de Paris, les Français ont perdu 4,5 milliards d’euros, au cours des six dernières années, sur les sites illégaux de trading de devises, d’options binaires et dans le cadre des faux ordres de virement. Une somme supérieure à la fraude à la TVA sur les quotas de carbone, qui avait défrayé la chronique en 2008 et 2009.

N'est pas George Soros ou Warren Buffett qui veut. En cédant aux sirènes de sites illégaux de courtage en ligne, qui prétendent faire de Monsieur et de Madame Tout-le-monde des traders hors pair, qu'il s'agisse de devises ou d'options binaires*, les Français ont perdu 4,5 milliards d'euros au cours des six dernières années, selon le Parquet de Paris. Cette somme, qui inclut également le préjudice lié aux faux ordres de virement, est supérieure à la fraude à la TVA sur les quotas de carbone, dont la Cour des comptes avait estimé en 2012 qu'elle avait coûté 1,6 milliard d'euros au fisc français, souligne le Parquet. C'est pourquoi ce dernier, l'Autorité des marchés financiers (AMF), l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR, le gendarme des banques) et la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ont décidé de tirer la sonnette d'alarme, en organisant une conférence de presse commune sur le risque des arnaques financières en ligne pour le grand public, jeudi 31 mars. Signe supplémentaire de l'importance du sujet, le procureur de Paris François Molins, pourtant accaparé par la lutte contre les attentats terroristes, avait fait le déplacement.

Il faut dire que les arnaques financières sur Internet pullulent. L'AMF répertorie aujourd'hui pas moins de 360 sites non autorisés de trading sur le « forex » (marché des changes) et sur les options binaires, en France, contre 4 seulement en 2010. Conséquence, 28% des Français interrogés en 2015 par l'institut CSA pour le compte de l'AMF auraient déjà été démarchés par ce type de sites, et 5% de ces personnes sollicitées auraient été victimes d'une arnaque. L'AMF a d'ailleurs été saisie en 2015 de 1.656 réclamations relatives au courtage en ligne sur le forex et sur les options binaires, contre 64 seulement cinq ans plus tôt. « Nous avons une cinquantaine de dossiers en cours à ce sujet, au Parquet de Paris, ce qui correspond à 500 victimes environ », a renchéri François Molins. Et, pour le procureur de Paris, il ne s'agit sans doute là que de la partie émergée de l'iceberg, puisqu'il faut également tenir compte des victimes qui s'ignorent encore, et de celles qui se voient mal porter plainte, dans la mesure où l'argent qu'elles misent sur les plateformes de trading provient d'activités non déclarées au fisc.

La crise et les taux bas à l'origine de l'explosion des arnaques

L' explosion de ces nouvelles formes d'escroqueries financières tient à deux facteurs principaux. D'abord, les technologies numériques permettent de créer ce type de sites en deux temps trois mouvements, avec deux francs six sous, puis d'industrialiser et d'internationaliser facilement les arnaques en question. Ensuite, la crise économique et la faiblesse des taux d'intérêt rendent les épargnants plus vulnérables à la promesse de rendements mirifiques, surtout lorsque ceux-ci sont assortis de prises de risques soi-disant minimes. Des promesses faites à grand renfort de publicités sur des sites souvent sérieux, comme ceux de grands journaux quotidiens et, c'est une nouveauté, en nouant des accords de sponsoring avec des clubs de foot de première division, comme le PSG et l'Olympique Lyonnais, histoire de toucher un public plus large encore. Or, une fois que le particulier a accepté d'entrer en contact avec le site de courtage indélicat, c'est l'engrenage. Le harcèlement téléphonique finit par avoir raison des dernières réserves de l'épargnant, qui, de guerre lasse, fournit les coordonnées bancaires qu'on lui réclame pour débiter son compte d'une somme prétendument destinée à être investie sur les marchés.

