Cette bombe que redoute toute l'industrie de l'armement française

Par Michel Cabirol  |   |  1093  mots
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Tout le secteur de l'armement attend nerveusement la négociation du Traité international sur le commerce des armes (TCA), qui débute lundi à New York au siège des Nations Unies. Selon un document confidentiel des industriels tricolores, "le risque encouru en termes de perte de souveraineté nationale est réel et inacceptable".

C'est un Traité qui fait peur à toute l'industrie de l'armement française et européenne. De quoi parle-t-on ? D'un projet de Traité international sur le commerce des armes (TCA), qui doit être discuté à partir de lundi à New York au siège des Nations unies jusqu'au 27 juillet. Une crainte légitime de la part du secteur de l'armement, qui emploie en Europe 670.000 personnes pour un chiffre d'affaires de 137 milliards d'euros, suscitée notamment par l'activisme de trois ONG - Amnesty International, CCFD-Terre Solidaire et Oxfam - qui ont en partie inspiré ce projet, piloté en France par le Quai d'Orsay.

"Avec des positions souvent radicales", soupirent les industriels du secteur. "Les ONG sont remarquablement organisées dans leur lobbying et leur communication : elles entretiennent une grande proximité avec le Quai d'Orsay", regrette même un industriel. "Les services de notre diplomatie, en charge de la préparation du dossier, appréhendent mal la réalité du marché de l'armement, la concurrence des autres pays et les enjeux industriels et économiques pour notre activité".

Les industriels "peu efficaces et peu réactifs"

Pour autant, selon nos informations, les industriels et les services du Quai d'Orsay se sont bien rencontrés le 18 juin. Mais visiblement, cette réunion n'a pas été très fructueuse. La faute à qui ? Aux industriels eux-mêmes. "Elle n'a pas conduit à exprimer une position suffisamment construite et convaincante", déplore une source proche du dossier, qui juge les "industriels peu réactifs et peu efficaces". Et d'expliquer qu'il "n'y a pas de véritable plan de communication des industriels en direction du ministre lui-même, ni de son cabinet, ni des négociateurs français, à l'exception d'initiatives isolées et non concertées".

En outre, ils n'ont pour le moment rien prévu pour assurer un suivi des négociations. En attendant, les ONG font le job et occupent le terrain médiatique déserté par les organisations professionnelles du secteur. Et elles font plutôt bien. Les trois ONG ont remis vendredi au gouvernement français une pétition de 60.000 signatures récoltées en France "demandant à Paris de s'engager pour qu'un Traité international sur le commerce des armes classiques (TCA) fort et contraignant soit adopté en juillet". Les représentants de ces ONG auront une forte présence tout au long des quatre semaines de discussions sur le TCA. Dans un courrier adressé aux ONG, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, très attentif aux conséquences industrielles et commerciales de ce dossier, a néanmoins écrit qu'il avait "la volonté d'obtenir un texte ambitieux et robuste".

Perte de souverainté nationale ?

Que craignent les industriels ? Car finalement ce Traité n'ajoute rien aux dispositifs existants en France, qui opère déjà un contrôle des exportation très contraignant en vue d'interdire les ventes d'armes à des pays à risque. Elle est également liée, comme tous les pays exportateurs et importateurs, par des régimes de sanctions et d'embargo internationaux issus du conseil de sécurité des Nations Unies. Pour autant, les industriels restent très préoccupés. Le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiale (Gifas), dans un document de synthèse que s'est procuré « latribune.fr », a notamment peur d'une perte de souveraineté nationale sur les ventes d'armes.

"Le risque encouru est réel et inacceptable", souligne ce document. En outre, il estime qu'un certain nombre de critères contraignant autorisant ou non les exportations porteront sur le respect par les pays importateurs des droits de l'homme, du droit international humanitaire, du développement durable. "Qui va définir ces critères", interroge-t-il. Et de constater qu'il "est à craindre une catégorisation en 'bons' et 'mauvais' pays importateurs avec un risque induit de manipulation et d'instrumentalisation de ces listes par les pays ou réseaux d'influence". Il n'est pas impossible non plus, explique un industriel qu'il y ait "des risques d'inflation des contraintes acceptées par les négociateurs français du Traité pour des raisons idéologiques ou sous pression médiatique ou tout simplement par méconnaissance des retombées indirectes de telle ou telle disposition". Au ministère de la Défense, on rappelle que "le Quai d'Orsay ne négocie pas tout seul". Et de souligner également que "nous sommes très en amont d'un travail législatif" pour transposer ce Traité dans la loi française.

Faire signer tous les pays producteurs d'armes

Dernier enjeu pour les industriels : savoir "si les autres exportateurs comme la Russie, la Chine ou Israël respecteront ces mêmes principes de transparence de leurs transactions". L'un des objectifs pour les industriels français et européens est de faire signer "les principaux pays producteurs d'armement" pour que le Traité rentre en vigueur. Mais, il y a comme un doute au sein du Gifas : "Une entrée en vigueur sur la base de 50 à 60 signataires nous fait courir le risque que des pays importants comme la Chine, la Corée, la Turquie, la Russie... ne comptent pas parmi les signataires alors que très certainement la France en fera partie".

Autre point important, il n'est pas question pour les industriels de l'armement "de confier à un organe ad hoc la connaissance des transferts d'armes pour des raisons de souveraineté, de confidentialité et de sécurité". La mise en ?uvre du Traité "devrait être confiée au Secrétaire général des Nations Unies, qui est dépositaire du texte". Et de réclamer que le suivi "doit être non intrusif et doté de toutes les garanties nécessaires de confidentialité". Pour le ministère de la Défense, il faut en premier lieu "s'assurer que les règles seront respectées et appliquées" par tous les signataires du Traité.

La création d'un Observatoire du commerce des armes

Enfin, le Gifas est favorable à la création d'un Observatoire du commerce des armes, dans lequel « les industriels joueront un rôle décisif, leur permettant d'avoir à leur disposition leurs propres outils d'analyse stratégiques pertinents et leur donnant tous les éléments sur les enjeux et positions des diverses parties prenantes ». Cet observatoire référencerait ainsi les systèmes de réglementation du commerce et les pratiques des pays concernés par le commerce des armes (importateurs et exportateurs). Cet observatoire contrôlerait in fine les normes et standards permettant de déterminer les pays ayant la légitimité pour acheter des armes. Ce qui permettrait de court-circuiter les ONG susceptibles de faire du lobbying pour fixer eux-mêmes ces normes et standards.