Mais qui veut encore du Livret A ?

Par Mathias Thépot  |   |  783  mots
Le taux du livret A est trop élevé pour les institutions financières et trop bas pour les ménages.
Les banques et la Caisse des dépôts luttent en coulisse pour conserver un minimum d'encours du livret A, car son taux de rémunération est trop élevé.

Ces deux dernières années, les ménages se sont désintéressés des livrets d'épargne réglementés. En 2014 et 2015, la décollecte cumulée sur les livrets A et LDD a en effet atteint 17,16 milliards d'euros, dont près de 14,5 milliards pour le seul livret A. Les ménages n'ont notamment pas apprécié que le taux de rémunération des deux livrets passe en dessous de la barre des 1 %, à 0,75 % aujourd'hui.

Mais ils ne sont pas les seuls à tourner le dos à ces fameux livrets. Comme les ménages, les banques ne veulent plus du livret A. Les taux d'intérêt de marché des prêts à l'économie sont en effet très faibles. Et sur les marchés financiers, ils sont même passés en terrain négatif à court et moyen terme. Or, dans le même temps, le gouvernement a choisi de maintenir les taux du livret A et du LDD - dont près des deux tiers des encours cumulés sont centralisés à la Caisse des dépôts (CDC) -  à 0,75 %. Ces ressources sont désormais trop chères pour les banques, qui craignent de voir leurs marges rognées.

Désintérêt soudain des banques pour le livret A

Que font-elles alors ? Elles préfèrent "sur-centraliser" leurs encours vers les Fonds d'épargne de la Caisse des dépôts, comme elles en ont le droit. Une politique qui fait sourire au siège de la Caisse, rue de Lille, car le livret A fut jadis très prisé des institutions financières privées.

On se souvient qu'elles sont montées au créneau pour obtenir le 1er janvier 2009 la distribution du livret A par tous les réseaux bancaires. Du reste, les banques se plaignaient alors régulièrement du fait que 65 % des encours des livrets doivent être centralisés vers les Fonds d'épargne. Une part trop élevée selon elles à l'époque. En recherche de dépôts pour respecter les exigences des instances de régulation internationales, les banques n'ont ainsi cessé de réclamer qu'on leur laisse davantage d'encours de livret A. Ce qui n'est donc plus le cas aujourd'hui.

A qui la patate chaude ?

Mais de son côté, la CDC a aussi peu d'intérêt à centraliser chez elle davantage d'encours du livret A. Autrement dit, elle ne veut pas qu'on lui repasse la patate chaude. Car en ce moment, ses activités de prêts aux HLM et aux collectivités, qui sont soumises à la concurrence, ainsi que ses placements financiers, se font à des taux très bas. Certes la maturité importante du portefeuille financier des Fonds d'épargne, placé de fait à des taux plus haut, permet à l'institution de voir venir.

Mais la Caisse des dépôts pourrait se retrouver en difficulté au fur et à mesure que les titres financiers qu'elle détient arrivent à échéance. Plus globalement, les Fonds d'épargne prêtent aujourd'hui à un taux moyen « juste au niveau du coût de leur ressource », indique sa directrice Odile Renaud-Basso. La Caisse ne peut donc se permettre de laisser les banques replacer outre-mesure leurs encours chez elle.

La Caisse impose ses conditions

Mais l'institution bicentenaire n'est pas en manque de répondant : sous son impulsion, un nouveau dispositif visant à limiter les marges de manœuvre des banques sur la centralisation des encours vient d'être adopté. Ce qui les contraindra dès les prochaines semaines à conserver davantage de livret A à leur bilan. En outre, au second semestre 2015, la Caisse des dépôts a déjà obtenu une baisse de la commission qu'elle paie aux banques pour la collecte des livret A et LDD, afin d'assurer sa santé financière.

Du reste, il faut aussi dire que la décollecte sur ces livrets satisfait pour l'instant tout le monde, même si au regard des projets d'investissement massif de l'Etat dans le logement social, l'environnement et le secteur public local, la Caisse des dépôts pourrait, dès 2017, sommer les banques de leur renvoyer des encours de livrets défiscalisés.

Montants importants de nouveaux prêts

Ainsi les Fonds d'épargne de la Caisse des Dépôts pourront poursuivre leur rôle de bras armé financier de l'Etat. Sous l'impulsion de l'Elysée et de Bercy, ils ont en effet permis l'octroi de 21,1 milliards d'euros de nouveaux prêts en 2015, dont 17,2 milliards d'euros pour le logement social et la politique de la ville, ainsi que 3,9 milliards destinés au secteur public local. Au total l'encours de prêts sur Fonds d'épargne atteint 176 milliards d'euros. En parallèle, ils centralisent 238 milliards d'euros d'épargne.