« Derrière une apparence de sérieux, les sites de trading sur le forex sont de fausses entreprises, à de rares exceptions près. L'argent versé n'est jamais investi sur les marchés, et les interlocuteurs des particuliers n'ont le plus souvent aucune compétence en matière financière », souligne François Molins. Si les sites de trading spéculatif ayant partie lié avec le crime organisé sont éminemment dangereux pour les particuliers, les sites régulés ne sont pas forcément moins risqués. En l'espace de quatre ans, les clients de sites agréés par des régulateurs sérieux ont en effet perdu un total de 175 millions d'euros, pour un gain de 13 millions seulement, d'après une étude réalisée par l'AMF en 2014. Pas plus tard que le 15 décembre dernier, l'AMF, l'ACPR et la DGCCRF avaient mis en garde contre une campagne publicitaire proposant un « Plan B » au très faible rendement de 0,75% du Livret A, et promettant une rémunération irréaliste de plus de 12% par an. De fait, derrière cette campagne se cachait la société chypriote Pegase Capital Limited, qui avait pourtant déjà écopé de 300.000 euros d'amende et d'une suspension de son agrément par la Cysec, son régulateur.

Le projet de loi Sapin 2 protège davantage le consommateur

Pis, une arnaque financière en ligne peut en cacher une autre. La preuve avec ces personnes qui usurpent l'identité de conseillers de l'AMF et de l'ACPR, afin de convaincre les clients de sites de trading spéculatif de leur envoyer une somme d'argent, laquelle permettra de débloquer leurs économies, soi-disant placées sur un compte-séquestre à la suite de l'escroquerie dont le site de trading s'est rendu coupable... Usurper l'identité d'établissements financiers est également le sport favori d'escrocs qui proposent sur Internet des crédits à des taux ridiculement bas et sur des durées très longues. Ce genre d'appâts a fait perdre jusqu'à 100.000 euros à des personnes qui avaient imprudemment versé leur apport au faux banquier avant la mise à disposition du crédit immobilier, ce que la réglementation interdit, a témoigné Olivier Fliche, directeur du contrôle des pratiques commerciales à l'ACPR. Les entreprises non plus ne sont pas à l'abri des arnaques financières sur Internet. La « fraude au président » - qui consiste par exemple à exiger du directeur financier d'une société un virement d'argent sur un compte à l'étranger en se faisant passer pour son patron - a coûté plus de 500 millions d'euros aux entreprises françaises, depuis 2010, selon François Molins.

Certes, les institutions ne sont pas sans moyens, face à la multiplication des arnaques financières en ligne. En 2014, la DGCCRF a vu son pouvoir de sanction des pratiques commerciales trompeuses renforcé, avec une amende maximale qui peut atteindre 300.000 euros pour les personnes physiques, contre 37.500 euros auparavant. De son côté, l'AMF peut bloquer les sites de trading non autorisés. Mais il s'agit là d'une procédure compliquée, si bien que le gendarme de la Bourse n'en ferme que quatre ou cinq par an, une goutte d'eau par rapport aux 360 sites illégaux recensés en France. Quant à la directive européenne MIF II, relative aux marchés d'instruments financiers, elle devrait permettra à l'AMF et à son homologue européen, l'Esma, d'interdire les produits les plus risqués, mais son entrée en vigueur a été reportée d'un an, au 1er janvier 2018. En attendant, l'AMF, l'ACPR, la DGCCRF et le Parquet de Paris ont salué la mesure du projet de loi Sapin 2, qui prévoit « d'interdire toute forme de communication à caractère promotionnel par voie électronique envers les particuliers, portant sur les instruments financiers particulièrement difficiles à comprendre et potentiellement très risqués. » Les quatre institutions soulignent néanmoins que la meilleure protection réside dans la prévention. Benoît de Juvigny adjure ainsi les épargnants d'avoir en tête que « la promesse d'un gain facile est un leurre absolu. »

(*) Options binaires : instruments financiers permettant de parier sur l'évolution d'un actif sur les marchés, tel qu'une action, un indice ou encore une devise.